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Illustration: Le Petit suivi de Histoire Vraie - Guy de Maupassant

Le Petit suivi de Histoire Vraie

(Version Intégrale)

Enregistrement : Audiocite.net
Publication : 2012-09-12

Lu par Alain Bernard
Livre audio de 23min
Fichier mp3 de 21 Mo

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Image: travaillée d_après: http://php88.free.fr/bdff/image_film.php?ID=3521 LE PETIT
Lemonnier était demeuré veuf avec un enfant. Il avait aimé follement sa
femme, d'un amour exalté et tendre, sans une défaillance, pendant toute
leur vie commune. C'était un bon homme, un brave homme, simple, tout
simple, sincère, sans défiance et sans malice.
Étant devenu amoureux d'une voisine qui était pauvre, il la demanda en
mariage et l'épousa. Il faisait un commerce de draperie assez prospère,
gagnait pas mal d'argent et ne douta pas une seconde qu'il n'eût été accepté
pour lui-même par la jeune fille.
Elle le rendit heureux d'ailleurs. Il ne voyait qu'elle au monde, ne pensait
qu'à elle, la regardait sans cesse avec des yeux d'adorateur prosterné.
Pendant les repas, il commettait mille maladresses pour ne point détourner
son regard du visage chéri, versait le vin dans son assiette et l'eau dans la
salière, puis se mettait à rire comme un enfant, en répétant :
-Je t'aime trop, vois-tu ; cela me fait faire un tas de bêtises.
Elle souriait, d'un air calme et résigné ; puis détournait les yeux, comme
gênée par l'adoration de son mari, et elle tâchait de le faire parler, de causer
de n'importe quoi ; mais il lui prenait la main à travers la table, et la gardait
dans la sienne en murmurant :
-Ma petite Jeanne, ma chère petite Jeanne !
Elle finissait par s'impatienter et par dire :
-Allons, voyons, sois raisonnable ; mange, et laisse-moi manger. Il
poussait un soupir et cassait une bouchée de pain, qu'il mâchait ensuite
avec lenteur.
Pendant cinq ans, ils n'eurent pas d'enfants. Puis tout à coup elle devint
enceinte. Ce fut un bonheur délirant. Il ne la quitta point de tout le temps
de sa grossesse ; si bien que sa bonne, une vieille bonne qui l'avait élevé et
qui parlait haut dans la maison, le mettait parfois dehors et fermait la porte
pour le forcer à prendre l'air.
Il s'était lié d'une intime amitié avec un jeune homme qui avait connu sa
femme dès son enfance, et qui était sous-chef de bureau à la Préfecture. M.Duretour dînait trois fois par semaine chez M. Lemonnier, apportait des
fleurs à madame, et parfois une loge de théâtre ; et, souvent, au dessert, ce
bon Lemonnier attendri s'écriait, en se tournant vers sa femme :
-Avec une compagne comme toi et un ami comme lui, on est parfaitement
heureux sur la terre.
Elle mourut en couches. Il en faillit mourir aussi. Mais la vue de l'enfant
lui donna du courage : un petit être crispé qui geignait.
Il l'aima d'un amour passionné et douloureux, d'un amour malade où restait
le souvenir de la mort, mais où survivait quelque chose de son adoration
pour la morte. C'était la chair de sa femme, son être continué, comme une
quintessence d'elle. Il était, cet enfant, sa vie même tombée en un autre
corps ; elle était disparue pour qu'il existât.-Et le père l'embrassait avec
fureur.-Mais aussi il l'avait tuée, cet enfant, il avait pris, volé cette
existence adorée, il s'en était nourri, il avait bu sa part de vie.-Et M.
Lemonnier reposait son fils dans le berceau, et s'asseyait auprès de lui pour
le contempler. Il restait là des heures et des heures, le regardant, songeant à
mille choses tristes ou douces. Puis, comme le petit dormait, il se penchait
sur son visage et pleurait dans ses dentelles.
