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Illustration: Tartarin de Tarascon (Ep3) - alphonse daudet

Tartarin de Tarascon (Ep3)


Enregistrement : Audiocite.net
Publication : 2008-06-04

Lu par Joane
Livre audio de 54min
Fichier Mp3 de 50,2 Mo

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Feuilleton audio en 3 Episodes
Episode 3/3


+++ Episode précédent


Troisième Épisode
Chez les Lions
I - Les diligences Déportées
C'était une vieille diligence d'autrefois, capitonnée à l'ancienne mode de drap gros bleu tout fané, avec ces énormes pompons de laine rêche qui, après quelques heures de route, finissent par vous faire des moxas dans le dos... Tartarin de Tarascon avait un coin de la rotonde ; il s'y installa de son mieux, et en attendant de respirer les émanations musquées de grands félins d'Afrique, le héros dut se contenter de cette bonne vieille odeur de diligence, bizarrement composée de mille odeurs : hommes, chevaux, femmes et cuir, victuailles et paille moisie. Il y avait de tout un peu dans cette rotonde. Un trappiste, des marchands juifs, deux cocottes qui rejoignaient leur corps - le 3e hussards - un photographe d'Orléans ville...
Mais, si charmante et variée que fût la compagnie, le Tarasconnais n'était pas en train de causer et resta là tout pensif, le bras passé dans la brassière, avec ses carabines entre ses genoux... Son départ précipité, les yeux noirs de Baïa, la terrible chasse qu'il allait entreprendre, tout cela lui troublait la cervelle, sans compter qu'avec son bon air patriarcal, cette diligence européenne, retrouvée en pleine Afrique, lui rappelait vaguement le Tarascon de sa jeunesse, des courses dans la banlieue, de petits dîners au bord du Rhône, une foule de souvenirs...
Peu à peu la nuit tomba. Le conducteur alluma ses lanternes... la diligence rouillée sautait en criant sur ses vieux ressorts ; les chevaux trottaient, les grelots tintaient... De temps en temps, la-haut, sous la bâche de l'impériale, un terrible bruit de ferraille... C'est le matériel de guerre.
Tartarin de Tarascon, aux trois quarts assoupi, resta un moment à regarder les voyageurs comiquement secoués par les cahots, et dansant devant lui comme des ombres falotes, puis ses yeux s'obscurcirent, sa pensée se voila, et il n'entendit plus que très vaguement geindre l'essieu des roues, et les flancs de la diligence qui se plaignaient...
Subitement, une voix, une voix de vieille fée, enrouée, cassée, fêlée, appela le Tarasconnais par son nom :
- Monsieur Tartarin ! monsieur Tartarin !
- Qui m'appelle ?
- C'est moi, monsieur Tartarin ; vous ne me reconnaissez pas ?... Je suis la vieille diligence qui faisait - il y a vingt ans - le service de Tarascon à Nîmes... Que de fois je vous ai portés, vous et vos amis, quand vous alliez chasser les casquettes du côté de Jonquières ou de Bellegarde !... Je ne vous ai pas remis d'abord, à cause de votre bonnet de Teur et du corps que vous avez pris ; mais sitôt que vous vous êtes mis à rouler, coquin de bon sort ! je vous ai reconnu tout de suite.
- C'est bon ! c'est bon ! fit le Tarasconnais un peu vexé.
Puis, se radoucissant :
- Mais enfin, ma pauvre vieille, qu'est-ce que vous êtes venu faire ici ?
- ah ! mon bon monsieur Tartarin, je n'y suis pas venue de mon plein gré, je vous assure... Une fois que le chemin de fer de Beaucaire a été fini, ils ne m'ont plus trouvée bonne à rien et ils m'ont envoyée en Afrique... Et je ne suis pas la seule ! presque toutes les diligences de France ont été déportées comme moi. on nous trouvait trop réactionnaires, et maintenant nous voila toutes ici amener une vie de galère... C'est ce qu'en France vous appelez les chemins de fer algériens.
Ici la vieille diligence poussa un long soupir ; puis elle reprit :
- ah ! monsieur Tartarin, que je le regrette, mon beau Tarascon ! C'était alors le bon temps pour moi, le temps de la jeunesse ! Il fallait me voir partir le matin, lavée à grande eau et toute luisante avec mes roues vernissées à neuf, mes lanternes qui semblaient deux soleils et ma bâche toujours frottée d'huile ! C'est ça qui était beau quand le postillon faisait claquer son fouet sur l'air de : la gadigadaou, la Tarasque ! la Tarasque ! et que le conducteur son piston en bandoulière, sa casquette brodée sur l'oreille, jetant d'un tour de bras son petit chien, toujours furieux, sur la bâche de l'impériale, s'élançait lui-même en haut, en criant : " allume ! allume ! "
alors mes quatre chevaux s'ébranlaient au bruit des grelots, des aboiements, des fanfares, les fenêtres s'ouvraient, et tout Tarascon regardait avec orgueil la diligence détaler sur la grande route royale.
" Quelle belle route, monsieur Tartarin, large, bien entre tenue, avec ses bornes kilométriques, ses petits tas de pierre régulièrement espacés, et de droite et de gauche ses jolies plaines d'oliviers et de vignes... Puis, des auberges tous les dix pas, des relais toutes les cinq minutes... Et mes voyageurs, quels braves gens ! des maires et des curés qui allaient à Nîmes voir leur préfet ou leur évêque, de bons taffetassiers qui revenaient du Mazet bien honnêtement, des collégiens en vacances, des paysans en blouse brodée, tout frais rasés du matin, et la-haut, sur l'impériale, vous tous, messieurs les chasseurs de casquettes, qui étiez toujours de si bonne humeur, et qui chantiez si bien chacun la vôtre, le soir, aux étoiles, en revenant !...
"Maintenant, c'est une autre histoire... Dieu sait les gens que je charrie ! un tas de mécréants venus je ne sais d'où, qui me remplissent de vermine, des nègres, des Bédouins, des soudards, des aventuriers de tous les pays, des colons en guenilles qui m'empestent de leurs pipes, et tout cela parlant un langage auquel Dieu le Père ne comprendrait rien... Et puis vous voyez comme on me traite ! Jamais brossée, jamais lavée. On me plaint le cambouis de mes essieux... au lieu de mes gros bons chevaux tranquilles d'autrefois, de petits chevaux arabes qui ont le diable au corps, se battent,
se mordent, dansent en courant comme des chèvres, et me brisent mes brancards a coups de pied... aie !... aïe !... tenez ! Voila que cela commence... Et les routes ! Par ici,
c'est encore supportable, parce que nous sommes près du gouvernement ; mais là-bas, plus rien, pas de chemin du tout. On va comme on peut, à travers monts et plaines, dans les palmiers nains, dans les lentisques... Pas un seul relais fixe. on arrête au caprice du conducteur tantôt dans une ferme, tantôt dans une autre.
" Quelquefois ce polisson-la me fait faire un détour de deux lieues pour aller chez un ami boire l'absinthe ou le champoreau... après quoi, fouette, postillon ! il faut rattraper le temps perdu. Le soleil cuit, la poussière brûle. Fouette toujours ! on accroche, on verse ! Fouette plus fort ! on passe des rivières à la nage, on s'enrhume, on se mouille, on se noie... Fouette ! fouette ! fouette !... Puis le soir, toute ruisselante, c'est cela qui est bon à
mon âge, avec mes rhumatismes !... -Il me faut coucher à la belle étoile, dans une cour de caravansérail ouverte à tous les vents. la nuit, des chacals, des hyènes viennent flairer
mes caissons, et les maraudeurs qui craignent la rosée se mettent au chaud dans mes compartiments... Voila la vie que je mène, mon pauvre monsieur Tartarin, et je la mènerai jusqu'au jour où, brûlée par le soleil, pourrie par les nuits humides, je tomberai - ne pouvant plus faire autrement sur un coin de méchante route, où les arabes feront bouillir leur couscous avec les débris de ma vieille carcasse. . .
- Blidah ! Blidah ! fit le conducteur en ouvrant la portière.

