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Illustration: Suggestion - Georges Rodenbach

Suggestion

(Version Intégrale)

Enregistrement : Audiocite.net
Publication : 2010-01-15

Lu par Victoria
Livre audio de 16min
Fichier Mp3 de 14,9 Mo

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Musiques Eric Satie, Première Gymnopédie, par Agathe Laforge - Domaine public
illustration: Portrait de Madame Georges Rodenbach (1897)par Albert Besnard (1849-1934) Musée des Beaux-Arts, Toulon


Georges Rodenbach - Suggestion

Il y a tout un domaine mystérieux et négligé, limbes des sensations, clair-obscur de la conscience, région équivoque où trempent pour ainsi dire les racines de l'être. Il s'y noue des analogies étranges , des rapports volatils qui lient nos pensées et nos actes à telles impressions de la vue, de l'ouïe, de l'odorat. Pour avoir rencontré une femme dont les yeux sont gris, l'homme du Nord, tout à coup nostalgique, s'en retourne au pays natal. De même, une orange qu'on épluche, parfois, suffit pour susciter toute l'atmosphère d'un théâtre. Et ceci encore : pour avoir respiré, sur un trottoir en réparation, l'été, l'odeur de l'asphalte qui bout dans sa cuve, nous partons pour la mer, avides de grands ports où le goudron sent bon aux quilles brunes des vaisseaux. Et ceci : les réverbères ophtalmiques, dans le brouillard, font rêver d'altruismes, de dévouements humanitaires, d'un legs pour un hospice ou une clinique des yeux…

C'est seulement par une suggestion de ce genre que peut s'expliquer le cas du peintre X…, dont le crime stupéfia, il y a quelques années, ses amis et l'opinion. Il déchargea les six coups d'un révolver sur sa femme, lui si fier et si doux, et que personne n'aurait jamais cru capable de ce crime lâche.

D'autant plus qu'il n'avait pas agi précipitamment, au cours d'une querelle, par une de ces brusques démences irréfléchies, qui déterminent moins un meurtre qu'un accident… Il avait projeté, presque prémédité, l'attentat… Lui-même en prison ne démêla pas l'obscure manigance. Il se repentit, pleura, se rappela, espéra. Car la victime n'avait pas succombé tout de suite. Depuis des jours, elle agonisait, mais sans possibilité de salut, marquée à la gorge par deux blessures de sang caillé, qui semblaient déjà les scellés de la mort… Le prisonnier était tenu au courant par un gardien complaisant, que renseignaient le quotidien bulletin de santé… des gazettes. Pas un jour, il n'y eût de l'espoir. À la fin de la semaine, la malheureuse mourut. Alors subitement, le prisonnier vit clair, s'expliqua son crime, remonta de l'effet à la cause, élucida la minute décisive, qui, soudain, lui avait inculqué son criminel projet… Oui ! il la revivait, cette minute, toute fixée dorénavant et précise à jamais… C'était dans la banlieue, le soir, là où commencent les premiers champs ; un train passa, noir, avec la terrible lanterne rouge de la locomotive… Le prisonnier, maintenant, se rappela les circonstances, tout le détail… Oui ! c'était sa défense ! Il n'était pas coupable, peut-être… Aussi fit-il choix d'un avocat, en désignant un, qu'il avait connu un peu, autrefois ; et dès le lendemain, il put converser avec lui dans le parloir de la prison.

- Vous aimiez pourtant votre femme ? interrogea le défenseur.

- Oh ! oui ! je l'aimais ! Et je l'aime encore ! Le prisonnier pleura. Un instant après, il se ressaisit, il dit comme s'il se parlait à lui-même, d'un air de somnambule : « c'est étrange, ce phénomène de la mort. Elle efface tout ce qui est proche, immédiat ; et tout ce qui est laid. Elle met tout de suite dans un tel recul, et ne laisse subsister que ce qui fut beau et tendre. Tout mort s'idéalise.

