Le rossignol et la rose
Enregistrement : Audiocite.net
Publication : 2009-11-23
Lu par Elena Bulavina
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LE ROSSIGNOL ET LA ROSE
--Elle a dit qu'elle danserait avec moi si je lui apportais des roses
rouges, gémissait le jeune étudiant, mais dans tout mon jardin il n'y a
pas une rose rouge.
De son nid dans l'yeuse, le rossignol l'entendit.
Il regarda à travers les feuilles et s'émerveilla.
--Pas de roses rouges dans tout mon jardin! criait l'étudiant.
Et ses beaux yeux se remplissaient de larmes.
--Ah! de quelle chose minime dépend le bonheur! J'ai lu tout ce que les
sages ont écrit; je possède tous les secrets de la philosophie et faute
d'une rose rouge voilà ma vie brisée.
--Voici enfin l'amoureux vrai, dit le rossignol. Toutes les nuits je
l'ai chanté, quoique je ne le connusse pas; toutes les nuits je redis
son histoire aux étoiles, et maintenant je le vois. Sa chevelure est
foncée comme la fleur de la jacinthe et ses lèvres sont rouges comme
la rose qu'il désire, mais la passion a rendu son visage pâle comme
l'ivoire et le chagrin a mis son sceau sur son front.
--Le prince donne un bal demain soir, murmurait le jeune étudiant et mes
amours seront de la fête. Si je lui apporte une rose rouge, elle dansera
avec moi jusqu'au point du jour. Si je lui apporte une rose rouge, je la
serrerai dans mes bras. Elle inclinera sa tête sur mon épaule et sa main
étreindra la mienne. Mais il n'y a pas de roses rouges dans mon jardin.
Alors je demeurerai seul et elle me négligera. Elle ne fera nulle
attention à moi et mon coeur se brisera.
--Voilà bien l'amoureux vrai, dit le rossignol. Il souffre tout ce que
je chante: tout ce qui est joie pour moi est peine pour lui. Sûrement
l'amour est une merveilleuse chose, plus précieuse que les émeraudes et
plus chère que les fines opales. Perles et grenades ne peuvent le payer,
car il ne paraît pas sur le marché. On ne peut l'acheter au marchand ni
le peser dans une balance pour l'acquérir au poids de l'or.
--Les musiciens se tiendront sur leur estrade, disait le jeune étudiant.
Ils joueront de leurs instruments à cordes et mes amours danseront au
son de la harpe et du violon. Elle dansera si légèrement que son pied
ne touchera pas le parquet et les gens de la cour en leurs gais atours
s'empresseront autour d'elle, mais avec moi elle ne dansera pas, car je
n'ai pas de roses rouges à lui donner.
Et il se jetait sur le gazon, plongeait son visage dans ses mains et
pleurait.
--Pourquoi pleure-t-il? demandait un petit lézard vert, comme il courait
près de lui, sa queue en l'air.
--Mais pourquoi? disait un papillon qui voletait à la poursuite d'un
rayon de soleil.
--Mais pourquoi donc? murmura une pâquerette à sa voisine d'une douce
petite voix.
--Il pleure à cause d'une rose rouge.
--A cause d'une rose rouge. Comme c'est ridicule!
Et le petit lézard, qui était un peu cynique, rit à gorge déployée.
Mais le rossignol comprit le secret des douleurs de l'étudiant, demeura
silencieux sur l'yeuse et réfléchit au mystère de l'amour.
Soudain il déploya ses ailes brunes pour s'envoler et prit son essor.
Il passa à travers le bois comme une ombre et, comme une ombre, il
traversa le jardin.
Au centre du parterre se dressait un beau rosier et, quand il le vit, il
vola vers lui et se campa sur une menue branche.
--Donnez-moi une rose rouge, cria-t-il, et je vous chanterai mes plus
douces chansons.
Mais le rosier secoua sa tête.
--Mes roses sont blanches, répondit-il, blanches comme l'écume de la mer
et plus blanches que la neige dans la montagne. Mais allez trouver
mon frère qui croît autour du vieux cadran solaire et peut-être vous
donnera-t-il ce que vous demandez.