L'enfant grandit. Le père ne pouvait plus se passer une heure de sa
présence ; il rôdait autour de lui, le promenait, l'habillait lui-même, le
nettoyait, le faisait manger. Son ami, M. Duretour, semblait aussi chérir ce
gamin, et il l'embrassait par grands élans, avec ces frénésies de tendresse
qu'ont les parents. Il le faisait sauter dans ses bras, le faisait danser pendant
des heures à cheval sur une jambe, et soudain, le renversant sur ses
genoux, relevait sa courte jupe et baisait ses cuisses grasses de moutard et
ses petits mollets ronds. M. Lemonnier, ravi, murmurait :
-Est-il mignon, est-il mignon !
Et M. Duretour serrait l'enfant dans ses bras en lui chatouillant le cou de sa
moustache.
Seule, Céleste, la vieille bonne, ne semblait avoir aucune tendresse pour le
petit. Elle se fâchait de ses espiègleries, et semblait exaspérée par les
câlineries des deux hommes.
Elle s'écriait :
-Peut-on élever un enfant comme ça ! Vous en ferez un joli singe.
Des années encore passèrent, et Jean prit neuf ans. Il savait à peine lire,
tant on l'avait gâté, et n'en faisait jamais qu'à sa tête. Il avait des volontés
tenaces, des résistances opiniâtres, des colères furieuses. Le père cédait
toujours, accordait tout. M. Duretour achetait et apportait sans cesse les
joujoux convoités par le petit, et il le nourrissait de gâteaux et de bonbons.
Céleste alors s'emportait, criait :
-C'est une honte, monsieur, une honte. Vous faites le malheur de cet
enfant, son malheur, entendez-vous. Mais il faudra bien que cela finisse ;
oui, oui, ça finira, je vous le dis, je vous le promets, et pas avant longtemps
encore.
M. Lemonnier répondait en souriant :
-Que veux-tu, ma fille ? je l'aime trop, je ne sais pas lui résister ; il faudra
bien que tu en prennes ton parti.
Jean était faible, un peu malade. Le médecin constata de l'anémie, ordonna
du fer, de la viande rouge et de la soupe grasse.
Or, le petit n'aimait que les gâteaux et refusait toute autre nourriture ; et le
père, désespéré, le bourrait de tartes à la crème et d'éclairs au chocolat.
Un soir, comme ils se mettaient à table en tête-à-tête, Céleste apporta la
soupière avec une assurance et un air d'autorité qu'elle n'avait point
d'ordinaire. Elle la découvrit brusquement, plongea la louche au milieu, et
déclara :
-Voilà du bouillon comme je ne vous en ai pas encore fait ; il faudra bien
que le petit en mange, cette fois.
M. Lemonnier, épouvanté, baissa la tête. Il vit que cela tournait mal.
Céleste prit son assiette, l'emplit elle-même, la reposa devant lui.
Il goûta aussitôt le potage et prononça :
-En effet, il est excellent. Alors la bonne s'empara de l'assiette du petit et y
versa une pleine cuillerée de soupe. Puis elle recula de deux pas et attendit.
Jean flaira, repoussa l'assiette et fit un «pouah» de dégoût. Céleste,
devenue pâle, s'approcha brusquement et, saisissant la cuiller, l'enfonça de
force, toute pleine, dans la bouche entr'ouverte de l'enfant.
Il s'étrangla, toussa, éternua, cracha, et, hurlant, empoigna à pleine main
son verre qu'il lança contre la bonne. Elle le reçut en plein ventre. Alors,
exaspérée, elle prit sous son bras la tête du moutard, et commença à lui
entonner coup sur coup des cuillerées de soupe dans le gosier. Il les
vomissait à mesure, trépignait, se tordait, suffoquait, battait l'air de ses
mains, rouge comme s'il allait mourir étouffé.
Le père demeura d'abord tellement surpris qu'il ne faisait plus un
mouvement. Puis, soudain, il s'élança avec une rage de fou furieux,
étreignit sa servante à la gorge et la jeta contre le mur. Il balbutiait :
-Dehors ! ... dehors ! ... dehors ! ... brute !