Moi, je ne vois plus que nos bons jours, le temps où nous nous aimions, où elle fut bonne, passionnée, affectueuse. Nos commencements ! » Le peintre éclata en sanglots, si sincères et

pathétiques que l'avocat lui-même fut ému. Il demanda d'une voix timide :

- Elle vous a trompé ? Vous avez trouvé des preuves certaines…

- Ah ! plût à Dieu qu'elle eût pris un amant, reprit le peintre, tout à coup, raffermi dans ses idées et la voix nette. La femme est fragile, j'aurais moins souffert de ce grand coup de couteau que des millions de coups d'épingles dont elle m'a blessé à toutes les secondes de notre vie en commun depuis ces dix dernières années. Ah ! certes nous nous sommes aimés, ardemment et prodigieusement pendant les premiers mois. Puis, elle s'est déprise de moi. Névrosée et détraquée d'ailleurs, elle a conçu un agacement de moi, du moindre de mes gestes, de mes mouvements, de mes intonations, du bruit que je faisais, du silence que je gardais, de la façon dont je mangeais, buvais, riais, marchais, tournais ma moustache, bâillais ou me mouchais. Je ne pensais plus qu'à cela. Je n'étais plus moi. J'étais en proie à elle ! J'en étais arrivé à devoir exercer sur moi-même une surveillance de tous les instants, contrôlant et disciplinant mes mouvements les plus instinctifs, pour ne pas provoquer ses remarques ou ses colères. Car elle s'emportait tout de suite, et pour des riens. Quoi que j'énonçasse, elle me contredisait, me réfutait avec irritation, me prenait en pitié, finissait en concluant à mon incurable sottise. J'ai du talent pourtant. Je me suis fait un nom dans la peinture. Elle n'hésitait pas à dire que si j'étais quelque chose, c'était grâce à elle, à ses conseils, à sa clairvoyance, parce qu'elle m'apprit à vivre et me sauva d'être un obscur et un raté…

Le prisonnier s'arrêta une seconde, de l'air las dont on s'assoit au milieu des ruines. Il avait cheminé dans ses pires souvenirs… L'avocat écoutait, cherchait ce qui pourrait convenir à la défense.

- Vous comprenez maintenant, reprit le peintre, que je lui aurais mieux concédé un amant que cet acharnement après moi !

Hélas ! elle me fut fidèle implacablement ! Fidèle à m'asservir, à me tourmenter, à me traiter en enfant et en captif, à m'écraser de son mépris, de ses colères déchaînées, de son orgueil. Et cela, avec mes propres mots, mes tours, mes anciens gestes, mes idées simplement retournées par elle afin de me contre dire – toute ma personnalité entrée jadis en elle, assimilée, incorporée. Et c'était une fois de plus la monstrueuse révolte de la créature contre son créateur. Car cette femme, c'est moi qui l'ai créée. Je l'avais trouvée, à l'origine, intelligente, mais sans culture ni pensée propre. Moi seul, j'ouvris son cerveau, ses yeux, tout son être, à la vie supérieure, à l'art, aux hautes émotions, à la nature, de même que j'avais ouvert son sexe à l'amour ! Seul je lui donnai les clés qui ouvrent les protes du mystère et de l'infini. Après quoi, elle me frappa avec ces mêmes clés magiques, qu'elle me devait !...

- Tout cela n'explique pas votre crime, interrompit le défenseur. Ce sont les ressentiments d'un âme justement fière, mais aussi les petites misères de la vie conjugale, qui sont inévitables et communes à tous.

L'avocat, qui était un peu lettré, ajouta d'un air satisfait : « Balzac a même fait un livre làdessus.

»

- Vous avez raison, reprit le prisonnier. C'est insuffisant pour excuser mon crime, même pour l'expliquer.

Mais il y a autre chose, dont je ne me suis pas rendu compte sur le moment même, mais qui s'est tout à coup précisé, imposa son évidence, ici, en prison, le jour où j'appris le décès de ma malheureuse femme. Non ! je ne voulais pas la tuer. Jamais je n'avais songé à la possibilité d'un crime contre elle.

