Retour au menu
Retour à la rubrique poesies

LES PONTIQUES-LIVRE1

Écoute directe Téléchargement Commentaires

Biographie ou informations

Téléchargement lettre par lettre: À BRUTUS, À MAXIME, À RUFIN, À SA FEMME, À MAXIME, À GRAECINUS, À MESSALLINUS, À SÉVÈRE, À MAXIME, À FLACCUS.





Texte ou Biographie de l'auteur

LIVRE PREMIER

LETTRE PREMIÈRE

À BRUTUS

Ovide, déjà vieil habitant de Tomes (1), t'envoie cet ouvrage des bords gétiques (2). Accorde, ô Brutus (3), si tu en as le temps, l'hospitalité à ces livres étrangers ! Ouvre-leur un asile, n'importe lequel, pourvu qu'ils en aient un. Ils n'osent se présenter à la porte des monuments publics (4), de crainte que le nom de leur auteur ne leur en ferme l'entrée. Ah ! combien de fois, pourtant, me suis-je écrié : "Non, assurément, vous n'enseignez rien de honteux ; allez, les chastes vers ont accès en ces lieux." Cependant ils n'osent en approcher, et comme tu le vois toi-même, ils croient leur retraite plus sûre sous quelque toit domestique. Mais où les placer, me diras-tu, sans que leur vue n'offusque personne ? Au lieu où était l'Art d'aimer, et qui est libre aujourd'hui. Surpris de l'arrivée de ces nouveaux hôtes, peut-être voudras-tu en savoir la cause. Reçois-les tels qu'ils sont, pourvu qu'ils ne soient pas l'Amour. Si leur titre éveille moins de souvenirs lugubres, ils ne sont pas moins tristes, tu le verras, que leurs devanciers. Le fond en est le même, le titre seul diffère, et chaque lettre indique, sans nul déguisement, le nom de celui à qui elle s'adresse. Le procédé vous déplaît, à vous, sans doute, mais vous n'y pouvez que faire, et, malgré vous, ma muse courtoise veut vous visiter. Quels que soient ces vers, joins-les à mes oeuvres ; fils d'un exilé, rien ne les empêche, s'ils ne blessent pas les lois, de jouir du droit de cité. Tu n'as rien à craindre ; on lit les écrits d'Antoine (5), et toutes les bibliothèques renferment ceux du savant (6) Brutus. Je ne suis pas assez fou pour me comparer à de si grands noms, et pourtant je n'ai point porté les armes contre les dieux. Il n'est pas un de mes livres dans lequel j'aie manqué d'honorer César, bien que César ne le demande pas. Si l'auteur te semble suspect, reçois au moins les louanges des dieux : efface mon nom, et ne prends que mes vers. Une branche d'olivier, symbole de la paix, suffit pour nous protéger au milieu du combat ; ne serait-ce donc rien pour mes livres d'invoquer le nom de l'auteur même de la paix ? Énée, portant son vieux père, vit, dit-on, s'ouvrir les flammes devant lui ; mon livre porte le nom du petit-fils d'Énée, et tous les chemins ne lui seraient pas ouverts ? Auguste est le père de la patrie, Anchise