Mais elle, d'une secousse, le repoussa et, dépeignée, le bonnet dans le dos,
les yeux ardents, cria :
-Qu'est-ce qui vous prend, à c't' heure ? Vous voulez me battre parce que je
fais manger de la soupe à c't' enfant que vous allez tuer avec vos gâteries !
...
Il répétait, tremblant de la tête aux pieds :
-Dehors ! ... va-t'en... va-t'en, brute ! ...
Alors, affolée, elle revint sur lui et ; l'oeil dans l'oeil, la voix tremblante :
-Ah ! ... vous croyez... vous croyez que vous allez me traiter comme ça,
moi, moi ? ... Ah ! mais non... Et pour qui, pour qui... pour ce morveux qui
n'est seulement point à vous... Non... point à vous ! ... Non... point à vous !
... point à vous ! ... point à vous ! ... Tout le monde le sait, parbleu !
excepté vous... Demandez à l'épicier, au boucher, au boulanger, à tous, à
tous...
Elle bredouillait, étranglée par la colère ; puis, elle se tut, le regardant.
Il ne bougeait plus, livide, les bras ballants. Au bout de quelques secondes,
il balbutia d'une voix éteinte, tremblante, où palpitait pourtant une émotion
formidable :
-Tu dis ? ... tu dis ? ... Qu'est-ce que tu dis ?
Elle se taisait, effrayée par son visage. Il fit encore un pas, répétant :
-Tu dis ? ... Qu'est-ce que tu dis ? Alors, elle répondit, d'une voix calmée :
-Je dis ce que je sais, parbleu ! ce que tout le monde sait.
Il leva les deux mains et, se jetant sur elle avec un emportement de bête,
essaya de la terrasser. Mais elle était forte, quoique vieille, et agile aussi.
Elle lui glissa dans les bras et, courant autour de la table, redevenue
soudain furieuse, elle glapissait :
-Regardez-le, regardez-le donc, bête que vous êtes, si ce n'est pas tout le
portrait de M. Duretour ; mais regardez son nez et ses yeux, les avez-vous
comme ça, les yeux ? et le nez ? et les cheveux ? les avait-elle comme ça
aussi, elle ? Je vous dis que tout le monde le sait, tout le monde, excepté
vous ! C'est la risée de la ville ! Regardez-le... Elle passait devant la porte,
elle l'ouvrit, et disparut.
Jean, épouvanté, demeurait immobile, en face de son assiette à soupe.
Au bout d'une heure, elle revint, tout doucement, pour voir. Le petit, après
avoir dévoré les gâteaux, le compotier de crème et celui des poires au
sucre, mangeait maintenant le pot de confitures avec sa cuiller à potage.
Le père était sorti.
Céleste prit l'enfant, l'embrassa et, à pas muets, l'emporta dans sa chambre,
puis le coucha. Et elle revint dans la salle à manger, défit la table, rangea
tout, très inquiète.
On n'entendait aucun bruit dans la maison, aucun. Elle alla coller son
oreille à la porte de son maître. Il ne faisait aucun mouvement. Elle posa
son oeil au trou de la serrure. Il écrivait, et semblait tranquille.
Alors elle retourna s'asseoir dans sa cuisine pour être prête en toute
circonstance, car elle flairait bien quelque chose.
Elle s'endormit sur une chaise, et ne se réveilla qu'au jour.
Elle fit le ménage, comme elle avait coutume, chaque matin ; elle balaya,
elle épousseta, et, vers huit heures, prépara le café de M. Lemonnier.
Mais elle n'osait point le porter à son maître ne sachant trop comment elle
allait être reçue ; et elle attendit qu'il sonnât. Il ne sonna point. Neuf
heures, puis dix heures passèrent.
Céleste, effarée, prépara son plateau et se mit en route, le coeur battant.
Devant la porte elle s'arrêta, écouta. Rien ne remuait. Elle frappa ; on ne
répondit pas. Alors, rassemblant tout son courage, elle ouvrit, entra, puis,
poussant un cri terrible, laissa choir le déjeuner qu'elle tenait aux mains.


M. Lemonnier pendait au beau milieu de sa chambre, accroché par le cou à
l'anneau du plafond. Il avait la langue tirée affreusement. La savate droite
gisait, tombée à terre. La gauche était restée au pied. Une chaise renversée
avait roulé jusqu'au lit.