J'étais résigné, tout à fait, n'attendant que de ma mort la fin de ces minimes supplices quotidiens…

Même le fatal jour, pas une fois l'idée du meurtre ne traversa mon esprit, avant la minute décisive que je vais vous dire, où cette idée m'apparut, en un éclair, tout à coup despotique, inéluctable implacable, comme née avec moi, consubstantielle à mon âme et déposée en elle de toute Éternité ! Certes, ce jour-là et plus que jamais, j'avais souffert. Après de nouvelles violences, j'étais sorti, le coeur déchiré, les yeux noyés d'insurmontables larmes. Ah ! être seul !

loin de la ville, des hommes, de la réalité, de la vie ! Je courus par la banlieue, loin très loin, là où les premiers champs commencent… La nuit venait… Je ne pensais plus à rien, désemparé, hagard, veule, comme un homme échappé à un incendie, à un coup de grisou dans la mine…

Tout à coup un train passa…

Le peintre avait prononcé cette phrase d'un ton étrange, sinistre. L'avocat sentit sur son visage comme un grand souffle glacé, le souffle d'une porte qui s'ouvre et va laisser passer le mystère qu'on attend… Instinctivement, il redoubla d'attention, tandis que son client poursuivait :

- Un train, vous entendez bien. Dans le soir déjà noir, un train, noir aussi. Il passa avec un bruit de désastre, poussant un cri déchirant. Moi, je ne remarquai qu'une seule chose : la lanterne audevant de la locomotive. Elle était rouge, d'un rouge affreux comme une blessure ronde et énorme… La nuit parut blessée. C'était du sang, cette grande tache rouge ! Oui ! la plaie saignait, mais à peine ; le sang se caillait ; puis soudain il sembla que le sang de cette lumière débordait ; la plaie rouge s'agrandit, se rapprocha, éclaboussa mes yeux, mes mains, tout mon corps, toute la campagne. Plaie immense ! Est-ce que la nuit allait mourir ? Or, à la même seconde, je conçus l'idée du meurtre. Aussitôt, je perçus que j'avais assez souffert, que ma femme était trop acariâtre vraiment, et trop cruelle ! En même temps je la revis – elle que la campagne me faisait oublier – mais ayant, sur elle aussi, une tache comme la lanterne de la locomotive. La lumière rouge m'achemina tout de suite au sang. Équation instantanée ! Je vis déjà la blessure, pareille au disque grandissant… l'instant d'auparavant, ce crime m'aurait semblé impossible ; il m'apparut inévitable et imminent, d'ailleurs…

Vous savez le reste, conclut le prisonnier. Je ne suis pas coupable. Il y eut là un effet des plus insondables analogies, des plus occultes puissances de l'inconscience… Je n'ai rien prémédité, ni même voulu. La faute en est au convoi, dont la lanterne m'a réellement suggestionné. C'est à la lettre que j'ai vu rouge.

Car malgré tout, j'aimais ma femme, acheva le peintre dans un nouveau sanglot. Et je l'aime encore ! Ah ! cette pitié de la mort qui efface toutes les laideurs ! Je ne la revois plus qu'avec ses robes du commencement, avec son âme du commencement !

L'avocat, en s'en retournant, songea qu'un tel système de défense serait bien compliqué devant un jury de bourgeois positifs. Les raisons mystérieuses des actes, la fatalité, l'hypnotisme, la suggestion, sont encore non admises en justice, et d'une démonstration, au surplus impossible.

Il plaiderait la folie de l'accusé, ce qui devenait, d'ailleurs, de plus en plus sa conviction. Peut-on admettre que le rouge d'une lanterne lui ait suggéré le rouge d'une blessure, et qu'il n'ait tué par la faute d'un convoi ? Un accès de démence était plus vraisemblable, et seule compréhensible pour la justice des hommes. Le reste regardait les poètes - et Dieu ! L'avocat sourit. Il venait, fier d'être un peu lettré, de penser intérieurement, et répéta tout haut, avec un geste de cour d'assises : « Dieu aussi est un poète ! »

Saisie du texte : Victoria


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