n'était que le père d'Énée. Qui oserait chasser du seuil de sa maison l'Egyptien armé du sistre bruyant ? Qui pourrait refuser quelques deniers à celui qui joue du fifre ou du clairon devant la mère des dieux ? Nous savons que Diane n'exige pas de pareils égards pour ses prêtres (7) ; cependant le devin a toujours de quoi vivre. Ce sont les dieux eux-mêmes qui touchent nos cœurs, et il n'y a pas de honte à céder à cette pieuse crédulité. Pour moi, au lieu du fifre et de la flûte de Phrygie, je porte le grand nom du descendant d'Iule. Je prédis l'avenir et j'instruis les mortels ; place donc à celui qui porte les choses saintes ! Je le demande, non pour moi, mais pour un dieu puissant ; et parce que j'ai mérité ou trop ressenti sa colère, ne croyez pas qu'il refuse aujourd'hui mes hommages. Après avoir outragé la déesse Isis, j'ai vu plus d'un sacrilège repentant s'asseoir au pied de ses autels, et un autre, privé de la vue (8) pour la même faute, parcourir les rues et crier que son châtiment était mérité. Les dieux entendent avec joie de pareils aveux ; ils les regardent comme des preuves manifestes de la puissance divine. Souvent ils adoucissent les peines, souvent ils rendent la lumière aux aveugles, lorsqu'ils ont témoigné un sincère repentir. Hélas ! moi aussi, je me repens ; si l'on doit ajouter foi aux paroles d'un malheureux, je me repens, et mon cœur se déchire au souvenir de ma faute. J'en suis puni par l'exil, mais je souffre plus de cette faute que de mon exil. Il est moins pénible de subir sa peine que de l'avoir méritée. En vain les dieux, et, parmi eux, celui qui est visible aux yeux des mortels, voudraient-ils m'absoudre, ils peuvent abréger mon supplice, mais le souvenir de mon crime sera éternel. Oui, la mort, en me frappant, mettra un terme à mon exil, mais la mort elle-même ne pourra faire que je n'aie pas été coupable. Il n'est donc pas étonnant que mon âme, pareille à l'eau produite par la fonte des neiges, s'amollisse et se fonde elle-même de douleur. Comme les flancs d'un vieux navire sont minés sourdement par les vers, comme les rochers sont creusés par l'eau salée de l'Océan, comme la rouille mordante ronge le fer abandonné, comme un livre renfermé est mangé par la teigne, ainsi, mon cœur est dévoré par des chagrins inflexibles et dont il ne verra jamais la fin. Oui, je mourrai avant mes remords et mes maux ne cesseront qu'après celui qui les endure.
Si les divinités, arbitres de mon sort, daignent croire à mes paroles, peut-être ne serai-je pas jugé indigne de quelque soulagement, et irai-je en d'autres lieux subir mon exil à l'abri de l'arc des Scythes. Il y aurait de l'impudence à en demander davantage.