Céleste, éperdue, s'enfuit en hurlant. Tous les voisins accoururent. Le
médecin constata que la mort remontait à minuit.
Une lettre adressée à M. Duretour fut trouvée sur la table du suicidé. Elle
ne contenait que cette ligne : «Je vous laisse et je vous confie le petit.»
 
HISTOIRE VRAIE


Un grand vent soufflait au dehors, un vent d'automne mugissant et
galopant, un de ces vents qui tuent les dernières feuilles et les emportent
jusqu'aux nuages.
Les chasseurs achevaient leur dîner, encore bottés, rouges, animés,
allumés. C'étaient de ces demi-seigneurs normands, mi-hobereaux,
mi-paysans, riches et vigoureux, taillés pour casser les cornes des boeufs
lorsqu'ils les arrêtent dans les foires.
Ils avaient chassé tout le jour sur les terres de maître Blondel, le maire
d'Éparville, et ils mangeaient maintenant autour de la grande table, dans
l'espèce de ferme-château dont était propriétaire leur hôte.
Ils parlaient comme on hurle, riaient comme rugissent les fauves, et
buvaient comme des citernes, les jambes allongées, les coudes sur la
nappe, les yeux luisants sous la flamme des lampes, chauffés par un foyer
formidable qui jetait au plafond des lueurs sanglantes ; ils causaient de
chasse et de chiens. Mais ils étaient, à l'heure où d'autres idées viennent
aux hommes, à moitié gris, et tous suivaient de l'oeil une forte fille aux
joues rebondies qui portait au bout de ses poings rouges les larges plats
chargés de nourritures.
Soudain un grand diable qui était devenu vétérinaire après avoir étudié
pour être prêtre, et qui soignait toutes les bêtes de l'arrondissement, M.
Séjour, s'écria :
-Crébleu, maît' Blondel, vous avez là une bobonne qui n'est pas piquée des
vers. Et un rire retentissant éclata. Alors un vieux noble déclassé, tombé
dans l'alcool, M. de Varnetot, éleva la voix.
-C'est moi qui ai eu jadis une drôle d'histoire avec une fillette comme ça !
Tenez, il faut que je vous la raconte. Toutes les fois que j'y pense, ça me
rappelle Mirza, ma chienne, que j'avais vendue au comte d'Haussonnel et
qui revenait tous les jours, dès qu'on la lâchait, tant elle ne pouvait me
quitter. À la fin je m'suis fâché et j'ai prié l'comte de la tenir à la chaîne.
Savez-vous c'qu'elle a fait c'te bête ? Elle est morte de chagrin.
Mais, pour en revenir à ma bonne, v'là l'histoire :
-J'avais alors vingt-cinq ans et je vivais en garçon, dans mon château de
Villebon. Vous savez, quand on est jeune, et qu'on a des rentes, et qu'on
s'embête tous les soirs après dîner, on a l'oeil de tous les côtés.
Bientôt je découvris une jeunesse qui était en service chez Déboultot, de
Cauville. Vous avez bien connu Déboultot, vous, Blondel ! Bref, elle,
m'enjôla si bien, la gredine, que j'allai un jour trouver son maître et je lui
proposai une affaire. Il me céderait sa servante et je lui vendrais ma jument
noire, Cocote, dont il avait envie depuis bientôt deux ans. Il me tendit la
main «Topez-là, monsieur de Varnetot.» C'était marché conclu ; la petite
vint au château et je conduisis moi-même à Cauville ma jument, que je
laissai pour trois cents écus. Dans les premiers temps, ça alla comme sur
des roulettes. Personne ne se doutait de rien ; seulement Rose m'aimait un
peu trop pour mon goût. C't'enfant-là, voyez-vous, ce n'était pas n'importe
qui. Elle devait avoir quéqu'chose de pas commun dans les veines. Ça
venait encore de quéqu'fille qui aura fauté avec son maître.
Bref, elle m'adorait. C'étaient des cajoleries, des mamours, des p'tits noms
de chien, un tas d'gentillesses à me donner des réflexions.