Alors le rossignol vola au rosier qui croissait autour du vieux cadran
solaire.
--Donnez-moi une rose rouge lui cria-t-il, et je vous chanterai mes plus
douces chansons.
Mais le rosier secoua sa tête.
--Mes roses sont jaunes, répondit-il, aussi jaunes que les cheveux des
sirènes qui s'assoient sur un tronc d'arbre, plus jaunes que le narcisse
qui fleurit dans les prés, avant que le faucheur ne vienne avec sa faux.
Mais allez vers mon frère qui croît sous la fenêtre de l'étudiant et
peut-être vous donnera-t-il ce que vous demandez.
Alors le rossignol vola au rosier qui grandissait sous la fenêtre de
l'étudiant.
--Donnez-moi une rose rouge, cria-t-il, et je vous chanterai mes plus
douces chansons.
Mais l'arbre secoua sa tête.
--Mes roses sont rouges, répondit-il, aussi rouges que les pattes des
colombes et plus rouges que les grands éventails de corail que l'océan
berce dans ses abîmes, mais l'hiver a glacé mes veines, la gelée a
flétri mes boutons, l'ouragan a brisé mes branches et je n'aurai plus de
roses de toute l'année.
--Il ne me faut qu'une rose rouge, cria le rossignol, une seule rose
rouge. N'y a-t-il pas quelque moyen que j'en aie une?
--Il y a un moyen, répondit le rosier, mais il est si terrible que je
n'ose vous le dire.
--Dites-le moi, fit le rossignol. Je ne suis pas timide.
--S'il vous faut une rose rouge, dit le rosier, vous devez la bâtir de
notes de musique au clair de lune et la teindre du sang de votre propre
coeur. Vous chanterez pour moi, votre gorge appuyée à des épines. Toute
la nuit vous chanterez pour moi et les épines vous perceront le coeur:
votre sang vital coulera dans mes veines et deviendra le mien.
--La mort est un grand prix pour une rose rouge, répliqua le rossignol,
et tout le monde aime la vie. Il est doux de se percher dans le bois
verdissant, de regarder le soleil dans son char d'or et la lune dans son
char de perles. Elle est douce, l'odeur des buissons d'aubépines. Elles
sont douces, les clochettes bleues qui se cachent dans la vallée et les
bruyères qui couvrent la colline. Pourtant, l'amour est meilleur que la
vie et qu'est-ce que le coeur d'un oiseau comparé au coeur d'un homme?
Alors il déploya ses ailes brunes et prit son essor dans l'air. Il passa
à travers le jardin comme une ombre et, comme une ombre, il traversa le
bois.
Le jeune étudiant était toujours couché sur le gazon là où le rossignol
l'avait laissé et les larmes n'avaient pas encore séché dans ses beaux
yeux.
--Soyez heureux, lui cria le rossignol, soyez heureux, vous aurez votre
rose rouge. Je la bâtirai de notes de musique au clair de lune et la
teindrai du sang de mon propre coeur. Tout ce que je vous demanderai en
retour, c'est que vous soyez un amoureux vrai, car l'amour est plus
sage que la philosophie, quoiqu'elle soit sage, et plus fort que la
puissance, quoiqu'elle soit forte. Ses ailes sont couleur de feu et son
corps couleur de flammes, ses lèvres sont douces comme le miel et son
haleine est comme l'encens.
L'étudiant leva les yeux du gazon, tendit l'oreille, mais il ne put
comprendre ce que lui disait le rossignol, car il ne savait que les
choses qui sont écrites dans les livres.
Mais l'yeuse comprit et s'attrista, car il aimait beaucoup le petit
rossignol qui avait bâti son nid dans ses branches.
--Chantez-moi une dernière chanson, murmura-t-il. Je serai si triste
quand vous serez parti.
Alors le rossignol chanta pour l'yeuse et sa voix était comme l'eau
jaseuse d'une fontaine argentine.
Quand il eut fini sa chanson, l'étudiant se releva et tira son calepin
et son crayon de sa poche.