LETTRE II

À MAXIME

Maxime (9), ô toi qui es digne d'un si grand nom, et dont la grandeur d'âme ajoute encore à l'illustration de ta naissance, toi pour qui le sort voulut que, le jour où tombèrent trois cents Fabius, un seul leur survécût et devînt la souche de la famille dont tu devais être plus tard un rejeton, Maxime, peut-être demanderas-tu d'où vient cette lettre. Tu voudras savoir qui s'adresse à toi. Que ferai-je, hélas ! Je crains qu'à la vue de mon nom, tu ne fronces le sourcil et ne lises le reste avec répugnance, et si l'on voyait ces vers, oserais-je avouer que je t'ai écrit, et que j'ai versé bien des larmes sur mon infortune ? Qu'on les voie donc ! Oui, je l'oserai, j'avouerai que je t'ai écrit, pour t'apprendre de quelle manière j'expie ma faute. Je méritais, sans doute, un grand châtiment, je ne pouvais, toutefois, en souffrir un plus rigoureux.
Je vis entouré d'ennemis et au sein des dangers, comme si, en perdant ma patrie, j'avais aussi perdu la tranquillité. Les peuples chez lesquels j'habite, pour rendre leurs blessures doublement mortelles, trempent leurs flèches dans du fiel de vipère. Ainsi armés, les cavaliers rôdent autour des remparts épouvantés, comme les loups autour des bergeries. Une fois qu'ils ont bandé leurs arcs, dont les cordes sont faites avec les nerfs du cheval, ces arcs demeurent ainsi tendus sans se relâcher jamais. Les maisons sont hérissées comme d'une palissade de flèches ; les portes solidement verrouillées peuvent à peine résister aux assauts. Ajoute à cela le sombre aspect d'un pays sans arbres ni verdure, où l'hiver succède à l'hiver sans interruption. Voilà le quatrième que j'y passe, luttant contre le froid, contre les flèches, et contre ma destinée. Mes larmes ne tarissent que lorsqu'une sorte d'insensibilité vient en suspendre le cours, et que mon cœur est plongé dans un état léthargique, semblable à la mort. Heureuse Niobé, qui, témoin de tant de morts, perdit le sentiment de sa douleur, et fut changée en rocher ! Heureuses aussi, vous dont la voix plaintive redemandait un frère, et qui fûtes métamorphosées en peupliers. Et moi, je ne puis ainsi revêtir la forme d'un arbre ; je voudrais en vain devenir un bloc de pierre ; Méduse viendrait s'offrir à mes regards, Méduse elle-même serait sans pouvoir.
Je ne vis que pour alimenter une douleur éternelle, et je sens qu'à la longue elle devient plus pénétrante : ainsi le foie vivace et toujours renaissant de Tityus ne périt jamais, afin qu'il puisse être toujours dévoré.
Mais lorsque l'heure du repos a sonné, lorsqu'arrive le sommeil, ce remède ordinaire de nos inquiétudes, la nuit, je pense, donnera quelque relâche à mes maux habituels. Vain espoir ! Des songes épouvantables m'offrent l'image de mes infortunes réelles, et mes sens veillent pour me tourmenter. Tantôt je rêve que j'esquive les flèches des Sarmates ou que j'abandonne à leurs chaînes mes mains captives, tantôt, lorsqu'un songe plus heureux vient m'abuser, je crois voir à Rome mes foyers solitaires ! Je m'entretiens tantôt avec vous, mes amis, que j'ai tant aimés, tantôt avec mon épouse adorée. Ainsi, après avoir passé quelques courts instants d'un bonheur imaginaire, le