Je me disais : «Faut pas qu'ça dure, ou je me laisserai prendre ! » Mais on
ne me prend pas facilement, moi. Je ne suis pas de ceux qu'on enjôle avec
deux baisers. Enfin j'avais l'oeil ; quand elle m'annonça qu'elle était grosse.
Pif ! pan ! c'est comme si on m'avait tiré deux coups de fusil dans la
poitrine. Et elle m'embrassait, elle m'embrassait, elle riait, elle dansait, elle
était folle, quoi ! Je ne dis rien le premier jour ; mais, la nuit, je me
raisonnai. Je pensais : «Ça y est ; mais faut parer le coup, et couper le fil, il
n'est que temps.» Vous comprenez, j'avais mon père et ma mère à
Barneville, et ma soeur mariée au marquis d'Yspare, à Rollebec, à deux
lieues de Villebon. Pas moyen de blaguer.
Mais comment me tirer d'affaire ? Si elle quittait la maison, on se douterait
de quelque chose et on jaserait. Si je la gardais, on verrait bientôt l'
bouquet ; et puis, je ne pouvais la lâcher comme ça. J'en parlai à mon
oncle, le baron de Creteuil, un vieux lapin qui en a connu plus d'une, et je
lui demandai un avis. Il me répondit tranquillement :
-Il faut la marier, mon garçon.
Je fis un bond.
-La marier, mon oncle, mais avec qui ?
Il haussa doucement les épaules :
-Avec qui tu voudras, c'est ton affaire et non la mienne. Quand on n'est pas
bête on trouve toujours.
Je réfléchis bien huit jours à cette parole, et je finis par me dire à
moi-même : «Il a raison, mon oncle.»
Alors, je commençai à me creuser la tête et à chercher ; quand un soir le
juge de paix, avec qui je venais de dîner, me dit :
-Le fils de la mère Paumelle vient encore de faire une bêtise ; il finira mal,
ce garçon-là. Il est bien vrai que bon chien chasse de race.
Cette mère Paumelle était une vieille rusée dont la jeunesse avait laissé à
désirer. Pour un écu, elle aurait vendu certainement son âme, et son
garnement de fils par-dessus le marché.
J'allai la trouver, et tout doucement, je lui fis comprendre la chose.
Comme je m'embarrassais dans mes explications, elle me demanda tout à
coup :
-Qué qu'vous lui donnerez, à c'te p'tite ?
Elle était maligne, la vieille, mais moi, pas bête, j'avais préparé mon
affaire. Je possédais justement trois lopins de terre perdus auprès de
Sasseville, qui dépendaient de mes trois fermes de Villebon. Les fermiers
se plaignaient toujours que c'était loin ; bref, j'avais repris ces trois
champs, six acres en tout, et, comme mes paysans criaient, je leur avais
remis, pour jusqu'à la fin de chaque bail, toutes leurs redevances en
volailles. De cette façon, la chose passa. Alors, ayant acheté un bout de
côte à mon voisin, M. d'Aumonté, je faisais construire une masure dessus,
le tout pour quinze cents francs. De la sorte, je venais de constituer un petit
bien qui ne me coûtait pas grand'chose, et je le donnais en dot à la fillette.
La vieille se récria : ce n'était pas assez ; mais je tins bon, et nous nous
quittâmes sans rien conclure.
Le lendemain, dès l'aube, le gars vint me trouver. Je ne me rappelais guère
sa figure. Quand je le vis, je me rassurai ; il n'était pas mal pour un
paysan ; mais il avait l'air d'un rude coquin.
Il prit la chose de loin, comme s'il venait acheter une vache. Quand nous
fûmes d'accord, il voulut voir le bien ; et nous voilà partis à travers
champs. Le gredin me fit bien rester trois heures sur les terres ; il les
arpentait, les mesurait, en prenait des mottes qu'il écrasait dans ses mains,
comme s'il avait peur d'être trompé sur la marchandise.
La masure n'étant pas encore couverte, il exigea de l'ardoise au lieu de
chaume, parce que cela demande moins d'entretien !
