La Fabuleuse Epopée de Danvad Le Dodu
Enregistrement : Audiocite.net
Publication : 2020-03-16
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Photo: Pixabay
Musique : Piotr Ilitch Tchaïkovski
Orchestra Partitions
Swan Lake Op.20 - Act II Concl (extrait)
Swan Lake Op.20 - Act III Pt.1
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La fabuleuse épopée de Dañvad le Dodu écrit par Hélène du Gouezou Vraz Pour Mayonne, le confinement n'a pas beaucoup de sens, du moins vu du Gouezou. Elle a pris son vieux vélo ce matin, a enfilé son ciré, a rabattu sa capuche sur son nez et elle est partie au bourg, sous le crachin, pour aller voter. Elle a regardé de travers le flacon de gel hydro alcoolique à l'entrée, a froncé les sourcils devant les marquages au sol et ronchonné, après avoir glissé son enveloppe dans l'urne, devant le second flacon de gel. Puis elle a repris son vélo et la route qui relie le bourg au Gouezou, toujours en ronchonnant. Au Gouezou, tout est calme... si ce n'est la volée de moineaux, de mésanges et de petits enfants qui volent et courent dans le hameau en chantant et en riant. La perspective des vacances inattendues qui s'invitent dans cette fin d'hiver n'entame la bonne humeur de personne. Mayonne ôte son ciré et le remplace par sa blouse grise parsemée de fleurettes parme. Elle jette un oeil avisé sur le far qui cuit dans le four et se saisit de son balai. La traque impitoyable de la poussière et des moutons peut commencer. Les petits enfants rentrent dans la maison en courant et en criant, bottes crottées et écharpes humides, faisant voler en tous sens les moutons gris dans la cuisine. Les imprécations de la vieille dame les freinent bien un peu. « Mais pourquoi il y a encore de la poussière alors que tu as déjà passé le balai hier ? » s'étonne le plus jeune. Mayonne, vaincue, lâche son balai, s'assied dans son vieux fauteuil et commence ses explications : « Il était une fois, l'histoire authentique et véridique de Dañvad le Dodu, un des moutons de poussière du clan des Ulac'h du Gouezou. Dès le matin du monde des Ulac'h du Gouezou, Dañvad le Dodu suivait docilement le troupeau de ses compagnons au dos rond. Ils faisaient éternellement le même périple, le long des plinthes, silencieux et modestes comme doivent l'être les honnêtes poussières. C'était ni plus ni moins que le cheminement normal de ceux de son espèce : un destin paisible, qu'ils acceptaient sans plaintes et de bonne grâce. Et si parmi les poussières, être un mouton n'était pas rien, leur unique issue n'en était pas moins la Poubelle de Mayonne, comme tout un chacun en ce sol si bas. Ils n'atteignaient généralement ce sinistre au-delà qu'après de longues errances, mais il pouvait arriver que l'échéance fût plus soudaine. Ils campaient volontiers aux pieds de meubles protecteurs. Chaises ou tables étaient même des haltes obligatoires, et attrayantes. Par temps de ménage, c'est-à-dire chaque jour que Dieu faisait, il convenait toutefois d'être prudent. Un jour, alors qu'il bivouaquait tranquille à l'ombre protectrice du très vieux fauteuil de Mayonne, Dañvad le Dodu faillit bien être fauché par le Grand Balai. Heureusement, la tempête, quoique violente, fut brève et cette fois-ci au moins, il échappa à la Pelle. Comme il ne ressentait aucun appel pour elle, Dañvad le Dodu retint la leçon : ne jamais se relâcher, ne jamais se laisser aller au faux sentiment de sécurité qu'inspirent les meubles. Pour l'heure, il jugea préférable d'hiverner au dos du lit clos de Mayonne où l'amenèrent des courants d'air propices. Il y coula des jours heureux parmi les siens, car l'existence y était douce et paisible. Il serait bien resté là éternellement si sa nature aventureuse, ainsi qu'un sombre pressentiment, ne l'avaient poussé à quitter le giron du douillet refuge. Il fit bien, car tout le reste de la petite communauté succomba à un terrifiant nettoyage