souvenir de cette jouissance fugitive aggrave encore la vivacité de mes maux, et, soit que le jour se lève sur cette terre malheureuse, soit que la nuit pousse devant elle ses chevaux couverts de frimas, mon âme, soumise à l'influence délétère d'un chagrin incessant, se fond comme la cire nouvelle au contact du feu. Souvent j'appelle la mort, puis, au même instant, je la supplie de m'épargner, afin que le sol des Sarmates ne soit pas le dépositaire de mes os. Quand je songe à la clémence infinie d'Auguste, je pense obtenir un jour, après mon naufrage, un port plus tranquille, mais quand je considère l'acharnement de la fortune qui me persécute, tout mon être se brise, et mes timides espérances, vaincues par une force supérieure, s'évanouissent. Cependant je n'espère et je ne sollicite rien de plus que de pouvoir changer d'exil, quelque rigoureux qu'il dût être encore.
Telle est la faveur ou bien il n'en est plus pour moi, que j'attends de ton crédit, et que tu peux essayer de m'obtenir sans compromettre ta discrétion ; toi, la gloire de l'éloquence romaine (10), ô Maxime, prête à une cause difficile ton bienveillant patronage. Oui, je l'avoue, ma cause est mauvaise, mais, si tu t'en fais l'avocat, elle deviendra bonne ; dis seulement quelques paroles de pitié en faveur du pauvre exilé. César ne sait pas (bien qu'un dieu sache tout) quelle existence on mène dans ce coin reculé du monde. De plus graves soucis préoccupent ses hautes pensées, et l'intérêt que je voudrais lui inspirer est au-dessous de son âme céleste. Il n'a pas le loisir de s'informer dans quelle région se trouve Tomes. À peine ce lieu est-il connu des Gètes, ses voisins. Il ne s'inquiète pas de ce que font les Sarmates et les belliqueux Jazyges, et les habitants de cette Chersonèse-Taurique, si chère à la déesse enlevée par Oreste (11), et ces autres nations qui, tandis que l'Ister est enchaîné par les froids de l'hiver, lancent leurs coursiers rapides sur le dos glacé des fleuves. La plupart de ces peuples, ô Rome, ô ma belle patrie, ne s'occupent pas davantage de toi ; ils ne redoutent pas les armes des fils de l'Ausonie ; ils sont pleins de confiance dans leurs arcs, dans leurs carquois bien fournis, dans leurs chevaux accoutumés aux courses les plus longues ; ils ont appris à supporter longtemps la soif et la faim ; ils savent que l'eau manquerait, pour se désaltérer, à l'ennemi qui les poursuivrait. Non, César, ce dieu clément, ne m'eût jamais, dans sa colère, relégué au fond de cette terre maudite s'il l'eût bien connue ; il ne peut se réjouir qu'un Romain, que moi surtout, à qui il a fait grâce de la vie, soit opprimé par l'ennemi ; d'un signe il pouvait me perdre, il ne l'a pas voulu ; est-il besoin qu'un Gète soit plus impitoyable ?