--Le rossignol, se disait-il en se promenant par l'allée, le rossignol a
une indéniable beauté, mais a-t-il du sentiment? Je crains que non. En
fait, il est comme beaucoup d'artistes, il est tout style, sans nulle
sincérité. Il ne se sacrifie pas pour les autres. Il ne pense qu'à la
musique et, tout le monde le sait, l'art est égoïste. Certes, on ne peut
contester que sa voix a de fort belles notes. Quel malheur que tout cela
n'ait aucun sens, ne vise aucun but pratique.
Et il se rendit dans sa chambre, se coucha sur son petit grabat et se
mit à penser à ses amours.
Un peu après, il s'endormit.
Et, quand la lune brillait dans les cieux, le rossignol vola au rosier
et plaça sa gorge contre les épines.
Toute la nuit, il chanta sa gorge appuyée contre les épines et la froide
lune cristalline s'arrêta et écouta toute la nuit.
Toute la nuit, il chanta et les épines pénétraient de plus en plus avant
dans sa gorge et son sang vital fluait hors de son corps.
D'abord, il chanta la naissance de l'amour dans le coeur d'un garçon et
d'une fille et, sur la plus haute ramille du rosier, fleurit une rose
merveilleuse, pétale après pétale, comme une chanson suivait une
chanson.
D'abord, elle était pâle comme la brume qui flotte sur la rivière, pâle
comme les pieds du matin et argentée comme les ailes de l'aurore.
La rose, qui fleurissait sur la plus haute ramille du rosier, semblait
l'ombre d'une rose dans un miroir d'argent, l'ombre d'une rose dans un
lac.
Mais le rosier cria au rossignol de se presser plus étroitement contre
les épines.
--Pressez-vous plus étroitement, petit rossignol, disait le rosier, ou
le jour reviendra avant que la rose ne soit terminée.
Alors le rossignol se pressa plus étroitement contre les épines et son
chant coula plus éclatant, car il chantait comment éclot la passion dans
l'âme de l'homme et d'une vierge.
Et une délicate rougeur parut sur les pétales de la rose comme rougit le
visage d'un fiancé qui baise les lèvres de sa fiancée.
Mais les épines n'avaient pas encore atteint le coeur du rossignol,
aussi le coeur de la rose demeurait blanc, car le sang seul d'un
rossignol peut empourprer le coeur d'une rose.
Et la rose cria au rossignol de se presser plus étroitement contre les
épines.
--Pressez-vous plus étroitement, petit rossignol, disait-il, ou le jour
surviendra avant que la rose ne soit terminée.
Alors le rossignol se pressa plus étroitement contre les épines, et les
épines touchèrent son coeur, et en lui se développa un cruel tourment de
douleur.
Plus amère, plus amère était la douleur, plus impétueux, plus impétueux
jaillissait son chant, car il chantait l'amour parfait par la mort,
l'amour qui ne meurt pas dans la tombe.
Et la rose merveilleuse s'empourpra comme les roses du Bengale. Pourpre
était la couleur des pétales et pourpre comme un rubis était le coeur.
Mais la voix du rossignol faiblit. Ses petites ailes commencèrent à
battre et un nuage s'étendit sur ses yeux.
Son chant devint de plus en plus faible. Il sentit que quelque chose
l'étouffait à la gorge.
Alors son chant lança un dernier éclat.
La blanche lune l'entendit et elle oublia l'aurore et s'attarda dans le
ciel.
La rose rouge l'entendit; elle trembla toute d'extase et ouvrit ses
pétales à l'air froid du matin.
L'écho l'emporta vers sa caverne pourpre sur les collines et éveilla de
leurs rêves les troupeaux endormis.
Le chant flotta parmi les roseaux de la rivière et ils portèrent son
message à la mer.
--Voyez, voyez, cria le rosier, voici que la rose est finie.
Mais le rossignol ne répondit pas: il était couché dans les hautes
graminées, mort le coeur transpercé d'épines.
A midi, l'étudiant ouvrit sa fenêtre et regarda au dehors.
--Quelle étrange bonne fortune! s'écria-t-il, voici une rose rouge! Je
n'ai jamais vu pareille rose dans ma vie. Elle est si belle que je suis
sûr qu'elle doit avoir en latin un nom compliqué.
Et il se pencha et la cueillit.
Alors il mit son chapeau et courut chez le professeur, sa rose à la
main.
La fille du professeur était assise sur le pas de la porte. Elle
dévidait de la soie bleue sur une bobine et son petit chien était couché
à ses pieds.
--Vous aviez dit que vous danseriez avec moi si je vous apportais une
rose rouge, lui dit l'étudiant. Voilà la rose la plus rouge du monde.
Ce soir, vous la placerez près de votre coeur et, quand nous danserons
ensemble, elle vous dira combien je vous aime.
Mais la jeune fille fronça les sourcils.
--Je crains que cette rose n'aille pas avec ma robe, répondit-elle.
D'ailleurs le neveu du chambellan m'a envoyé quelques vrais bijoux et
chacun sait que les bijoux coûtent plus que les fleurs.
--Oh! ma parole, vous êtes une ingrate! dit l'étudiant d'un ton colère.
Et il jeta la rose dans la rue où elle tomba dans le ruisseau.
Une lourde charrette l'écrasa.
--Ingrate! fit la jeune fille. Je vous dirai que vous êtes bien mal
élevé. Et qu'êtes-vous après tout? un simple étudiant. Peuh! je ne crois
pas que vous ayez jamais de boucles d'argent à vos souliers comme en a
le neveu du chambellan.
Et elle se leva de sa chaise et rentra dans la maison.
--Quelle niaiserie que l'amour! disait l'étudiant en revenant sur ses
pas. Il n'est pas la moitié aussi utile que la logique, car il ne peut
rien prouver et il parle toujours de choses qui n'arriveront pas et fait
croire aux gens des choses qui ne sont pas vraies. Bref, il n'est pas du
tout pratique et comme à notre époque le tout est d'être pratique, je
vais revenir à la philosophie et étudier la métaphysique.
Là dessus, l'étudiant retourna dans sa chambre, ouvrit un grand livre
poudreux et se mit à lire.
Source: Project Gutenberg
--Elle a dit qu'elle danserait avec moi si je lui apportais des roses
rouges, gémissait le jeune étudiant, mais dans tout mon jardin il n'y a
pas une rose rouge.
De son nid dans l'yeuse, le rossignol l'entendit.
Il regarda à travers les feuilles et s'émerveilla.
--Pas de roses rouges dans tout mon jardin! criait l'étudiant.
Et ses beaux yeux se remplissaient de larmes.
--Ah! de quelle chose minime dépend le bonheur! J'ai lu tout ce que les
sages ont écrit; je possède tous les secrets de la philosophie et faute
d'une rose rouge voilà ma vie brisée.
--Voici enfin l'amoureux vrai, dit le rossignol. Toutes les nuits je
l'ai chanté, quoique je ne le connusse pas; toutes les nuits je redis
son histoire aux étoiles, et maintenant je le vois. Sa chevelure est
foncée comme la fleur de la jacinthe et ses lèvres sont rouges comme
la rose qu'il désire, mais la passion a rendu son visage pâle comme
l'ivoire et le chagrin a mis son sceau sur son front.
--Le prince donne un bal demain soir, murmurait le jeune étudiant et mes
amours seront de la fête. Si je lui apporte une rose rouge, elle dansera
avec moi jusqu'au point du jour. Si je lui apporte une rose rouge, je la
serrerai dans mes bras. Elle inclinera sa tête sur mon épaule et sa main
étreindra la mienne. Mais il n'y a pas de roses rouges dans mon jardin.
Alors je demeurerai seul et elle me négligera. Elle ne fera nulle
attention à moi et mon coeur se brisera.
--Voilà bien l'amoureux vrai, dit le rossignol. Il souffre tout ce que
je chante: tout ce qui est joie pour moi est peine pour lui. Sûrement
l'amour est une merveilleuse chose, plus précieuse que les émeraudes et
plus chère que les fines opales. Perles et grenades ne peuvent le payer,
car il ne paraît pas sur le marché. On ne peut l'acheter au marchand ni
le peser dans une balance pour l'acquérir au poids de l'or.