II - Où l'On voit Passer un Petit Monsieur
Vaguement, à travers les vitres dépolies par la buée, Tartarin de Tarascon entrevit une place de jolie sous-préfecture, place régulière, entourée d'arcades et plantée d'orangers, au milieu de laquelle des petits soldats de plomb faisaient l'exercice dans la claire brume rose du matin. Les cafés ôtaient leurs volets. Dans un coin, une halle avec des légumes...
C'était charmant, mais cela ne sentait pas encore le lion. " au Sud !... Plus au Sud ! " murmura le bon Tartarin en se renfonçant dans son coin.
A ce moment, la portière s'ouvrit. Une bouffée d'air frais entra, apportant sur ses ailes, dans le parfum des orangers fleuris, un tout petit monsieur en redingote noisette, vieux, sec, ridé, compassé, une figure grosse comme le poing, une cravate en soie noire haute de cinq doigts, une serviette en cuir, un parapluie : le parfait notaire de village.
En apercevant le matériel de guerre du Tarasconnais, le petit monsieur, qui s'était assis en face, parut excessivement surpris et se mit a regarder Tartarin avec une insistance gênante. On détela, on attela, la diligence partit... Le petit monsieur regardait toujours Tartarin... à la fin, le Tarasconnais prit la mouche.
- Ça vous étonne ? dit-il en regardant à son tour le petit monsieur bien en face.
- Non ! Ça me gêne, répondit l'autre fort tranquillement.
Et le fait est qu'avec sa tente-abri, son revolver, ses deux fusils dans leur gaine, son couteau de chasse - sans parler de sa corpulence naturelle - Tartarin de Tarascon tenait beaucoup de place...
La réponse du petit monsieur le fâcha :
- Vous imaginez-vous par hasard que je vais aller au lion avec votre parapluie ? dit le grand homme fièrement.
Le petit monsieur regarda son parapluie, sourit doucement ; puis, toujours avec son même flegme :
- alors, monsieur, vous êtes ?...
- Tartarin de Tarascon, tueur de lions !
En prononçant ces mots, l'intrépide Tarasconnais secoua comme une crinière le gland de sa chéchia.
Il y eut dans la diligence un mouvement de stupeur. Le trappiste se signa, les cocottes poussèrent de petits cris d'effroi, et le photographe d'Orléans ville se rapprocha du tueur de lions, rêvant déjà l'insigne honneur de faire sa photographie.
Le petit monsieur, lui, ne se déconcerta pas.
- Est-ce que vous avez déjà tué beaucoup de lions, monsieur Tartarin ? demanda-t-il très tranquillement.
Le Tarasconnais le reçut de la belle manière :
- Si j'en ai beaucoup tué, monsieur !... Je vous souhaiterais d'avoir seulement autant de cheveux sur la tête.
Et toute la diligence de rire en regardant les trois cheveux jaunes de Cadet-Roussel qui se hérissaient sur le crâne du petit monsieur.
A son tour le photographe d'Orléans ville prit la parole :
- Terrible profession que la vôtre, monsieur Tartarin !... on passe quelquefois de mauvais moments... ainsi ce pauvre M. Bombonnel...
- ah ! oui, le tueur de panthères... fit Tartarin assez dédaigneusement.
- Est-ce que vous le connaissez ? demanda le petit monsieur
- Té ! pardi... Si je le connais... Nous avons chassé plus de vingt fois ensemble.
Le petit monsieur sourit :
- Vous chassez donc la panthère aussi, monsieur Tartarin ?
- Quelquefois, par passe-temps... fit l'enragé Tarasconnais.
Il ajouta, en relevant la tête d'un geste héroïque qui enflamma le cœur des deux cocottes :
- Ça ne vaut pas le lion !
- En somme, hasarda le photographe d'Orléans ville, une panthère, ce n'est qu'un gros chat...
- Tout juste ! fit Tartarin qui n'était pas fâché de rabaisser un peu la gloire de Bombonnel, surtout devant les dames.
Ici la diligence s'arrêta, le conducteur vint ouvrir la portière et s'adressant au petit vieux :
- Vous voila arrivé, monsieur, lui dit-il d'un air très respectueux.
Le petit monsieur se leva, descendit, puis avant de refermer la portière :
- Voulez-vous me permettre de vous donner un conseil, monsieur Tartarin ?
- Lequel, monsieur ?
- Ma foi ! écoutez, vous avez l'air d'un brave homme, j'aime mieux vous dire ce qu'il en est... Retournez vite à Tarascon, monsieur Tartarin... Vous perdez votre temps ici... Il reste bien encore quelques panthères dans la province ; mais, fi donc ! c'est un trop petit
gibier pour vous... Quant aux lions, c'est fini. Il n'en reste plus en Algérie... Mon ami Chassaing vient de tuer le dernier, sur quoi le petit monsieur salua, ferma la portière, et s'en alla en riant avec sa serviette et son parapluie.
- Conducteur, demanda Tartarin en faisant sa moue, qu'est-ce que c'est donc que ce bonhomme-là ?
-Comment ! vous ne le connaissez pas ? Mais c'est M. Bombonnel.