Du reste, je n'avais rien fait pour mériter la mort, et Auguste peut être maintenant moins irrité contre moi qu'il ne le fut d'abord ; alors même, ce qu'il a fait, je l'ai contraint de le faire, et le résultat de sa colère ne surpassa point mon offense. Fassent donc les dieux, dont il est le plus clément, que la terre bienfaisante ne produise rien de plus grand que César, que les destinées de l'empire reposent encore longtemps sur lui, et qu'elles passent de ses mains dans celles de sa postérité ! Quant à toi, Maxime, implore, en faveur de mes larmes, la pitié d'un juge dont j'ai connu moi-même toute la douceur ; ne demande pas que je sois bien, mais mal et plus en sûreté ; que mon exil soit éloigné d'un ennemi cruel, et que l'épée du Gète sauvage ne m'arrache pas une vie que m'a laissée la clémence des dieux ; qu'enfin, si je meurs, mes restes soient confiés à une terre plus paisible, et ne soient pas pressés par la terre de Scythie ; que ma cendre, mal inhumée (comme est digne de l'être celle d'un proscrit), ne soit pas foulée aux pieds des chevaux de Thrace ; et si, après la mort, il reste quelque sentiment, que l'ombre d'un Sarmate ne vienne pas épouvanter mes mânes. Ces raisons, ô Maxime, pourraient, en passant par ta bouche, attendrir le cœur de César, si d'abord tu en étais touché toi-même. Que ta voix donc, je t'en supplie, que cette voix toujours consacrée à la défense des accusés tremblants, calme l'inflexibilité d'Auguste ; que ta parole, ordinairement si douce et si éloquente, fléchisse le cœur d'un prince égal aux dieux. Ce n'est pas Théromédon, ce n'est pas le sanglant Atrée, ni ce roi qui nourrit ses chevaux de chair humaine que tu vas implorer, mais un prince lent à punir, prompt à récompenser, qui gémit chaque fois qu'il est obligé d'user de rigueur, qui ne vainquit jamais qu'afin de pouvoir pardonner aux vaincus, qui ferma pour toujours les portes de la guerre civile, qui réprima les fautes plutôt par la crainte du châtiment que par le châtiment lui-même, et dont la main, peu prodigue de vengeances, ne lance qu'à regret la foudre. Toi donc, que je charge de plaider ma cause devant un juge si clément, demande-lui qu'il rapproche de ma patrie le lieu de mon exil. Je suis cet ami fidèle qui venait, aux jours de fête, s'asseoir à ta table, parmi tes convives, qui chanta ton hymen devant les torches nuptiales, et le célébra par des vers dignes de ta couche fortunée, dont tu avais, il m'en souvient, l'habitude de louer les écrits, excepté, toutefois, ceux qui furent si funestes à leur auteur, que tu prenais quelquefois pour juge des tiens, et qui les admirait ; je suis, enfin, celui qui épousa une femme de ta famille. Cette femme, Marcia (12) en l'ait l'éloge ; elle l'a aimée dès sa plus tendre enfance, et l'a toujours comptée au nombre de ses compagnes. Auparavant, elle avait joui du même privilège près d'une tante maternelle de César (13) ; la femme, ainsi jugée par de pareilles femmes, est vraiment vertueuse ; Claudia elle-même, qui valait mieux que sa réputation, louée par elles, n'eût pas eu besoin du secours des dieux.
Et moi aussi j'avais passé dans l'innocence mes premières années ; les dernières seules demandent qu'on les oublie. Mais ne parlons pas de moi : ma femme doit faire toute ta sollicitude, et tu ne peux, sans manquer à l'honneur, la lui refuser ; elle a recours à toi ; elle embrasse les autels, car il est bien juste de se recommander aux dieux qu'on a toujours honorés ; elle te conjure, en pleurant, d'intercéder pour son époux, de fléchir César, et d'obtenir de lui que mes cendres reposent près d'elle.