de Printemps. Il fut choqué du sort cruel de ses congénères et s'interrogea longuement sur l'état de poussière. Il était mouton, et comme tel, aurait dû accepter son devenir, aussi impitoyable fût-il ; mais il ne pouvait s'y résoudre et il décida de rester toujours maître de son destin, quoiqu'il advienne. Il s'en fit sur les dalles de schiste le serment solennel. Dañvad le Dodu reprit donc son périple, esseulé. Il traversa de lugubres déserts de parquets cirés, où il n'y avait poussière qui plane; il franchit un terrible couloir au carrelage aseptique et il faillit bien succomber à l'odeur nauséabonde d'un Nettoyant liquide javelisé. Il prit mille risques, courut mille dangers, connut l'enfer de la solitude, le désespoir et le doute. Mais le temps passant, vaille que vaille, il subsista jusqu'à des jours plus cléments. Des petits troupeaux se reconstituaient progressivement et il réussit même à en intégrer un, qui s'épanouissait dans une large encoignure accueillante. Il restait toutefois vigilant, car il savait que le Grand Balai ne prévenait guère quand l'heure du sacrifice sonnait. Il ne voulait en aucun cas être sa victime expiatoire, et ne désirait nullement connaître la Pelle et la Poubelle. S'il n'arrivait pas à partager l'innocente insouciance de ses jeunes compagnons, en retour, ceux-ci le considéraient avec méfiance, sentant intuitivement sa différence. Parmi eux, il était seul. Aussi, méditait-il longuement et se remémorait les vieilles légendes de grenier qui se racontaient à l'époque heureuse du lit-clos. Elles parlaient de Pièces où le Grand Balai passait si peu, que les troupeaux pouvaient s'épanouir sans risques dans de grands espaces libres. Ils prospéraient d'une cloison à l'autre sans entraves et leur peuple ondulait paisiblement au gré d'un courant d'air maternel, formant comme un océan mouvant de fraternelles poussières. Dañvad le Dodu était convaincu qu'il ne s'agissait pas de légendes et qu'un tel éden existait quelque part. Il élaborait de folles théories et imaginait des univers parallèles, qu'il nommait "Maisons". Il les pressentait multiples, divers et variés. Certains étaient idylliques, où les moutons étaient maîtres de l'espace intermobilier, où les cieux étaient constellés de myriades de particules volant dans des rayons de soleil, où la petite-fine côtoyait en paix la duveteuse, où la poussière était heureuse. D'autres étaient des mondes démoniaques, où le courroux vengeur du Grand Balai était quotidien, où sévissaient les abominables dieux prédateurs d'une mythologie terrifiante, tel le tonitruant Aspirateur, la perfide Cireuse ou bien encore l'immonde Centrale Vapeur. Cependant le temps passait et le troupeau prospérait. Tous les jours, de nouveaux moutons venaient le grossir et ils racontaient que partout, ils avaient vu la même abondance. D'autres, régulièrement, reprenaient l'éternelle transhumance, et Dañvad le Dodu était tenté de les suivre. Il savait que le temps allait bientôt tourner au Nettoyage, et il se demandait s'il ne serait pas prudent d'aller quérir un lieu mieux abrité et plus sûr que cette encoignure trop dégagée. Il n'en fit pourtant rien. Si quelque chose devait arriver, il était prêt. Il attendrait son destin. Et ce fut le Balayage : terrible et soudain. Le vent du Ménage soufflait plus ravageur et plus vengeur que jamais. Le Grand Balai de Mayonne, sans ménagement, déplaçait à sa convenance les poussières impuissantes. Il allait et venait inlassablement, grossissant le tas des captives anéanties. Dañvad le Dodu savait que la Pelle n'était jamais très loin en de telles circonstances, mais ne céda aucunement à la panique. Il n'allait pas se laisser mener à la Poubelle comme une vulgaire petite-fine, il n'allait pas non plus fuir, comme l'aérienne particule. Il en avait assez de subir craintivement les événements et il était déterminé à agir. Sereinement, il apprécia la chorégraphie subtile du Balai, allant au passage jusqu'à lui trouver une certaine grâce. Il étudia sa logique froide et sans état d'âme, en interpréta le mouvement perpétuel, en démonta le mécanisme infernal, et quand le Grand Balai arriva sur lui prêt à l'emporter, il ne broncha point. Au dernier instant, il envisagea bien de surfer sur le rouleau de vent qui précède le Coup de Balai, afin d'échapper au piège redoutable; mais n'en fit rien. Au lieu de cela, avec la complicité désintéressée d'un remous d'air, il surmonta l'obstacle déferlant, s'éleva au-dessus de lui, et au passage s'accrocha à un poil particulièrement hérissé du Balai. Il se cramponna et résistant à la force du vent qui menaçait de le désarçonner, parvint à s'agripper solidement à la base du manche. Aussi improbable, aussi stupéfiant que cela puisse paraître, le fait était là, irréfutable : Il chevauchait le Grand Balai ! Les moutons étaient sidérés de son audace scandaleuse, effarés de sa prétention, tétanisés d'horreur, et fortement réprobateurs. Une telle attitude immodeste, et indigne d'un mouton, était proprement inconcevable. Mais Dañvad le Dodu s'en moquait éperdument : saoulé de vitesse, ivre de mouvement, il était gorgé de fierté et gonflé de bonheur. Il tutoyait les dieux. Mais quand arriva le moment où le tas de ses captives congénères fut présenté à la Pelle, il fut instantanément dégrisé. Il assista impuissant au transport des moutons en extase vers l'au-dedans, vers les profondeurs insondables de la Poubelle. Il n'y avait chez eux nulle révolte, nul regret. Bien au contraire, ils semblaient comme soulagés, bienheureux. À l'instant du grand saut ils étaient poussières, et ils le resteraient, en paix au fond du sac noir qui allait les mener jusqu'à l'incinérateur au terme d'un long et sombre périple aveugle. Cela bien sûr ils l'ignoraient ; mais quand bien même l'auraient-ils su, ils n'auraient pas bronché plus que cela ; et il n'est d'ailleurs pas irraisonnable de penser qu'ils auront fait de très honorables et très honnêtes cendres. Mais ceci est une autre histoire... Pour Dañvad le Dodu, les choses n'en restèrent pas là. Le Balai reprit sa course acharnée. Commença alors un voyage cauchemardesque et dantesque à travers des pièces entières. Et c'était toujours le même implacable scénario qui se terminait toujours par la même scène : trois coups de balai, tous en Pelle et direction le grand seau à ordures ; pas de rappel possible ; fin du ballet. Dañvad le Dodu était épouvanté et il aurait volontiers décroché du manche, pour aller se terrer sous quelque meuble, mais il craignait le coup du Balai ; et pour tour dire, il était pétrifié de peur. Il n'était plus maintenant le fier conquérant qu'il fut auparavant ; il n'était qu'une poussière de misère, dépassée par des événements qui allaient trop vite. Il regrettait amèrement ses égarements et ravalait ses folles prétentions. Il s'attendait à tout, mais surtout, il attendait la fin. Pourtant quand ils vinrent à passer devant une Porte-fenêtre béante et dégorgeant des flots d'une lumière divine, il vit de toute évidence, un signe, un appel auquel il ne devait pas résister. Il saisit le sens du message, ainsi que sa chance et par un courant ascendant latéral, se dégagea du Balai prestement et sans remords. Sa nature aventureuse, un moment refoulée, reprit le dessus et quand la fraîche brise matinale l'aspira vers l'Extérieur, c'est un mouton libre et heureux qui s'éleva vers les cieux infinis. L'aventure allait commencer... » Mayonne a servi aux petits enfants songeurs, les yeux balayant les plinthes à la recherche de Dañvad le Dodu, le far tout chaud pour le goûter et elle a soupiré, levant les yeux au ciel: "On dit aussi que les souris naissent de la poussière". Mais c'est une autre histoire.
Source: http://www.gouezou.canalblog.com/
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