III - Un Couvent de Lions
A Milianah, Tartarin de Tarascon descendit, laissant la diligence continuer sa route vers le Sud.
Deux jours de durs cahots, deux nuits passées les yeux ouverts à regarder par la portière s'il n'apercevait pas dans les champs, au bord de la route, l'ombre formidable du lion, tant d'insomnies méritaient bien quelques heures de repos. Et puis, s'il faut tout dire, depuis sa mésaventure avec Bombonnel, le loyal Tarasconnais se sentait mal à l'aise, malgré ses armes, sa moue terrible, son bonnet rouge, devant le photographe d'Orléans ville et les deux demoiselles du 3e hussards.
Il se dirigea donc a travers les larges rues de Milianah, pleines de beaux arbres et de fontaines ; mais tout en cherchant un hôtel a sa convenance, le pauvre homme ne pouvait s'empêcher de songer aux paroles de Bombonnel... Si c'était vrai pourtant ? S'il n'y avait plus de lions en Algérie ?... à quoi bon alors tant de courses, tant de fatigues ?... Soudain, au détour d'une rue, notre héros se trouva face à face... avec qui ? Devinez... avec un lion superbe, qui attendait devant la porte d'un café, assis royalement sur son train de derrière, sa crinière fauve au soleil. " Qu'est-ce qu'ils me disaient donc, qu'il n'y en avait plus ?" s'écria le Tarasconnais en faisant un saut en arrière... En entendant cette exclamation, le lion baissa la tête et, prenant dans sa gueule une sébile en bois posée devant lui sur le trottoir, il la tendit humblement du côté de Tartarin immobile de stupeur... Un arabe qui passait jeta un gros sou dans la sébile ; le lion remua la queue... alors Tartarin comprit tout.
Il vit, ce que l'émotion l'avait empêché de voir d'abord, la foule attroupée autour du brave lion aveugle et apprivoisé, et les deux grands nègres armés de gourdins qui le promenaient a travers la ville comme un Savoyard sa marmotte.
Le sang du Tarasconnais ne fit qu'un tour : " Misérables, cria-t-il d'une voix de tonnerre, ravaler ainsi ces nobles bêtes ! " Et, s'élançant sur le lion, il lui arracha l'immonde sébile d'entre ses royales mâchoires... Les deux nègres, croyant avoir affaire a un voleur, se précipitèrent sur le Tarasconnais, la matraque haute... Ce fut une terrible bousculade... Les nègres tapaient, les femmes piaillaient, les enfants riaient. Un vieux
cordonnier juif criait du fond de sa boutique : " au zouge de paix ! au zouge de paix ! " Le lion lui-même, dans sa nuit, essaya d'un rugissement, et le malheureux Tartarin, après une lutte désespérée, roula par terre au milieu des gros sous et des balayures.
à ce moment, un homme fendit la foule, écarta les nègres d'un mot, les femmes et les enfants d'un geste, releva Tartarin, le brossa, le secoua, et l'assit tout essoufflé sur une borne.
- Comment ! préince, c'est vous ?... fit le bon Tartarin en se frottant les côtes.
- Eh ! oui, mon vaillant ami, c'est moi... Sitôt votre lettre reçue, j'ai confié Baïa a son frère, loué une chaise de poste, fait cinquante lieues ventre a terre, et me voila juste à temps pour vous arracher a la brutalité de ces rustres... Qu'est-ce que vous avez donc fait, juste Dieu ! pour vous attirer cette méchante affaire ?
- Que voulez-vous, préince ?... De voir ce malheureux lion avec sa sébile aux dents, humilié, vaincu, bafoué, servant de risée a toute cette pouillerie musulmane.
- Mais vous vous trompez, mon noble ami. Ce lion est, au contraire, pour eux un objet de respect et d'adoration. C'est une bête sacrée, qui fait partie d'un grand couvent de lions, fondé, il y a trois cents ans, par Mahommed-benaouda, une espèce de Trappe formidable et farouche, pleine de rugissements et d'odeurs de fauve, où des moines singuliers élèvent et apprivoisent des lions par centaines et les envoient de la dans toute l'Afrique septentrionale, accompagnés de frères quêteurs. Les dons que reçoivent les frères servent à l'entretien du couvent et de sa mosquée ; et si les deux nègres ont montré tant d'humeur tout à l'heure, c'est qu'ils ont la conviction que pour un sou, un seul sou de la quête, volé ou perdu par leur faute, le lion qu'ils conduisent les dévorerait immédiatement.
En écoutant ce récit invraisemblable et pourtant véridique, Tartarin de Tarascon se délectait et reniflait l'air bruyamment.
- Ce qui me va dans tout ceci, fit-il en manière de conclusion, c'est que, n'en déplaise a mon Bombonnel, il y a encore des lions en Algérie !...
- S'il y en a ! dit le prince avec enthousiasme... Dès demain, nous allons battre la plaine du Chéliff, et vous verrez !
- Eh quoi ! prince... auriez-vous l'intention de chasser vous aussi ?
- Parbleu ! pensez-vous donc que je vous laisserais vous en aller en pleine Afrique, au milieu de ces tribus féroces dont vous ignorez la langue et les usages... Non ! non ! illustre Tartarin, je ne vous quitte plus... Partout où vous serez, je veux être.
- oh ! préince, préince...
Et Tartarin, radieux, pressa sur son cœur le vaillant Grégory, en songeant avec fierté qu'a l'exemple de Jules Gérard, de Bombonnel et tous les autres fameux tueurs de lions, il allait avoir un prince étranger pour l'accompagner dans ses chasses.

IV - La Caravane en Marche
Le lendemain, dès la première heure, l'intrépide Tartarin et le non moins intrépide prince Grégory, suivis d'une demi douzaine de portefaix nègres, sortaient de Milianah et descendaient vers la plaine du Chéliff par un raidillon délicieux tout ombragé de jasmins, de thuyas, de caroubiers, d'oliviers sauvages, entre deux haies de petits jardins indigènes et des milliers de joyeuses sources vives qui dégringolaient de roche en roche en chantant... Un paysage du Liban.
Aussi chargé d'armes que le grand Tartarin, le prince Grégory s'était en plus affublé d'un magnifique et singulier képi tout galonné d'or, avec une garniture de feuilles de chêne brodées au fil d'argent, qui donnait à Son Altesse un faux air de général mexicain, ou de chef de gare des bords du Danube.
Ce diable de képi intriguait beaucoup le Tarasconnais ; et comme il demandait timidement quelques explications :
"Coiffure indispensable pour voyager en Afrique", répondit le prince avec gravité ; et tout en faisant reluire sa visière d'un revers de manche, il renseigna son naïf compagnon sur le rôle important que joue le képi dans nos relations avec les arabes, la terreur que cet insigne a, seul, le privilège de leur inspirer, si bien que l'administration civile a été obligée de coiffer tout son monde avec des képis, depuis le cantonnier jusqu'au receveur de l'enregistrement. En somme pour gouverner l'Algérie - c'est toujours le prince qui parle - point n'est besoin d'une forte tête, ni même de tête du tout. Il suffit d'un képi, d'un beau képi galonné reluisant au bout d'une trique comme la toque de Gessler.
Ainsi causant et philosophant, la caravane allait son train. Les portefaix - pieds nus - sautaient de roche en roche avec des cris de singes. Les caisses d'armes sonnaient. Les fusils flambaient. Les indigènes qui passaient s'inclinaient jusqu'à terre devant le képi magique... la haut, sur les remparts de Milianah, le chef du bureau arabe, qui se promenait au bon frais avec sa dame, entendant ces bruits insolites et voyant des armes luire entre les branches, crut à un coup de main, fit baisser le pont-levis, battre la générale, et mit incontinent la ville en état de siège. Beau début pour la caravane !
Malheureusement, avant la fin du jour, les choses se gâtèrent. Des nègres qui portaient les bagages, l'un fut pris d'atroces coliques pour avoir mangé le sparadrap de la pharmacie. Un autre tomba sur le bord de la route ivre mort d'eau-de-vie camphrée. Le troisième, celui qui portait l'album de voyage, séduit par les dorures des fermoirs, et persuadé qu'il enlevait les trésors de la Mecque, se sauva dans le Zaccar à toutes jambes... Il fallut aviser... la caravane fit halte, et tint conseil dans l'ombre trouée d'un vieux figuier
- Je serais d'avis, dit le prince, en essayant, mais sans succès, de délayer une tablette de pemmican dans une casserole perfectionnée à triple fond, je serais d'avis que, ce soir, nous renoncions aux porteurs nègres... Il y a précisément un marché arabe tout près d'ici. Le mieux est de nous y arrêter, et de faire emplette de quelques bourriquots...
- Non !... non !... pas de bourriquots !... interrompit vivement le grand Tartarin, que le souvenir de Noiraud avait fait devenir tout rouge. Et il ajouta, l'hypocrite :
- Comment voulez-vous que de si petites bêtes puissent porter tout notre attirail ?
Le prince sourit.
- C'est ce qui vous trompe, mon illustre ami. Si maigre et si chétif qu'il vous paraisse, le bourriquot algérien a les reins solides... Il le faut bien pour supporter tout ce qu'il supporte... Demandez plutôt aux arabes. Voici comment ils expliquent notre organisation coloniale... En haut, disent-ils, il y a mouci le gouverneur, avec une grande trique, qui tape sur l'état-major ; l'état-major, pour se venger, tape sur le soldat ; le soldat tape sur le colon, le colon tape sur l'arabe, l'arabe tape sur le nègre, le nègre tape
sur le juif, le juif a son tour tape sur le bourriquot ; et le pauvre petit bourriquot n'ayant personne sur qui taper, tend l'échine et porte tout. Vous voyez bien qu'il peut porter vos caisses.
- C'est égal, reprit Tartarin de Tarascon, je trouve que, pour le coup d'œil de notre caravane, des ânes ne feraient pas très bien... Je voudrais quelque chose de plus oriental... ainsi, par exemple, si nous pouvions avoir un chameau...
- Tant que vous en voudrez, fit l'altesse.
Et l'on se mit en route pour le marché arabe.
Le marché se tenait a quelques kilomètres, sur les bords du Chéliff... Il y avait la cinq ou six mille arabes en guenilles, grouillant au soleil, et trafiquant bruyamment au milieu des jarres d'olives noires, des pots de miel, des sacs d'épices et de cigares en gros tas ; de grands feux où rôtissaient des moutons entiers, ruisselant de beurre, des boucheries en plein air, où des nègres tout nus, les pieds dans le sang, les bras rouges, dépeçaient, avec de petits couteaux, des chevreaux a une perche. Dans un coin, sous une tente rapetassée de mille couleurs, un greffier maure, avec un grand livre et des lunettes. Ici, un groupe, des cris de rage : c'est un jeu de roulette, installé sur une mesure a blé, et des Kabyles qui s'éventrent autour... là-bas, des trépignements, une joie, des rires : c'est un marchand juif avec sa mule, qu'on regarde se noyer dans le Chéliff... Puis des scorpions, des chiens, des corbeaux ; et des mouches !... des mouches !...
Par exemple, les chameaux manquaient. on finit pourtant par en découvrir un, dont des Mozabites cherchaient a se défaire. C'était le vrai chameau du désert, le chameau classique, chauve, l'air triste, avec sa longue tête de bédouin et sa bosse qui, devenue flasque par suite de trop longs jeûnes, pendait mélancoliquement sur le côté.
Tartarin le trouva si beau, qu'il voulut que la caravane entière montât dessus... Toujours la folie orientale !... La bête s'accroupit. on sangla les malles. Le prince s'installa sur le cou de l'animal. Tartarin, pour plus de majesté, se fit hisser tout en haut de la bosse, entre deux caisses ; et la, fier et bien calé, saluant d'un geste noble tout le marché accouru, il donna le signal du départ.. Tonnerre! si ceux de Tarascon avaient pu le voir !
Le chameau se redressa, allongea ses grandes jambes à nœuds, et prit son vol...
ô stupeur ! au bout de quelques enjambées voila Tartarin qui se sent pâlir, et l'héroïque chéchia qui reprend une à une ses anciennes positions du temps du Zouave. Ce diable de chameau tanguait comme une frégate.
" Préince, préince, murmura Tartarin tout blême, et s'accrochant à l'étoupe sèche de la bosse, préince, descendons... Je sens... je sens... que je vais faire bafouer la France..."
Va te promener ! le chameau était lancé, et rien ne pouvait plus l'arrêter.
Quatre mille arabes couraient derrière, pieds nus, gesticulant, riant comme des fous, et faisant luire au soleil six cent mille dents blanches...
Le grand homme de Tarascon dut se résigner. Il s'affaissa tristement sur la bosse. La chéchia prit toutes les positions qu'elle voulut... et la France fut bafouée.