LETTRE III

À RUFIN

Rufin, Ovide ton ami, si toutefois un malheureux peut-être l'ami de quelqu'un, Ovide te salue. Les consolations que j'ai reçues de toi dernièrement, au milieu de mes chagrins, ont ranimé mon courage et mon espérance. De même que le héros, fils de Péan, sentit, après que Machaon l'eut guéri de sa blessure, la puissance de la médecine, ainsi moi dont l'âme était abattue, qui souffrais d'une blessure mortelle, j'ai recouvré quelques forces en lisant tes conseils. J'allais mourir, et tes paroles m'ont rendu à la vie, comme le vin rend au pouls le mouvement. Toutefois, malgré ton éloquence, je ne me sens point assez complètement raffermi pour que je me croie guéri. Quelque chose que tu ôtes de cet abîme de chagrins dans lequel je suis plongé, tu n'en diminueras pas le nombre. Peut-être qu'à la longue, le temps cicatrisera ma blessure, mais la plaie qui saigne encore frémit sous la main qui la touche. Il n'est pas toujours au pouvoir du médecin de guérir son malade ; le mal est quelquefois plus fort que la science. Tu sais que le sang que rejette un poumon délicat est l'avant-coureur de la mort. Le dieu d'Épidaure lui-même apporterait ses végétaux sacrés, que leurs sucs ne guériraient pas les blessures du cœur. La médecine est impuissante contre les maux de la goutte, impuissante contre l'horreur qu'éprouvent certains malades à la vue de l'eau. Quelquefois aussi le chagrin est incurable, sinon, il ne perd de son intensité qu'avec le temps. Quand tes avis eurent fortifié mon courage, et communiqué à mon âme toute l'énergie de la tienne, l'amour de la patrie, plus fort que toutes les raisons, détruisit l'œuvre de tes conseils. Que ce soit piété, que ce soit faiblesse, j'avoue que le malheur éveille en moi une sensibilité excessive. La froide raison d'Ulysse n'est pas douteuse, et cependant le plus grand désir du roi d'Ithaque était d'apercevoir la fumée du foyer paternel. Je ne sais quels charmes possède le sol natal pour nous captiver, et nous empêcher de l'oublier jamais. Quoi de meilleur que Rome ? quoi de pire que les rivages de Scythie ? et cependant le barbare quitte Rome en toute hâte, pour revenir ici. Si bien qu'elle soit dans une cage, la fille de Pandion, aspire toujours à revoir ses forêts. Malgré leur instinct sauvage, le taureau cherche les vallons boisés où il a coutume de paître, et le lion, l'antre qui lui sert de retraite. Et tu espères que les soucis qui me rongent le cœur dans l'exil seront dissipés par tes consolations ! Ô vous, mes amis, soyez donc moins dignes de ma tendresse, et je serai peut-être moins affligé de vous avoir perdus.
Sans doute que, banni de la terre qui m'a vu naître, j'ai trouvé une retraite dans quelque pays habité par des hommes. Mais non, relégué aux extrémités du monde, je languis sur une plage abandonnée, dans une contrée ensevelie sous des neiges éternelles. Ici, dans les campagnes, ne croissent ni la vigne ni aucun arbre fruitier ; le saule n'y verdit point sur le bord des fleuves, ni le chêne sur les montagnes. La mer ne mérite pas plus d'éloges que la terre : toujours privés du soleil et toujours irrités, les flots y sont le jouet de tempêtes furieuses. De quelque côté que vous portiez les regards, vous ne voyez que des plaines sans culture, et de vastes terrains sans maîtres. À droite et à gauche nous presse un ennemi redoutable, dont le voisinage est une cause de terreurs continuelles. D'une part, on est exposé aux piques des Bistoniens (14), de l'autre, aux flèches des Sarmates. Viens maintenant me citer l'exemple de ces grands hommes de l'antiquité qui ont supporté avec courage les revers de la fortune. Admire l'héroïque fermeté de Rutilius (15), qui refuse la permission de rentrer dans sa patrie, et continue de rester à Smyrne, et non dans le Pont ni sur une terre ennemie, à Smyrne, préférable peut-être à tout autre séjour. Le Cynique de Sinope ne s'affligea pas de vivre loin de sa patrie ; oui c'est toi, terre de l'Attique, qu'il avait choisie pour sa retraite. Le fils de Néoclès, dont l'épée repoussa l'armée des Perses, subit son premier exil à Argus. Chassé d'Athènes, Aristide se réfugia à Lacédémone, et alors on ne pouvait dire laquelle de ces deux villes l'emportait sur l'autre. Patrocle, après un meurtre commis dans son enfance, quitta Oponte, alla en Thessalie, et y devint l'hôte d'Achille. Exilé de l'Hémonie, le héros qui guida le vaisseau sacré sur les mers de Colchide se retira près des bords de la fontaine de Pyrène (16). Le fils d'Agénor, Cadmus, abandonna les murs de Sidon, pour fonder une ville sous un ciel plus heureux. Tydée, banni de Calydon, se rendit à la cour d'Adraste, et Teucer trouva un asile sur une terre chérie de Vénus. Pourquoi citerai-je encore les anciens Romains ? Alors l'exil n'allait jamais au-delà des limites de Tibur. Quand je compterais tous les bannis, je n'en trouverais aucun, et à aucune époque, qu'on ait relégué aussi loin et dans un pays si affreux. Que ta sagesse pardonne donc à la douleur d'un infortuné qui profite si peu de tes conseils. J'avoue cependant que si l'on pouvait guérir mes blessures, tes conseils en seraient seuls capables, mais hélas ! je crains bien que tes nobles efforts ne soient inutiles, et que ton art n'échoue contre un malade désespéré. Je ne dis pas cela pour élever ma sagesse au-dessus de la sagesse des autres, mais parce que je me connais moi-même mieux que les médecins. Quoi qu'il en soit, je regarde comme un don inappréciable tes avis bienveillants, et j'applaudis avec reconnaissance à l'intention qui te les a dictés.

LETTRE IV

À SA FEMME

Déjà au déclin de l'âge, je vois ma tête qui commence à blanchir ; déjà les rides de la vieillesse sillonnent mon visage ; déjà ma vigueur et mes forces languissent dans mon corps épuisé, et les jeux qui jadis firent le charme de ma jeunesse me déplaisent aujourd'hui. Si j'apparaissais tout à coup devant toi, tu ne pourrais me reconnaître, tant est profonde l'empreinte des ravages que le temps m'a fait subir. C'est sans doute l'effet des années, aussi bien que le résultat des fatigues de l'esprit et d'un travail continuel. Si l'on calculait mes années sur le nombre des maux que j'ai soufferts, crois-moi, je serais plus vieux que Nestor de Pylos. Vois comme les travaux pénibles des champs brisent le corps robuste des bœufs ; et pourtant, quoi de plus fort que le bœuf ? La terre, dont le sein est toujours fécond, s'épuise, fatiguée de produire sans cesse ; il périra, le coursier qu'on fait lutter sans relâche dans les combats du cirque ; et le vaisseau, dont les flancs toujours humides ne se seront jamais séchés sur la grève, quelque solide qu'il soit d'ailleurs, s'entrouvrira au milieu des flots. C'est ainsi qu'affaibli moi-même par une suite de maux infinis, je me sens vieilli avant le temps. Si le repos nourrit le corps, il est aussi l'aliment de l'âme, mais un travail immodéré les consume l'un et l'autre. Vois combien la postérité est prodigue d'éloges envers le fils d'Eson (17), parce qu'il est venu dans ces contrées. Mais ses travaux, comparés aux miens, furent bien peu de chose, si toutefois le grand nom du héros n'étouffe pas la vérité. Il vient dans ce Pont, envoyé par Pélias (18), dont le pouvoir s'étendait à peine jusqu'aux limites de la Thessalie ; ce qui m'a perdu moi, c'est le courroux de César, dont le nom fait trembler l'univers du couchant à l'aurore (19). L'Hémonie est plus près que Rome de l'affreux pays du Pont ; Jason eut donc une route moins longue à parcourir que moi. Il eut pour compagnons les premiers de la Grèce ; et tous mes amis m'abandonnèrent à mon départ pour l'exil. J'ai franchi sur un fragile esquif l'immensité des mers ; et lui voguait sur un excellent navire. Je n'avais pas Tiphys pour pilote ; le fils d'Agénor n'était pas là pour m'indiquer la route que je devais prendre ni celle que je devais éviter. Jason marchait sous l'égide de Pallas et de l'auguste Junon ; nulle divinité n'a protégé ma tête. Il fut secondé par les ressources ingénieuses de l'amour, par cette science que je voudrais n'avoir jamais enseignée. Il revint dans sa patrie, et moi je mourrai sur cette terre, si la terrible colère d'un dieu que j'ai offensé reste inflexible. Ainsi donc, ô la plus fidèle des épouses, mon fardeau est en effet plus lourd à porter que celui du fils d'Eson. Toi aussi, qu'à mon départ de Rome je laissai jeune encore, l'idée de mes malheurs t'aura sans doute vieillie. Oh ! Fassent les dieux que je puisse te voir telle que tu es ! que je puisse déposer sur tes joues flétries de tendres baisers, presser dans mes bras ton corps amaigri, et dire : "C'est son inquiète sollicitude pour moi qui l'a rendue si frêle !", te raconter ensuite mes souffrances, en mêlant mes larmes aux tiennes ; jouir encore d'un entretien que je n'espérais plus, et, d'une main reconnaissante, offrir aux Césars, à une épouse digne de César, à ces dieux véritables, un encens mérité.
Puisse la colère du prince s'apaiser bientôt, et la mère de Memnon, de sa bouche de rose, m'annoncer enfin cette heureuse nouvelle !

LETTRE V

À MAXIME

Cet Ovide, qui autrefois n'occupait point la dernière place dans ton amitié, te prie, Maxime, de lire ces vers : ne cherche point à y retrouver mes inspirations premières, autrement tu me semblerais avoir oublié mon exil. Tu vois comme l'inaction énerve le corps engourdi, comme l'eau condamnée à croupir finit par s'altérer. Ainsi le peu d'habitude que je pouvais avoir acquise dans l'art de la poésie, je l'ai presque perdue, faute d'exercice assidu. Ces vers même que tu lis, crois-moi, ô Maxime, je les écris avec regret et d'une main presque rebelle ; un tel soin n'est plus possible à mon esprit, et ma muse, enrayée par le Gète farouche, ne répond plus à mon appel. Et cependant, tu le vois, je m'efforce d'enfanter quelques vers, mais ils sont, aussi durs que mon destin. En les relisant, j'ai honte de les avoir composés, car moi, qui suis leur père, je les juge et je vois que presque tous mériteraient d'être effacés. Cependant je ne les retouche pas. Ce serait pour moi un travail plus fatigant que celui d'écrire, et mon esprit malade ne supporte rien de pénible. