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Illustration: Le jeu des petites gens en 64 contes sots. Contes 11 à 20 - Louis Delattre

Le jeu des petites gens en 64 contes sots. Contes 11 à 20

(Version Intégrale)

Enregistrement : Audiocite.net
Publication : 2015-11-18

Lu par Sabine
Livre audio de 32min
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Musique : http://incompetech.com/music/royalty-free/ :
Contes 11 ;13 ; 20 : Modern piano Zeta
Conte 15 : barroom ballet.
Conte 19 : Impromptu in Blue.
Autres contes: bruitages http://www.universal-soundbank.com/
Illustration Pixabay


Louis Delattre est un auteur belge né à Fontaine-l'Évêque le 24 juin 1870 et décédé le 18 décembre 1938. - Chroniqueur médical et diététique à la radio et au journal "Le Soir" et médecin de prison. - Auteur de contes, de pièces de théâtre et d'essais. - Cofondateur des éditions du Coq Rouge.
Hubert Krains le qualifia d'écrivain régionaliste « exprimant l'âme de la Wallonie sans mesquineries ni petitesses. » 

11. Le ticket
12. La prairie
13. Le genou serré
14. Les tripes
15. L'hôte
16. Les deux frères
17. Les nouvelles
18. Le pouilleux
19. L'orfèvre
20. L'oreiller

LE TICKET

AVANT de partir, car il en est temps, je vous dirai encore une histoire que les marchands content pour se distraire de l’ennui des tables d’hôte où la chère est mauvaise. De marchand à marchand, il n’y a que la main.

A Bruges, un jour après dîner, grande assemblée de ces diserts chevaliers de la marmotte s’amusait à détailler à un nouveau venu de la confrérie, nicaise un peu, les trucs, tours de mains, gratteries et secrets de leur franc-maçonnerie.

- Tout ceci est entre nous, n’est-ce pas ? dit enfin un farceur en guise de conclusion. Monsieur comprend, du reste, que la divulgation de nos mystères aux profanes réduirait à néant les avantages qui y sont attachés.

- Comment donc ! s’écria le jeune homme. Mon intérêt lui-même me coud la bouche.

- Voilà qui est parler ! A un homme de votre bon sens et de votre discrétion, je crois que Messieurs mes honorables confrères me permettront...

- Parlez ! parlez ! cria unanimement la tablée.

- Me permettront de ne pas différer plus longtemps l’initiation complète.

- Dites-lui tout ! Il est nôtre !

- Je vais donc, Monsieur, vous procurer le moyen de réduire de moitié la plus onéreuse de vos dépenses.

- Il le mérite.

- Le moyen d’obtenir à demi-prix vos billets de chemin de fer.

- Cinquante pour cent de réduction ? demanda avec intérêt le nouveau voyageur.

- Cinquante pour cent.

- Diantre ! Et comment ca ?

- Voici. Toutes et quantes fois que vous vous présenterez dorénavant aux guichets du chemin de fer, vous n’avez, en désignant le ticket qu’il vous faut, qu’à vous pencher le plus près possible du préposé, et, le regardant fixement dans les yeux, passer votre index, comme cela, sous votre nez, et faire : Frrt. Allez-y résolument, surtout pour vos débuts ; que votre hésitation ne laisse pas remarquer que vous en êtes à vos premiers pas dans la carrière. L’homme comprendra, et, vous reconnaissant pour initié, vous délivrera le coupon au rabais.

Fichtre ! notre bon jeune homme suppute déjà les bénéfices qui vont lui échoir du fait de cette aubaine. Avec des facultés mathématiques qu’il ne se soupçonnait pas, il calcule l’énorme diminution de ces frais de voyage qu’il se propose de laisser sortir de la caisse de son patron au tarif fort, pour rester dans ses poches au tarif réduit. Confus et reconnaissant, il proteste de son absolu dévouement à une profession dont les membres s’entr’aident avec tant de cordialité.

Le lendemain, il continue son voyage vers Ostende et, comptant employer l’arcane nouveau, se présente au guichet du chemin de fer. Il demande donc un ticket pour Ostende ; se colle à la petite porte ouverte comme s’il y voulait entrer ; et dévisageant hardiment l’agent, se passe l’index sous le nez, avec un Frrt confidentiel, mais délibéré. Sur quoi il se voit, en effet, avancer le billet demandé, tandis qu’on lui réclame seulement la moitié du prix marqué.

- Ça y est ! se chante notre jeune marchand enthousiasmé. J’ai le truc. Il faut avouer que le service des chemins de fer fonctionne à merveille ! Quelle administration, quel personnel !

Car il n’a pas, un instant, pensé qu’il pût être venu quelqu’un, avant lui, mettre de mèche l’employé et le dédommager. - Et deux ou trois jours plus tard ayant, à Ostende, fini ses affaires, il va prendre le train pour s’en revenir à Bruges. Il se présente au débit des tickets, demande le sien, et comme « il en est » et possède le secret, en criant : Bruges, il se passe le doigt sous le nez et prononce le Frrt sacramentel.

- Seconde pour Bruges, Frrt !

- Pour où ?

- Bruges ! Frrt ! Et le doigt passe sous le nez.

- Qu’est-ce qu’il a, l’animal ? pense l’employé. Il tend cependant le ticket au voyageur et crie le prix : un franc cinquante.

- S’il vous plaît ! répond le voyageur offrant les quinze sous du privilégié, réduction faite suivant son calcul.

- Je vous dis : un franc cinquante.

- Eh oui ! Frrt ! recommence notre homme se glissant le doigt sous le nez.

- Un franc cinquante ! hurle, dans sa logette, l’agent dont les yeux et la moustache menacent de se détacher et de tomber par la petite porte, tant il les roule et les agite. On ne marchande pas ici, crébleu !

- Eh non, eh non ! Vous savez bien, frrt !

- Mais qu’est-ce qu’il a, ce coco-là ? se demandent les voyageurs qui suivent. Qu’est-ce qui lui prend ?... Avez-vous vu ?

- Allez-vous finir vos grimaces et payer votre ticket ? répète l’employé sur le ton le plus aigu de l’emportement.

- Allez-vous passer ? demande dans la queue, un voyageur pressé.

- Un-franc-cin-quan-te ! scande l’employé qui martèle les syllabes.

- Mais je vous dis : Frrt ! crie notre jeune homme s’exténuant à lui exprimer par des gestes et la mimique de son visage, combien il est coupable de ne point se rappeler le Frrt des voyageurs de commerce.

- Il y a un fou dans la gare !

On ne sait qui le premier crie ces mots. En un clin d’oeil, le jeune homme qui persiste à pousser des : Frrt ! et à se passer l’index sous les narines devant le guichet, est entouré d’hommes aux vêtements garnis de boutons de cuivre, appréhendé au collet et porté plus mort que vif vers le bureau du commissaire de la station.

- Un fou, un fou ! - Attention ! - Sauvez-vous ! - Il voulait se faire délivrer un ticket à coups de revolver ! - Un tout jeune homme encore ! - Quel malheur ! Pour les parents, surtout !... ajoute une mère.

Enfin notre Gaudissart fut relâché. De retour à Bruges plus mort que vif, il relata à ses confrères sa mésaventure. Comme il manifestait son étonnement, son indignation même de voir les employés d’Ostende si peu au courant de l’us de Frrt, dont ceux de Bruges paraissaient si courtoisement instruits :

- Un moment, pardon, ne nous emballons pas, interrompit le suprême initiateur. Quand vous êtes parti de Bruges vers Ostende, vous avez fait le geste maçonnique de quel bras ?

- Du bras droit. Et j’ai obtenu mes cinquante pour cent de réduction.

- Parbleu ! Il ne manquerait plus qu’on vous les eût refusés !... Mais ensuite, à Ostende, pour revenir à Bruges, qu’avez-vous fait ?

- Tiens ! Exactement le même geste...

- Voilà ! Voilà ! Voilà !... Et vous êtes étonné, scandalisé, que l’employé ne vous ait point reconnu pour un des nôtres ? Mais, mon cher Monsieur, pour revenir à Bruges, vous aviez à lui montrer un Frrt de la main gauche. Vous êtes dans votre tort ; et lui, a parfaitement obéi à nos statuts. Frrt ! de la droite pour aller à Ostende. Frrt ! de la gauche pour revenir à Bruges. Consultez la carte des chemins de fer, que diable ?... C’est une question de direction, saperlipopette !... En définitive, mon cher Monsieur, ce n’est pas parce qu’on se trouve privilégié qu’on se doit faire passer pour plus bête qu’on est...

- Ah ! dit l’autre, en laissant tomber sa mâchoire.

Tant vit le fol qu’il s’avise,
Tant va-t-il qu’après il revient,
Tant le bat-on qu’il se ravise,
Tant crie-t-on Noël qu’il vient.

_________

LA PRAIRIE

L’ÉTÉ passé, environ la Saint-Médard, un faucheur de pré acheta une faux toute pimpant neuve, tranchante comme le bec d’une couturière à la journée. Il fut à la ferme du Grand-Peuplier et fit prix pour faucher une petite pièce d’herbe de quelque sept bonniers, trois verges, deux perches et un pied quatre pouces que le censier a là, derrière son verger.

L’homme arrive au champ, un matin clair et beau, ôte sa blouse, retrousse ses manches ; tintin, bat sa faux comme pour dire ; rik-rak, l’affile à sa latte de bois mouillé de vinaigre ; se campe d’aplomb sur ses sabots ; et, ainsi que s’il ne voulait plus rien entendre, sans dire qui a perdu ou gagné, se met à donner de la faux neuve de droite et de gauche, comme un perdu. Mais, au onzième coup, voilà que la lame rencontre une grosse pierre qu’il n’avait pas vue et que, du coup, il tranche en deux morceaux, net, comme un navet.

L’acier était de bonne trempe. Le feu sortit de la pierre en étincelles, alluma l’herbe voisine, qui bientôt enflamma le reste de la prairie. Tout fut brûlé avant qu’on put y porter remède, car personne n’y courut. Et ni une ortie, ni une centaurée, ni une marguerite, ni un chardon, ni une fléole, ni une renoncule, ni un florion d’or, ni une argentine, ni un trèfle, ni un brin d’herbe ne demeurèrent debout.

Quand le feu fut apaisé, il avait si bien couru partout qu’on eût dit que les fauldreux y avaient cuit leur charbon de bois, tant était noire à présent la terre là où tantôt elle brillait de fleurs épanouies et de verdure. Le pauvre faucheur voyant ce triste spectacle, s’enfuit au plus vite, courant comme s’il avait volé un cent de moutons.

La mort se jetant en travers,
De nous prend souvent les plus verts.

_________

LE GENOU SERRÉ

LE tramway, au galop de ses deux chevaux, a gravi la côte qui précède le square. Sur les banquettes, au-dessus de la masse bariolée des bustes : drap sombre des hommes, gaze et fanfreluches des dames, rit la ligne claire des visages en peau rose de Bruxelles. Les femmes ont les ailes du nez qui battent à cause du vacarme excitant du fouet, et des fers des chevaux mordant la pierre.

Lise saute à terre. Elle a mis aujourd’hui sa première robe longue, et se cheveux sont encore en nattes sur son dos. Chevilles et poignets, épaules et hanches, comme les joints de ce corps nerveux sont bien huilés ! Que ces ressorts sont vigoureusement tendus !

Elle saisit le bras de sa mère et cependant bondit devant, ainsi que pour faire le tour au pas de géants du gymnase. De sorte que tout en courant à ses côtés, elle lui parle en face.

- Mère, dis, as-tu vu, comme il était bien ?

- Quoi, quoi ?... Qui, bien ?

- Le jeune homme qui était dans le tram, assis à ma droite ?

- Un jeune homme ! Mais veux-tu te taire, malheureuse ?...

- Et qu’il me serrait le genou !

- Il... Il... Que dis-tu, il te serrait le genou ?...

- Tu ne peux te figurer avec quelle force, mère !

- Assis à côté de toi, il te serrait le genou ? Mais tu inventes ces horreurs, n’est-ce pas ? O l’effrontée ! Tu inventes, n’est-ce pas ?... Comment aurait-il pu te serrer le genou, naïve que tu es ?

- Voyons, mère ! Parlons sérieusement... Me prends-tu pour une gosse ? Voyons, dis-le ?... Et crois-tu que je le laissais comme çà, bêtement me pousser ? Mais je lui résistais de toutes mes forces !... Je poussais de toute ma jambe !... Et comme il y allait, petite mère !

Qui premier prend
Ne se repend.

_______

LES TRIPES

IL y avait, en notre paroisse de l’Eglise d’en haut, un clerc nommé Esbain, dont le père était bien le premier homme du monde pour cuire de belles fritures. Or, un jour qu’il apprêtait le dîner de sa femme et de ses enfants, et fricassait des tripes durant un orage, le tonnerre vint à tomber par la cheminée, droit au milieu de la poêle.

Mon dit père Esbain s’en trouva d’abord fort ébaubi. Mais reprenant aussitôt son assurance, sans lâcher prise, il continua courageusement sa friture et ainsi fit faire cinq ou six tours de poêle au tonnerre, qui, de mémoire d’homme, n’avait jamais été accommodé à telle sauce. Le père Esbain et ses enfants mangèrent ensuite très bien les tripes, et de fort bon appétit. Il n’y eut que son fils, le clerc, qui trouva qu’elles sentaient un peu le roussi et lui grattaient à la gorge. Ce dont il se guérit d’ailleurs en buvant d’autant.

Bien souvent, sans y songer,
L’on se voit hors d’un grand danger.

_______

L’HOTE

MARTINET, le couvreur du Tienne Colau, avait de hautes jambes maigres ; sur ses jambes, un long corps étroit ; au-dessus de tout, comme un petit toit rond domine un tuyau de poêle, son chapeau de feutre à larges bords.

Avec des pas de six quarts d’aune, il marchait lentement et arrivait premier. Voyant par delà votre tête, il vous contait des choses qui vous semblaient comiques et qui, par la suite, survenaient cependant juste ainsi qu’il l’avait dit.

Son métier le laissait aller et venir, par ses échelles, des journées durant, au haut de tout, sur la crête des toits, au faîte des murs, à la fine coppette des clochers. Il ne pouvait plus que difficilement mentir, une fois redescendu à terre.

Un jour, Martinet s’en fut, à trois lieues du village, visiter un de ses clients. Cela devait être aux environs de Lobbes. Parti tard dans la matinée, malgré deux pieds qui valaient bien trois échasses, il y fut sur le coup tapant de midi, et les gens à dîner.

- Tenez, tenez !... Voilà Martinet de Fontaine ! dit l’homme à table. Et nous qui avons justement fini ! Mais si vous y tenez, vous savez, on aura vite réchauffé la marmite.

- Merci, dit Martinet. Ne vous dérangez point pour moi.

Le Lobbain acheva sa tartine et son fromage, but sa bière, se leva ; et ils allèrent ensemble à leurs affaires.

Sur les quatre heures, Martinet, que la faim tenaillait depuis le matin, dit à l’autre :

- Ecoutez ! Il vous faudrait me donner une bribe, je me sens une mauvaise faim au ventre.

- Tout de suite, compère. Deux, si vous voulez !

Comme Martinet avalait les morceaux ronds :

- Diable, fit l’hôte, m’est avis que vos boyaux étaient vides ! Vous n’aviez point dîné, dangereux ! Pourquoi refusiez-vous notre soupe tantôt ?

- Ecoutez, compagnon, répondit Martinet. La vérité, c’est que j’ai dit un mot de trop quand j’ai refusé votre dîner. Mais, vous savez, vous en aviez dit un de trop peu en me l’offrant.

Qui soi-même s’est convié,
Est bientôt soûl et contenté.

__________

LES DEUX FRÈRES

UN étranger arrive au village, à la recherche d’un paysan. Il entre chez Pierre Jadin, au cabaret voisin de la gare ; et, au comptoir, en payant sa chope :

- N’y a-t-il pas dans le bourg, demande-t-il au cabaretier, un appelé André Jadin ? J’ai des papiers à lui remettre, et je ne sais où est sa maison ?

- André Jadin ? répète l’homme. André Jadin ?... J’ai déjà entendu ce nom-là... Mais on parle de tant de gens, ici... Non, pour un du village, je ne me le rappelle pas... Vous savez, il n’y a tout de même que la route à suivre pour voir toutes les maisons. La localité n’est point grande...

L’étranger sort. A un autre café, il renouvelle sa question.

- Pardienne, André Jadin ! répond ce cafetier. Je ne connais que lui !

Il entraîne le voyageur sur le seuil, et avec de grands mouvements des deux bras, il lui explique en long et en large qu’il trouvera mon dit Jadin au haut de la côte, dans la campagne du « Lièvre Courant », à la petite ferme blanche entre les deux peupliers. Un quart d’heure d’ici, quoi !

En effet, l’homme est trouvé ; et sa commission faite, l’étranger s’en revient prendre le convoi. Il a quelques minutes de reste, et il entre au cabaret de la Station.

- Vous savez, dit-il au patron qu’il a tantôt consulté vainement, j’ai trouvé mon individu. C’est le fermier du « Lièvre-Courant ».

- Nom de d’là ! crie l’autre, avec un haut-le-corps. Mais c’est mon propre frère ! Que ne me demandiez-vous tantôt André du Lièvre-Courant ? Je vous l’aurais dit tout de suite !

Bien sot qui ne sait son nom.

________

LES NOUVELLES

AU commencement d’avril, le vent tourna, et en une nuit, le printemps s’ouvrit comme une primevère au bois. M. Quât, dans sa petite maison sur le rempart, en fut bien aise. Il chargea sa servante d’aller au bout du jardin, de monter sur la grosse pierre au pied du mur, et de voir par-dessus si c’était vraiment le bon temps revenu.

C’était lui. La servante jura d’une voix aussi claire que le bleu de ses yeux et le blond de ses cheveux, que le vent se tiendrait dans le beau coin du ciel. Et la salive mouillait ses lèvres.

M. Quât en éprouvait beaucoup de plaisir, et il la crut. Il n’eut qu’à faire un signe, qu’elle attendait, et de ses grosses mains rougeaudes et cordiales, elle vint lui donner les habits qu’il fallait pour un tel jour.

Le pantalon couleur café au lait, au lait de chèvre qui rend le café plus jaune ; la jaquette de drap noir aux trous de mites parfaitement rentrayés ; le foulard en soie des Indes à dessins de cornichons, le chapeau rendu extrêmement luisant par une goutte d’huile ; et la bonne canne solide, un jeune pied de chêne à pomme d’ivoire.

M. Quât requinqué, la servante lui prit le bras pour descendre les marches du seuil et le conduisit au milieu du chemin. Il se piéta, tandis qu’elle, tout en lui gardant une main derrière le dos, repoussait, de son sabot, un caillou de devant lui. - « Ça y est, dit-elle ! » - « Allons, ainsi ! » fit-il. Et prenant son élan, il partit.

Il allait à petits pas, frappant des talons. Son cou tendu tenait haut sa tête qui faisait signe, tout le temps, que oui. Il y a longtemps déjà que M. Quât, s’il veut dire non du geste, doit s’y prendre avec force, car sa nuque tremble ; encore fait-il souvent non de travers.

Aujourd’hui, son oui-oui du chef s’était accéléré. Ses yeux, dans leurs nids de rides et de poils gris, pétillaient ; l’air vif les mouillait de larmes froides qui les faisaient sembler de très beaux vieux bijoux... « Oui, oui, oui... » Et il fixait ce bleu du ciel remis à neuf comme s’il en eût tiré quelque chose de subtil qu’on n’eût pas vu ; surtout là-bas, entre les tétons des collines de la Blanche-Maison et du Rond-Chêne, où le satin de l’air chatoie si divinement gai. Sa canne frappait la terre, et M. Quât allait, allait.

Une grosse goutte lui berliquottait au bout du nez. Sur la place du Trieu, où il déboucha, le vieillard prit tout à coup l’aspect d’un enfant qui goûte la joie des choses qui sont à tout le monde, sans retenue, ni honte.

- Ah ! ha ! père Quât ! crie le charron qui travaille sur la route devant sa boutique. Il tient sa pipe d’une main et de l’autre l’erminette dont il était en train de dégrossir quelque montant de râtelier. Il est rouge de joie et de travailler dans le vent. « Vous revoilà, alors ? C’est le bon temps à nouveau !

- L’air d’avril, mon garçon, c’est l’air d’avril, crie à tue-tête M. Quât sans s’arrêter, souriant, reniflant, bûchant du bâton. Salut ! Salut ! » Et il va. Le voilà à hauteur de la forge du cloutier. Le soufflet ronfle ; le marteau bat, avec un bruit pressé, la baguette de fer rouge. Le cloutier ne peut s’arrêter. Cependant il rit en voyant M. Quât ; mais à petits coups, parce qu’il frappe fort :

- Bonjour, père Quât ! L’hiver est fini. Ah ! ah ! Je sais bien où le bon temps vous mène, hé, le vaurien !

- Heu, heu, heu ! - Et la vieille tête rose et chenue continue : oui, oui, oui...

Au bout de la place, au petit cabaret qu’annonce un bouchon de houx, M. Quât est chez sa bonne amie ! Il a quatre-vingts ans ; mais elle, pas vingt encore. De la fenêtre où elle cousait dans sa maison, elle l’a vu approcher. Elle lui ouvre la porte, cependant qu’il gravit le seuil. Entre ses dents, des bouts de fils serrés volettent au vent comme des fils de la vierge retenus à la haie. Son visage est grave et beau. La joie de revoir enfin M. Quât, disparu tout l’hiver, l’illumine bonnement. Elle le conduit à la chaise basse près des chenets, l’installe à l’appui du poêle de fer et lui sert, dans un verre de gros cristal, que le bout du doigt emplirait, une goutte de genièvre. Puis, elle se remet à coudre.

Doucement, sans hâte, elle lui raconte les nouvelles du village qui ne sont pas parvenues jusqu’à la maison de M. Quât ; elle lui dit ceux qui sont morts et ceux qui sont nés.

- Hein, tout ce qui arrive !... On n’en sort plus... De mon temps... Mais M. Quât laisse tomber ses phrases à moitié chemin, fatigué vite de mener tant de mots ensemble. Et puis, il est si heureux !

Le temps passe. Et dans la maison, à mesure que le soleil d’or pâle monte aux murs, se répand le parfum de la soupe qui mitonne et touche à son point. M. Quât se lève.

- Vous voilà parti ? demande la cabaretière. Elle va au manteau de la cheminée et entre le bon-dieu et le pot de cuivre plein de roseaux soufrés, elle prend une gazette pliée, jaunie, crasseuse et usée aux angles.

- Prenez donc les nouvelles avec vous, dit-elle, vous les lirez à plaisir.

- Merci, dit M. Quât. Oui ! oui ! Je les rapporterai la semaine prochaine, quand j’aurai fini.

Il s’est remis en route. A force de menus pas sur ses talons, de coups de canne sur le sol, et de faire : oui, oui, il est arrivé chez lui.

Il a mangé sa soupe dans sa petite assiette aux fleurettes effacées, avec sa cuiller d’étain usée d’un côté. Assis dans son fauteuil de jonc, armé de sa loupe dont le verre est si rayé qu’il semble recouvert d’une toile d’araignée, il épelle les nouvelles. Il y en a beaucoup. Que d’histoires !... Mais bientôt le jour n’est plus très clair. M. Quât replie le journal, juste dans ses plis. Il continuera demain.

- Tout ce qui arrive ! disent ses lèvres. Tandis que sa petite âme douce, gaie et fanée murmure comme un chant étouffé : « Et à quoi tout cela sert-il ? »

Pourtant il continuera de lire la gazette jusqu’au bout. Et quand il aura fini, il reportera précieusement le papier au petit cabaret de la place. En sorte qu’après lui, cet été, où l’hiver prochain, dans le village qui dort comme un lilas épanoui au soleil, un autre curieux pourra apprendre encore les nouvelles du monde, du vaste monde là-bas, bien loin.

Qui a des noix, il les casse.
Qui n’en a pas, il s’en passe.

_________

LE POUILLEUX

AU mois de septembre dernier, quelques personnes, qui se promenaient le long de la rivière, rencontrèrent sur la grand’route un pauvre diable de soldat qui leur demanda l’aumône fort poliment.

Il reçut pièce blanche ; et aux questions qu’on lui posa, répondit qu’il s’en retournait à son village. Il arrivait de telle ville où il était resté en garnison exactement trois ans, trois mois, trois semaines et trois jours ; mais si mal traité qu’il n’avait, de tout ce temps, couché dans un lit, ni ôté ses vêtements. En parlant, il se grattait des ongles aussi dur que s’il avait voulu graver la pierre, et il tortillait du dos, de la hanche, du derrière, des épaules et des genoux comme un malade dans une crise du haut mal.

C’est qu’il était criblé de millions de milliasses de poux. Et cette pouillerie qui, depuis trois ans, trois mois, trois semaines et trois jours, n’avait plus eu à manger que sans boire, sentant tout à coup la fraîcheur de l’eau voisine, sautait, ruait et se cabrait comme un cheval qui ne veut plus passer outre l’écurie. Bientôt même, on la vit tendre si avidement vers la rivière que le pauvre homme ne put résister à leur impétuosité. Il fut entraîné dans le courant et s’y fût immanquablement noyé, n’eût été un gros estoc de saule rouge justement là planté au bord et où il put s’accrocher en tombant.

On courut à son secours, on lui donna la main. Mais les poux altérés résistaient si vigoureusement qu’il fallut, pour tirer l’homme à terre, qu’on leur abandonnât ses nippes pièce à pièce jusqu’à la chemise. On vit alors les loques s’enfoncer dans l’eau, tant elles étaient chargées de cette méchante vermine.

Les méchants voudraient que périssent
Jusqu’à ceux-là qui les nourrissent.

__________

L’ORFÈVRE

UN jeune orfèvre, vous l’avez, sans doute, entendu dire déjà, avait pour son chef-d’oeuvre, l’an passé, tissé la plus fine chaîne d’or qui se fût jamais vue, et d’un travail si menu, si délié, si subtil, qu’il transportait d’admiration les ouvriers les plus adroits de la ville.

Ensuite, l’artiste avait imaginé d’attacher par la caisse, à sa chaîne d’or, une gentille et mignonne puce, qui par ses sauts, ses tours, ses minauderies, divertissait les spectateurs aussi plaisamment que le fît jamais le plus agile singe de bateleur.

Mais il vient de ces jours-ci, de se surpasser lui-même. Il a fabriqué une boîte d’argent grande tout au plus comme un grain d’orge, dont les parois, cependant, portent, gravée au burin, l’histoire entière de la Guerre de Troie, et où il peut enfermer à clef la jolie puce enchaînée.

Cela est merveilleux. Les plus riches bijoutiers de la cité l’ont achetée en se cotisant et n’ont pas jugé indigne d’eux d’en faire présent à la jeune princesse. Celle-ci l’a reçue fort agréablement. Elle garde avec grand soin ce cadeau aussi rare que précieux.

Plusieurs fois le jour, et même la nuit aussi, elle ouvre la menue boîte. Aussitôt la puce bondit avec sa chaîne sur la blanche et délicate main que lui tend sa maîtresse. Rassasiée d’un quart de goutte de sang, elle se rejette ensuite dans sa cassette dont la dame ferme à clef le couvercle. Enfin, c’est plaisir à voir.

Qui n’a qu’un oeil souvent le torche,
Qui n’a qu’un fils le fait fou,
Qui n’a qu’un pourceau le fait gras,
Qui n’a qu’une fille en fait merveille.

_________

L’OREILLER

LA semaine passée, une femme de la vallée lavait, au bord de la rivière, un oreiller de plume sur lequel son petit enfant avait (ne vous déplaise) fort copieusement... Et pour le mieux nettoyer, après avoir savonné et frotté le coussin, elle le frappait à grands coups de battoir, comme la lessiveuse aux loques et draps sortant de la cuvelle. Elle le battit si bien qu’elle le creva. Et, par le trou, toute la plume en sortit, tomba à l’eau et, suivant là-bas la rivière en courant, arriva au moulin où, par-dessus les auges, elle rompit les éventelles, brisa les aubes, démolit les roues, disjoignit les claquets, renversa les trémies, fit sauter les meules, faussa les tourillons, arracha les nilles, détruisit les arciers, troua les pagnons, bref, en un mot, pour finir, embarrassa, troubla, confondit pour toujours les secrets de la mécanique du moulin. En sorte que plus jamais on ne put moudre là le moindre grain du blé des censiers, de l’orge des brasseurs, ou d’aucune autre denrée, et que le meunier, pourtant si adroit à voler, fut ruiné.

Jusqu’à plus de deux lieues loin, on entendit, dans la rivière, tousser les poissons que les plumes chatouillaient au gosier ; et beaucoup, et des plus gros, qui en avaient avalé, en furent profondément incommodé et moururent de soif.

Enfants sans conduite,
Maison tôt détruite.

 



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