V - L'Affût du Soir dans un Bois de Lauriers-roses
Si pittoresque que fût leur nouvelle monture, nos tueurs de lions durent y renoncer par égard pour la chéchia. on continua donc la route à pied comme devant, et la caravane s'en alla tranquillement vers le Sud par petites étapes, le Tarasconnais en tête, le Monténégrin en queue, et dans les rangs le chameau avec les caisses d'armes.
L'expédition dura près d'un mois. Pendant un mois, cherchant des lions introuvables, le terrible Tartarin erra de douar en douar dans l'immense plaine du Chéliff, a travers cette
formidable et cocasse Algérie française, où les parfums du vieil orient se compliquent d'une forte odeur d'absinthe et de caserne. Abraham et Zouzou mêlés, quelque chose de féerique et de naïvement burlesque, comme une page de l'ancien Testament racontée par le sergent la Ramée ou le brigadier Pitou...
Curieux spectacle pour des yeux qui auraient su voir... Un peuple sauvage et pourri que nous civilisons en lui donnant nos vices... l'autorité féroce et sans contrôle de bachagas fantastiques, qui se mouchent gravement dans leurs grands cordons de la Légion d'honneur, et pour un oui ou pour un non font bâtonner les gens sur la plante des pieds. la justice sans conscience de cadis à grosses lunettes, tartuffes du Coran et de la loi, qui rêvent de 15 août et de promotion sous les palmes, et vendent leurs arrêts, comme Ésaü son droit d'aînesse, pour un plat de lentilles ou de couscous au sucre. Des caïds libertins et ivrognes, anciens brosseurs d'un général Yusuf quelconque, qui se soûlent de champagne avec des blanchisseuses mahonnaises, et font des ripailles de mouton rôti, pendant que, devant leurs tentes, toute la tribu crève de faim, et dispute aux lévriers les rogatons de la ribote seigneuriale.
Puis, tout autour, des plaines en friche, de l'herbe brûlée, des buissons chauves, des maquis de cactus et de lentisques, le grenier de la France !... Grenier vide de grains, hélas ! et riche seulement en chacals et en punaises. Des douars abandonnés, des tribus effarées qui s'en vont sans savoir où, fuyant la faim, et semant des cadavres le long de la route. De loin en loin, un village français, avec des maisons en ruine, des champs sans culture, des sauterelles enragées, qui mangent jusqu'aux rideaux des fenêtres, et tous les colons dans les cafés, en train de boire de l'absinthe en discutant des projets de réforme et de constitution.
Voila ce que Tartarin aurait pu voir, s'il s'en était donné la peine ; mais, tout entier à sa passion léonine, l'homme de Tarascon allait droit devant lui, sans regarder ni à droite ni à gauche, l'œil obstinément fixé sur ces monstres imaginaires, qui ne paraissaient jamais.
Comme la tente-abri s'entêtait à ne pas s'ouvrir et les tablettes de pemmican à ne pas fondre, la caravane était obligée de s'arrêter matin et soir dans les tribus. Partout, grâce au képi du prince Grégory, nos chasseurs étaient reçus à bras ouverts.
Ils logeaient chez les agas, dans des palais bizarres, grandes fermes blanches sans fenêtres, où l'on trouve pêle-mêle, des narghilés et des commodes en acajou, des tapis de Smyrne et des lampes-modérateur, des coffres de cèdre pleins de sequins turcs, et des pendules à sujets, style Louis-Philippe... Partout on donnait à Tartarin des fêtes splendides, des dilfias, des fantasias... En son honneur, des goums entiers faisaient parler la poudre et luire leurs burnous au soleil. Puis, quand la poudre avait parlé, le bon aga venait et présentait sa note... C'est ce qu'on appelle l'hospitalité arabe...
Et toujours pas de lions. Pas plus de lions que sur le Pont-Neuf ! Cependant le Tarasconnais ne se décourageait pas. S'enfonçant bravement dans le Sud, il passait ses journées a battre le maquis, fouillant les palmiers-nains du bout de sa carabine, et faisant " frrt ! frrt ! " à chaque buisson. Puis, tous les soirs avant de se coucher un petit affût de deux ou trois heures. Peine perdue ! le lion ne se montrait pas.
Un soir pourtant, vers les six heures, comme la caravane traversait un bois de lentisques tout violet où de grosses cailles alourdies par la chaleur sautaient ça et là dans l'herbe, Tartarin de Tarascon crut entendre - mais si loin, mais si vague, mais si émietté par la brise - ce merveilleux rugissement qu'il avait entendu tant de fois là-bas à Tarascon, derrière la baraque Mitaine. D'abord le héros croyait rêver... Mais au bout d'un instant, lointains toujours, quoique plus distincts, les rugissements recommencèrent ; et cette fois, tandis qu'à tous les coins de l'horizon on entendait hurler les chiens des douars - secouée par la terreur et faisant retentir les conserves et les caisses d'armes, la bosse du chameau frissonna. Plus de doute. C'était le lion... Vite, vite, a l'affût. Pas une minute à perdre. Il y avait tout juste près de la un vieux marabout (tombeau de saint) à coupole blanche, avec les grandes pantoufles jaunes du défunt déposées dans une niche au-dessus de la porte, et un fouillis d'ex-voto bizarres, pans de burnous, fils d'or, cheveux roux, qui pendaient le long des murailles... Tartarin de Tarascon y remisa son prince et son chameau et se mit en quête d'un affût. Le prince Grégory voulait le suivre, mais le Tarasconnais s'y refusa ; il tenait à affronter le lion seul à seul. Toutefois, il recommanda à Son Altesse de ne pas s'éloigner, et, par mesure de précaution, il lui confia son portefeuille, un gros portefeuille plein de papiers précieux et de billets de banque, qu'il craignait de faire écornifler par la griffe du lion. Ceci fait, le héros chercha son poste. Cent pas en avant du marabout, un petit bois de lauriers-roses tremblait dans la gaze du crépuscule, au bord d'une rivière presque à sec. C'est là que Tartarin vint s'embusquer, le genou en terre, selon la formule, la carabine au poing et son grand couteau de chasse planté fièrement devant lui dans le sable de berge.
La nuit arriva. Le rose de la nature passa au violet, puis au bleu sombre... En bas, dans les cailloux de la rivière, luisait comme un miroir à main une petite flaque d'eau claire. C'était l'abreuvoir des fauves. Sur la pente de l'autre berge, on voyait vaguement le sentier blanc que leurs grosses pattes avaient tracé dans les lentisques. Cette pente mystérieuse donnait le frisson. Joignez à cela le fourmillement vague des nuits africaines, branches frôlées, pas de velours d'animaux rôdeurs, aboiements grêles des chacals, et là-haut, dans le ciel, à cent, deux cents mètres, de grands troupeaux de grues qui passent avec des cris d'enfants qu'on égorge ; vous avouerez qu'il y avait de quoi être ému. Tartarin l'était. Il l'était même beaucoup. Les dents lui claquaient, le pauvre homme ! Et sur la garde de son couteau de chasse planté en terre le canon de son fusil rayé sonnait comme une paire de castagnettes... Qu'est-ce que vous voulez ! Il y a des soirs où l'on n'est pas en train, et puis où serait le mérite, si les héros n'avaient jamais peur...
Eh bien ! oui, Tartarin eut peur, et tout le temps encore. Néanmoins, il tint bon une heure, deux heures, mais l'héroïsme à ses limites... Près de lui, dans le lit desséché de la rivière, le Tarasconnais entend tout à coup un bruit de pas, des cailloux qui roulent. Cette fois la terreur l'enlève de terre. Il tire ses deux coups au hasard dans la nuit, et se replie a toutes jambes sur le marabout, laissant son coutelas debout dans le sable comme une croix commémorative de la plus formidable panique qui ait jamais assailli l'âme d'un dompteur d'hydres.
- à moi, préince... le lion !... Un silence.
- Préince, préince, êtes-vous là ?
. Le prince n'était pas là. Sur le mur blanc du marabout, le bon chameau projetait seul au clair de lune l'ombre bizarre de sa bosse... Le prince Grégory venait de filer en emportant portefeuille et billets de banque... Il y avait un mois que Son altesse attendait cette occasion...