Puis il me dit :
-Mais l'mobilier, c'est vous qui le donnez ?
Je protestai :
-Non pas ; c'est déjà beau de vous donner une ferme.
Il ricana :
-J' craiben, une ferme et un éfant. Je rougis malgré moi. Il reprit :
-Allons, vous donnerez l'lit, une table, l'ormoire, trois chaises et pi la
vaisselle, ou ben rien d'fait.
J'y consentis.
Et nous voilà en route pour revenir. Il n'avait pas encore dit un mot de la
fille. Mais tout à coup, il demanda d'un air sournois et gêné :
-Mais, si a mourait, à qui qu'il irait, çu bien ?
Je répondis :
-Mais, à vous, naturellement.
C'était tout ce qu'il voulait savoir depuis le matin. Aussitôt, il me tendit la
main d'un mouvement satisfait. Nous étions d'accord.
Oh ! par exemple, j'eus du mal pour décider Rose. Elle se traînait à mes
pieds, elle sanglotait, elle répétait : «C'est vous qui me proposez ça ! c'est
vous ! c'est vous ! » Pendant plus d'une semaine, elle résista malgré mes
raisonnements et mes prières.
C'est bête, les femmes ; une fois qu'elles ont l'amour en tête, elles ne
comprennent plus rien. Il n'y a pas de sagesse qui tienne, l'amour avant
tout, tout pour l'amour !
À la fin je me fâchai et la menaçai de la jeter dehors. Alors elle céda peu à
peu, à condition que je lui permettrais de venir me voir de temps en temps.
Je la conduisis moi-même à l'autel, je payai la cérémonie, j'offris à dîner à
toute la noce. Je fis grandement les choses, enfin. Puis : «Bonsoir mes
enfants ! » J'allai passer six mois chez mon frère en Touraine. Quand je fus
de retour, j'appris qu'elle était venue, chaque semaine au château me
demander. Et j'étais à peine arrivé depuis une heure que je la vis entrer
avec un marmot dans les bras. Vous me croirez si vous voulez, mais ça me
fît quelque chose de voir ce mioche. Je crois même que je l'embrassai.
Quant à la mère, une ruine, un squelette, une ombre. Maigre, vieillie. Bigre
de bigre, ça ne lui allait pas, le mariage ! Je lui demandai machinalement :
-Es-tu heureuse ?
Alors elle se mit à pleurer comme une source, avec des hoquets, des
sanglots, et elle criait :
Je n'peux pas, je n'peux pas m'passer de vous maintenant. J'aime mieux
mourir, je n'peux pas !
Elle faisait un bruit du diable. Je la consolai comme je pus et je la
reconduisis à la barrière.
J'appris en effet que son mari la battait ; et que sa belle-mère lui rendait la
vie dure, la vieille chouette.
Deux jours après elle revenait. Et elle me prit dans ses bras, elle se traîna
par terre :
-Tuez-moi, mais je n'veux pas retourner là-bas.
Tout à fait ce qu'aurait dit Mirza si elle avait parlé ! .
Ça commençait à m'embêter, toutes ces histoires ; et je filai pour six mois
encore. Quand je revins... Quand je revins, j'appris qu'elle était morte trois
semaines auparavant, après être revenue au château tous les dimanches...
toujours comme Mirza. L'enfant aussi était mort huit jours après. Quant au
mari, le madré coquin, il héritait. Il a bien tourné depuis, paraît-il, il est
maintenant conseiller municipal :
Puis, M. de Varnetot ajouta en riant :
-C'est égal, c'est moi qui ai fait sa fortune, à celui-là !
Et M. Séjour, le vétérinaire, conclut gravement en portant à sa bouche un
verre d'eau-de-vie :
-Tout ce que vous voudrez, mais des femmes comme ça, il n'en faut pas !





Lemonnier était demeuré veuf avec un enfant. Il avait aimé follement sa femme, d'un amour exalté et tendre, sans une défaillance, pendant toute leur vie commune. C'était un bon homme, un brave homme, simple, tout simple, sincère, sans défiance et sans malice. [...]

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