--Les musiciens se tiendront sur leur estrade, disait le jeune étudiant.
Ils joueront de leurs instruments à cordes et mes amours danseront au
son de la harpe et du violon. Elle dansera si légèrement que son pied
ne touchera pas le parquet et les gens de la cour en leurs gais atours
s'empresseront autour d'elle, mais avec moi elle ne dansera pas, car je
n'ai pas de roses rouges à lui donner.
Et il se jetait sur le gazon, plongeait son visage dans ses mains et
pleurait.
--Pourquoi pleure-t-il? demandait un petit lézard vert, comme il courait
près de lui, sa queue en l'air.
--Mais pourquoi? disait un papillon qui voletait à la poursuite d'un
rayon de soleil.
--Mais pourquoi donc? murmura une pâquerette à sa voisine d'une douce
petite voix.
--Il pleure à cause d'une rose rouge.
--A cause d'une rose rouge. Comme c'est ridicule!
Et le petit lézard, qui était un peu cynique, rit à gorge déployée.
Mais le rossignol comprit le secret des douleurs de l'étudiant, demeura
silencieux sur l'yeuse et réfléchit au mystère de l'amour.
Soudain il déploya ses ailes brunes pour s'envoler et prit son essor.
Il passa à travers le bois comme une ombre et, comme une ombre, il
traversa le jardin.
Au centre du parterre se dressait un beau rosier et, quand il le vit, il
vola vers lui et se campa sur une menue branche.
--Donnez-moi une rose rouge, cria-t-il, et je vous chanterai mes plus
douces chansons.
Mais le rosier secoua sa tête.
--Mes roses sont blanches, répondit-il, blanches comme l'écume de la mer
et plus blanches que la neige dans la montagne. Mais allez trouver
mon frère qui croît autour du vieux cadran solaire et peut-être vous
donnera-t-il ce que vous demandez.
Alors le rossignol vola au rosier qui croissait autour du vieux cadran
solaire.
--Donnez-moi une rose rouge lui cria-t-il, et je vous chanterai mes plus
douces chansons.
Mais le rosier secoua sa tête.
--Mes roses sont jaunes, répondit-il, aussi jaunes que les cheveux des
sirènes qui s'assoient sur un tronc d'arbre, plus jaunes que le narcisse
qui fleurit dans les prés, avant que le faucheur ne vienne avec sa faux.
Mais allez vers mon frère qui croît sous la fenêtre de l'étudiant et
peut-être vous donnera-t-il ce que vous demandez.
Alors le rossignol vola au rosier qui grandissait sous la fenêtre de
l'étudiant.
--Donnez-moi une rose rouge, cria-t-il, et je vous chanterai mes plus
douces chansons.
Mais l'arbre secoua sa tête.
--Mes roses sont rouges, répondit-il, aussi rouges que les pattes des
colombes et plus rouges que les grands éventails de corail que l'océan
berce dans ses abîmes, mais l'hiver a glacé mes veines, la gelée a
flétri mes boutons, l'ouragan a brisé mes branches et je n'aurai plus de
roses de toute l'année.
--Il ne me faut qu'une rose rouge, cria le rossignol, une seule rose
rouge. N'y a-t-il pas quelque moyen que j'en aie une?
--Il y a un moyen, répondit le rosier, mais il est si terrible que je
n'ose vous le dire.
--Dites-le moi, fit le rossignol. Je ne suis pas timide.
--S'il vous faut une rose rouge, dit le rosier, vous devez la bâtir de
notes de musique au clair de lune et la teindre du sang de votre propre
coeur. Vous chanterez pour moi, votre gorge appuyée à des épines. Toute
la nuit vous chanterez pour moi et les épines vous perceront le coeur:
votre sang vital coulera dans mes veines et deviendra le mien.
--La mort est un grand prix pour une rose rouge, répliqua le rossignol,
et tout le monde aime la vie. Il est doux de se percher dans le bois
verdissant, de regarder le soleil dans son char d'or et la lune dans son
char de perles. Elle est douce, l'odeur des buissons d'aubépines. Elles
sont douces, les clochettes bleues qui se cachent dans la vallée et les
bruyères qui couvrent la colline. Pourtant, l'amour est meilleur que la
vie et qu'est-ce que le coeur d'un oiseau comparé au coeur d'un homme?
Alors il déploya ses ailes brunes et prit son essor dans l'air. Il passa
à travers le jardin comme une ombre et, comme une ombre, il traversa le
bois.
Le jeune étudiant était toujours couché sur le gazon là où le rossignol
l'avait laissé et les larmes n'avaient pas encore séché dans ses beaux
yeux.
--Soyez heureux, lui cria le rossignol, soyez heureux, vous aurez votre
rose rouge. Je la bâtirai de notes de musique au clair de lune et la
teindrai du sang de mon propre coeur. Tout ce que je vous demanderai en
retour, c'est que vous soyez un amoureux vrai, car l'amour est plus
sage que la philosophie, quoiqu'elle soit sage, et plus fort que la
puissance, quoiqu'elle soit forte. Ses ailes sont couleur de feu et son
corps couleur de flammes, ses lèvres sont douces comme le miel et son
haleine est comme l'encens.
L'étudiant leva les yeux du gazon, tendit l'oreille, mais il ne put
comprendre ce que lui disait le rossignol, car il ne savait que les
choses qui sont écrites dans les livres.
Mais l'yeuse comprit et s'attrista, car il aimait beaucoup le petit
rossignol qui avait bâti son nid dans ses branches.
--Chantez-moi une dernière chanson, murmura-t-il. Je serai si triste
quand vous serez parti.
Alors le rossignol chanta pour l'yeuse et sa voix était comme l'eau
jaseuse d'une fontaine argentine.
Quand il eut fini sa chanson, l'étudiant se releva et tira son calepin
et son crayon de sa poche.
--Le rossignol, se disait-il en se promenant par l'allée, le rossignol a
une indéniable beauté, mais a-t-il du sentiment? Je crains que non. En
fait, il est comme beaucoup d'artistes, il est tout style, sans nulle
sincérité. Il ne se sacrifie pas pour les autres. Il ne pense qu'à la
musique et, tout le monde le sait, l'art est égoïste. Certes, on ne peut
contester que sa voix a de fort belles notes. Quel malheur que tout cela
n'ait aucun sens, ne vise aucun but pratique.
Et il se rendit dans sa chambre, se coucha sur son petit grabat et se
mit à penser à ses amours.
Un peu après, il s'endormit.
Et, quand la lune brillait dans les cieux, le rossignol vola au rosier
et plaça sa gorge contre les épines.
Toute la nuit, il chanta sa gorge appuyée contre les épines et la froide
lune cristalline s'arrêta et écouta toute la nuit.
Toute la nuit, il chanta et les épines pénétraient de plus en plus avant
dans sa gorge et son sang vital fluait hors de son corps.
D'abord, il chanta la naissance de l'amour dans le coeur d'un garçon et
d'une fille et, sur la plus haute ramille du rosier, fleurit une rose
merveilleuse, pétale après pétale, comme une chanson suivait une
chanson.
D'abord, elle était pâle comme la brume qui flotte sur la rivière, pâle
comme les pieds du matin et argentée comme les ailes de l'aurore.
La rose, qui fleurissait sur la plus haute ramille du rosier, semblait
l'ombre d'une rose dans un miroir d'argent, l'ombre d'une rose dans un
lac.
Mais le rosier cria au rossignol de se presser plus étroitement contre
les épines.
--Pressez-vous plus étroitement, petit rossignol, disait le rosier, ou
le jour reviendra avant que la rose ne soit terminée.
Alors le rossignol se pressa plus étroitement contre les épines et son
chant coula plus éclatant, car il chantait comment éclot la passion dans
l'âme de l'homme et d'une vierge.
Et une délicate rougeur parut sur les pétales de la rose comme rougit le
visage d'un fiancé qui baise les lèvres de sa fiancée.
Mais les épines n'avaient pas encore atteint le coeur du rossignol,
aussi le coeur de la rose demeurait blanc, car le sang seul d'un
rossignol peut empourprer le coeur d'une rose.
Et la rose cria au rossignol de se presser plus étroitement contre les
épines.
--Pressez-vous plus étroitement, petit rossignol, disait-il, ou le jour
surviendra avant que la rose ne soit terminée.
Alors le rossignol se pressa plus étroitement contre les épines, et les
épines touchèrent son coeur, et en lui se développa un cruel tourment de
douleur.
Plus amère, plus amère était la douleur, plus impétueux, plus impétueux
jaillissait son chant, car il chantait l'amour parfait par la mort,
l'amour qui ne meurt pas dans la tombe.
Et la rose merveilleuse s'empourpra comme les roses du Bengale. Pourpre
était la couleur des pétales et pourpre comme un rubis était le coeur.
Mais la voix du rossignol faiblit. Ses petites ailes commencèrent à
battre et un nuage s'étendit sur ses yeux.
Son chant devint de plus en plus faible. Il sentit que quelque chose
l'étouffait à la gorge.
Alors son chant lança un dernier éclat.
La blanche lune l'entendit et elle oublia l'aurore et s'attarda dans le
ciel.
La rose rouge l'entendit; elle trembla toute d'extase et ouvrit ses
pétales à l'air froid du matin.
L'écho l'emporta vers sa caverne pourpre sur les collines et éveilla de
leurs rêves les troupeaux endormis.
Le chant flotta parmi les roseaux de la rivière et ils portèrent son
message à la mer.
--Voyez, voyez, cria le rosier, voici que la rose est finie.
Mais le rossignol ne répondit pas: il était couché dans les hautes
graminées, mort le coeur transpercé d'épines.
A midi, l'étudiant ouvrit sa fenêtre et regarda au dehors.
--Quelle étrange bonne fortune! s'écria-t-il, voici une rose rouge! Je
n'ai jamais vu pareille rose dans ma vie. Elle est si belle que je suis
sûr qu'elle doit avoir en latin un nom compliqué.
Et il se pencha et la cueillit.
Alors il mit son chapeau et courut chez le professeur, sa rose à la
main.
La fille du professeur était assise sur le pas de la porte. Elle
dévidait de la soie bleue sur une bobine et son petit chien était couché
à ses pieds.
--Vous aviez dit que vous danseriez avec moi si je vous apportais une
rose rouge, lui dit l'étudiant. Voilà la rose la plus rouge du monde.
Ce soir, vous la placerez près de votre coeur et, quand nous danserons
ensemble, elle vous dira combien je vous aime.
Mais la jeune fille fronça les sourcils.
--Je crains que cette rose n'aille pas avec ma robe, répondit-elle.
D'ailleurs le neveu du chambellan m'a envoyé quelques vrais bijoux et
chacun sait que les bijoux coûtent plus que les fleurs.
--Oh! ma parole, vous êtes une ingrate! dit l'étudiant d'un ton colère.
Et il jeta la rose dans la rue où elle tomba dans le ruisseau.
Une lourde charrette l'écrasa.
--Ingrate! fit la jeune fille. Je vous dirai que vous êtes bien mal
élevé. Et qu'êtes-vous après tout? un simple étudiant. Peuh! je ne crois
pas que vous ayez jamais de boucles d'argent à vos souliers comme en a
le neveu du chambellan.
Et elle se leva de sa chaise et rentra dans la maison.
--Quelle niaiserie que l'amour! disait l'étudiant en revenant sur ses
pas. Il n'est pas la moitié aussi utile que la logique, car il ne peut
rien prouver et il parle toujours de choses qui n'arriveront pas et fait
croire aux gens des choses qui ne sont pas vraies. Bref, il n'est pas du
tout pratique et comme à notre époque le tout est d'être pratique, je
vais revenir à la philosophie et étudier la métaphysique.
Là dessus, l'étudiant retourna dans sa chambre, ouvrit un grand livre
poudreux et se mit à lire.
Source: Project Gutenberg
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