VI - Enfin !...
Le lendemain de cette aventureuse et tragique soirée, lorsque, au petit jour, notre héros se réveilla, et qu'il eut acquis la certitude que le prince et le magot étaient réellement partis, partis sans retour ; lorsqu'il se vit seul dans cette petite tombe blanche, trahi, volé, abandonné en pleine Algérie sauvage avec un chameau à bosse simple et quelque monnaie de poche pour toute ressource, alors, pour la première fois, le Tarasconnais douta. Il douta du Monténégro, il douta de l'amitié, il douta de la gloire, il douta même des lions ; et, comme le Christ a Gethsémani, le grand homme se prit a pleurer amèrement.
Or, tandis qu'il était là, pensivement assis sur la porte du marabout, sa tête dans ses deux mains, sa carabine entre ses jambes, et le chameau qui le regardait, soudain le maquis d'en face s'écarte et Tartarin, stupéfait, voit paraître, à dix pas devant lui, un lion gigantesque s'avançant la tête haute et poussant des rugissements formidables qui font trembler les murs du marabout tout chargés d'oripeaux et jusqu'aux pantoufles du saint dans leur niche.
Seul, le Tarasconnais ne trembla pas.
" Enfin ! " cria-t-il en bondissant, la crosse à l'épaule...
Pan ! pan ! ffft ! C'était fait... Le lion avait deux balles explosives dans la tête... Pendant une minute, sur le fond embrasé du ciel africain, ce fut un feu d'artifice épouvantable de cervelle en éclats, de sang fumant et de toison rousse éparpillée. Puis tout retomba et Tartarin aperçut... Deux grands nègres qui couraient sur lui, la matraque en l'air. Les deux nègres de Milianah ! ô misère ! c'était le lion apprivoisé, le pauvre aveugle du couvent de Mohammed que les balles tarasconnaises venaient d'abattre. Cette fois, par Mahom ! Tartarin l'échappa belle. Ivres de fureur fanatique, les deux nègres quêteurs l'auraient sûrement mis en pièces, si le Dieu des chrétiens n'avait envoyé à son aide un ange libérateur, le garde-champêtre de la commune d'Orléans ville arrivant son sabre sous le bras, par un petit sentier. La vue du képi municipal calma subitement la colère des nègres. Paisible et majestueux, l'homme à la plaque dressa procès-verbal de l'affaire, fit charger sur le chameau ce qui restait du lion, ordonna aux plaignants comme au délinquant de le suivre, et se dirigea sur Orléans ville, où le tout fut déposé au greffe.
Ce fut une longue et terrible procédure !
Après l'Algérie des tribus, qu'il venait de parcourir, Tartarin de Tarascon connut alors une autre Algérie non moins cocasse et formidable, l'Algérie des villes, processive et avocassière. Il connut la judiciaire louche qui se tripote au fond des cafés, la bohème des gens de loi, les dossiers qui sentent l'absinthe, les cravates blanches mouchetées de champoreau ; il connut les huissiers, les agréés, les agents d'affaires, toutes ces sauterelles du papier timbré, affamées et maigres, qui mangent le colon jusqu'aux tiges de ses bottes et le laissent déchiqueté feuille par feuille comme un plant de maïs...
Avant tout il s'agissait de savoir si le lion avait été tué sur le territoire civil ou le territoire militaire. Dans le premier cas l'affaire regardait le tribunal de commerce ; dans le second, Tartarin relevait du conseil de guerre, et, à ce mot de conseil de guerre, l'impressionnable Tarasconnais se voyait déjà fusillé au pied des remparts, ou croupissant dans le fond d'un silo... Le terrible, c'est que la délimitation des deux territoires est très vague en Algérie... Enfin, après un mois de courses, d'intrigues, de stations au soleil dans les cours des bureaux arabes, il fut établi que si, d'une part, le lion avait été tué sur le territoire militaire, d'autre part, Tartarin, lorsqu'il tira, se trouvait sur le territoire civil. l'affaire se jugea donc au civil, et notre héros en fut quitte pour deux mille cinq cents francs d'indemnité, sans les frais. Comment faire pour payer tout cela ? Les quelques piastres échappées à la razzia du prince s'en étaient allées depuis longtemps en papiers légaux et en absinthe judiciaire.
Le malheureux tueur de lions fut donc réduit à vendre la caisse d'armes au détail, carabine par carabine. Il vendit les poignards, les kriss malais, les casse-tête... Un épicier acheta les conserves alimentaires. Un pharmacien, ce qui restait du sparadrap. Les grandes bottes elles-mêmes y passèrent et suivirent la tente-abri perfectionnée chez un marchand de bric-à-brac, qui les éleva à la hauteur de curiosités cochinchinoises... Une fois tout payé, il ne restait plus à Tartarin que la peau du lion et le chameau. la peau, il l'emballa soigneusement et la dirigea sur Tarascon, à l'adresse du brave commandant Bravida. (Nous verrons tout à l'heure ce qu'il advint de cette fabuleuse dépouille.)
Quant au chameau, il comptait s'en servir pour regagner Alger, non pas en montant dessus, mais en le vendant pour payer la diligence ; ce qui est encore la meilleure façon de voyager à chameau. Malheureusement la bête était d'un placement difficile, et personne n'en offrit un liard. Tartarin cependant voulait regagner Alger à toute force.
Il avait hâte de revoir le corselet bleu de Baïa, sa maisonnette, ses fontaines, et de se reposer sur les trèfles blancs de son petit cloître, en attendant de l'argent de France.
Aussi notre héros n'hésita pas : et navré, mais point abattu, il entreprit de faire la route a pied, sans argent, par petites journées. En cette occurrence, le chameau ne l'abandonna pas. Cet étrange animal s'était pris pour son maître d'une tendresse inexplicable, et, le voyant sortir d'Orléans ville, se mit à marcher religieusement derrière lui, réglant son pas sur le sien et ne le quittant pas d'une semelle.
Au premier moment, Tartarin trouva cela touchant ; cette fidélité, ce dévouement à toute épreuve lui allaient au cœur d'autant que la bête était commode et se nourrissait avec rien. Pourtant, au bout de quelques jours, le Tarasconnais s'ennuya d'avoir perpétuellement sur les talons ce compagnon mélancolique, qui lui rappelait toutes ses mésaventures ; puis, l'aigreur s'en mêlant, il lui en voulut de son air triste, de sa bosse, de son allure d'oie bridée.
Pour tout dire, il le prit en grippe et ne songea plus qu'à s'en débarrasser ; mais l'animal tenait bon... Tartarin essaya de le perdre, le chameau le retrouva ; il essaya de courir, le chameau courut plus vite...
Il lui criait : " Va-t'en ! " en lui jetant des pierres. Le chameau s'arrêtait et le regardait d'un air triste, puis au bout d'un moment, il se remettait en route et finissait toujours par le rattraper Tartarin dut se résigner.
Pourtant, lorsque, après huit grands jours de marche, le Tarasconnais poudreux, harassé, vit de loin étinceler dans la verdure les premières terrasses d'Alger, lorsqu'il se trouva aux portes de la ville, sur l'avenue bruyante de Mustapha, au milieu des zouaves, des biskris, des Mahonnaises, tous grouillant autour de lui et le regardant défiler avec son chameau, pour le coup, la patience lui échappa :
" Non ! non ! dit-il, ce n'est pas possible... je ne peux pas entrer dans Alger avec un animal pareil ! " et, profitant d'un encombrement de voitures, il fit un crochet dans les champs et se jeta dans un fossé !... Au bout d'un moment, il vit au-dessus de sa tête, sur la chaussée de la route, le chameau qui filait a grandes enjambées, allongeant le cou d'un air anxieux. alors, soulagé d'un grand poids, le héros sortit de sa cachette et rentra dans la ville par un sentier détourné qui longeait le mur de son petit clos.

VII - Catastrophes sur Catastrophes
En arrivant devant sa maison mauresque, Tartarin s'arrêta très étonné. Le jour tombait, la rue était déserte. Par la porte basse en ogive que la négresse avait oublié de fermer, on entendait des rires, des bruits de verres, des détonations de bouchons de champagne, et dominant tout ce joli vacarme une voix de femme qui chantait, joyeuse et claire : aimes-tu, Marco la belle, la danse aux salons en fleurs...
" Troun de Diou " ! fit le Tarasconnais en pâlissant, et il se précipita dans la cour.
Malheureux Tartarin ! Quel spectacle l'attendait... Sous les arceaux du petit cloître, au milieu des flacons, des pâtisseries, des coussins épars, des pipes, des tambourins, des guitares, Baïa debout, sans veston bleu ni corselet, rien qu'une chemisette de gaze argentée et un grand pantalon rose tendre, chantait Marco la Belle avec une casquette d'officier de marine sur l'oreille... à ses pieds, sur une natte, gavé d'amour et de confitures, Barbassou, l'infâme capitaine Barbassou, se crevait de rire en l'écoutant.
L'apparition de Tartarin, hâve, maigri, poudreux, les yeux flamboyants, la chéchia hérissée , interrompit tout net cette aimable orgie turco-marseillaise, Baïa poussa un petit cri de levrette effrayée, et se sauva dans la maison.
Barbassou, lui, ne se troubla pas, et riant de plus belle :
- Hé ! bé ! monsieur Tartarin, qu'est-ce que vous en dites ? Vous voyez bien qu'elle savait le français !
Tartarin de Tarascon s'avança furieux :
- Capitaine !
- Digoli qué vengué, moun bon ! cria la Mauresque, se penchant de la galerie du premier avec un joli geste canaille.
Le pauvre homme, atterré, se laissa choir sur un tambour. Sa Mauresque savait même le marseillais !
- Quand je vous disais de vous méfier des algériennes ! fit sentencieusement le capitaine Barbassou. C'est comme votre prince monténégrin.
Tartarin releva la tête.
- Vous savez où est le prince ?
- oh ! il n'est pas loin. Il habite pour cinq ans la belle prison de Mustapha. Le drôle s'est laissé prendre la main dans le sac... Du reste, ce n'est pas la première fois qu'on le met à l'ombre. Son altesse a déjà fait trois ans de maison centrale quelque part... et, tenez ! je crois même que c'est à Tarascon.
- à Tarascon !... s'écria Tartarin subitement illuminé... C'est donc ça qu'il ne connaissait qu'un côté de la ville...
- Hé ! sans doute... Tarascon vu de la maison centrale...ah ! mon pauvre monsieur Tartarin, il faut joliment ouvrir l'œil dans ce diable de pays, sans quoi on est exposé a des choses bien désagréables... ainsi votre histoire avec le muezzin...
- Quelle histoire ? Quel muezzin ?
- Té ! pardi... le muezzin d'en face qui faisait la cour a Baïa... Lakbar a raconté l'affaire l'autre jour, et tout Alger en rit encore... C'est si drôle ce muezzin qui, du haut de sa tour, tout en chantant ses prières, faisait sous votre nez des déclarations à la petite, et lui donnait des rendez-vous en invoquant le nom d'Allah...
-Mais c'est donc tous des gredins dans ce pays ?... hurla le malheureux Tarasconnais.
Barbassou eut un geste de philosophe.
- Mon cher, vous savez, les pays neufs... C'est égal ! si vous m'en croyez, vous retournerez bien vite à Tarascon.
- Retourner... c'est facile à dire... Et l'argent ?... Vous ne savez donc pas comme ils m'ont plumé, là-bas, dans le désert ?
- Qu'à cela ne tienne ! fit le capitaine en riant... Le Zouave part demain, et si vous voulez, je vous rapatrie... ça vous va-t-il, collègue ?... alors, très bien. Vous n'avez plus qu'une chose à faire. Il reste encore quelques fioles de champagne, une moitié de croustade... asseyez-vous là, et sans rancune !...
Après la minute d'hésitation que lui commandait sa dignité, le Tarasconnais prit bravement son parti. Il s'assit, on trinqua ; Baïa, redescendue au bruit des verres, chanta la fin de Marco la Belle, et la fête se prolongea fort avant dans la nuit.
Vers trois heures du matin, la tête légère et le pied lourd, le bon Tartarin revenait d'accompagner son ami le capitaine, lorsque en passant devant la mosquée, le souvenir du muezzin et de ses farces le fit rire, et tout de suite une belle idée de vengeance lui traversa le cerveau. la porte était ouverte. Il entra, suivit de longs couloirs tapissés de nattes, monta, monta encore, et finit par se trouver dans un petit oratoire turc, où une lanterne en fer découpé se balançait au plafond, brodant les murs blancs d'ombres bizarres. Le muezzin était là, assis sur un divan, avec son gros turban, sa pelisse blanche, sa pipe de Mostaganem, et devant un grand verre d'absinthe fraîche, qu'il battait religieusement, en attendant l'heure d'appeler les croyants à la prière... à la vue de Tartarin, il lâcha sa pipe de terreur.
- Pas un mot, curé, fit le Tarasconnais, qui avait son idée...Vite, ton turban, ta pelisse !...
Le curé turc, tout tremblant, donna son turban, sa pelisse, tout ce qu'on voulut. Tartarin s'en affubla, et passa gravement sur la terrasse du minaret. La mer luisait au loin. Les toits blancs étincelaient au clair de lune. On entendait dans la brise marine quelques guitares attardées... Le muezzin de Tarascon se recueillit un moment, puis, levant les bras, il commença à psalmodier d'une voix suraiguë :
"laallah il allah... Mahomet est un vieux farceur... L'orient, le Coran, les bachagas, les lions, les Mauresques, tout ça ne vaut pas un viédaze !... Il n'y a plus de Teurs. Il n'y a que des carotteurs... Vive Tarascon... " Et pendant qu'en un jargon bizarre, mêlé d'arabe et de provençal, l'illustre Tartarin jetait aux quatre coins de l'horizon, sur la mer, sur la ville, sur la plaine, sur la montagne, sa joyeuse malédiction tarasconnaise, la voix claire et grave des autres muezzins lui répondait, en s'éloignant de minaret en minaret, et les derniers croyants de la ville haute se frappaient dévotement la poitrine.

VIII - Tarascon ! Tarascon.
Midi. Le Zouave chauffe, on va partir. Là-haut, sur le balcon du café Valentin, MM. les officiers braquent la longue vue, et viennent, colonel en tête, par rang de grade, regarder l'heureux petit bateau qui va en France. C'est la grande distraction de l'état-major... En bas, la rade étincelle. La culasse des vieux canons turcs enterrés le long du quai flambe au soleil. Les passagers se pressent. Biskris et Mahonnais entassent les bagages dans les barques. Tartarin de Tarascon, lui, n'a pas de bagages. Le voici qui descend de la rue de la Marine, par le petit marché, plein de bananes et de pastèques, accompagné de son ami Barbassou. Le malheureux Tarasconnais a laissé sur la rive du Maure sa caisse d'armes et ses illusions, et maintenant il s'apprête à voguer vers Tarascon, les mains dans les poches... à peine vient-il de sauter dans la chaloupe du capitaine, qu'une bête essoufflée dégringole du haut de la place, et se précipite vers lui, en galopant. C'est le chameau, le chameau fidèle, qui, depuis vingt-quatre heures, cherche son maître dans Alger.
Tartarin, en le voyant, change de couleur et feint de ne pas le connaître ; mais le chameau s'acharne. Il frétille au long du quai. Il appelle son ami, et le regarde avec tendresse : " Emmène-moi, semble dire son oeil triste, emmène-moi dans la barque, loin, bien loin de cette Arabie en carton peint, de cet orient ridicule, plein de locomotives et de diligences, où -dromadaire déclassé - je ne sais plus que devenir. Tu es le dernier Turc, je suis le dernier chameau... Ne nous quittons plus, à mon Tartarin... "
- Est-ce que ce chameau est à vous ? demande le capitaine.
- Pas du tout ! répond Tartarin, qui frémit à l'idée d'entrer dans Tarascon avec cette escorte ridicule ; et, reniant impudemment le compagnon de ses infortunes, il repousse du pied le sol Algérien, et donne à la barque l'élan du départ... Le chameau flaire l'eau, allonge le cou, fait craquer ses jointures et, s'élançant derrière la barque à corps perdu, il nage de conserve vers le Zouave, avec son dos bombé, qui flotte comme une gourde, et son grand col, dressé sur l'eau en éperon de trirème.
Barque et chameau viennent ensemble se ranger aux flancs du paquebot.
- à la fin, il me fait peine ce dromadaire ! dit le capitaine Barbassou tout ému, j'ai envie de le prendre à mon bord... En arrivant a Marseille, j'en ferai hommage au jardin zoologique.
On hissa sur le pont, à grand renfort de palans et de cordes, le chameau, alourdi par l'eau de mer, et le Zouave se mit en route.
Les deux jours que dura la traversée, Tartarin les passa tout seul dans sa cabine, non pas que la mer fût mauvaise, ni que la chéchia eût trop a souffrir, mais le diable de chameau, dès que son maître apparaissait sur le pont, avait autour de lui des empressements ridicules... Vous n'avez jamais vu un chameau afficher quelqu'un comme cela !...
D'heure en heure, par les hublots de la cabine où il mettait le nez quelquefois, Tartarin vit le bleu du ciel Algérien pâlir ; puis enfin, un matin, dans une brume d'argent, il entendit avec bonheur chanter toutes les cloches de Marseille. On était arrivé... le Zouave jeta l'ancre. Notre homme, qui n'avait pas de bagages, descendit sans rien dire, traversa Marseille en hâte, craignant toujours d'être suivi par le chameau, et ne respira que lorsqu'il se vit installé dans un wagon de troisième classe, filant bon train sur Tarascon... Sécurité trompeuse ! à peine a deux lieues de Marseille, voila toutes les têtes aux portières. on crie, on s'étonne. Tartarin, à son tour, regarde, et... qu'aperçoit-il ?... Le chameau, monsieur, l'inévitable chameau, qui détalait sur les rails, en pleine Crau, derrière le train, et lui tenant pied. Tartarin consterné, se rencogna, en fermant les yeux. après cette expédition désastreuse, il avait compté rentrer chez lui incognito. Mais la présence de ce quadrupède encombrant rendait la chose impossible.
Quelle entrée il allait faire ! bon Dieu ! pas le sou, pas de lions, rien... Un chameau !...
"Tarascon !... Tarascon !... " Il fallut descendre...
ô stupeur ! à peine la chéchia du héros apparut-elle dans l'ouverture de la portière, un grand cri : "Vive Tartarin ! " fit trembler les voûtes vitrées de la gare. " Vive Tartarin ! vive le tueur de lions ! " Et des fanfares, des chœurs d'orphéons éclatèrent... Tartarin se sentit mourir ; il croyait a une mystification. Mais non ! tout Tarascon était la, chapeaux en l'air, et sympathique. Voila le brave commandant Bravida, l'armurier Costecalde, le président, le pharmacien, et tout le noble corps des chasseurs de casquettes qui se presse autour de son chef, et le porte en triomphe tout le long des escaliers...
Singuliers effets du mirage ! la peau du lion aveugle, envoyée à Bravida, était cause de tout ce bruit. avec cette modeste fourrure, exposée au cercle, les Tarasconnais, et derrière eux tout le Midi, s'étaient monté la tête. Le Sémaphore en avait parlé. On avait inventé un drame. Ce n'était plus un lion que Tartarin avait tué, c'étaient dix lions, vingt lions, une marmelade de lions ! aussi Tartarin, débarquant a Marseille, y était déjà illustre sans le savoir, et un télégramme enthousiaste l'avait devancé de deux heures dans sa ville natale.
Mais ce qui mit le comble a la joie populaire, ce fut quand on vit un animal fantastique, couvert de poussière et de sueur, apparaître derrière le héros, et descendre à cloche-pied l'escalier de la gare. Tarascon crut un instant sa Tarasque revenue.
Tartarin rassura ses compatriotes.
- C'est mon chameau, dit-il.
Et déjà sous l'influence du soleil tarasconnais, ce beau soleil, qui fait mentir ingénument, il ajouta, en caressant la bosse du dromadaire :
- C'est une noble bête !... Elle m'a vu tuer tous mes lions.
Là-dessus, il prit familièrement le bras du commandant, rouge de bonheur ; et, suivi de son chameau, entouré des chasseurs de casquettes, acclamé par tout le peuple, il se dirigea paisiblement vers la maison du baobab, et, tout en marchant, il commença le récit de ses grandes chasses :
" Figurez-vous, disait-il, qu'un certain soir, en plein Sahara... "

FIN


Source: InLibroVeritas

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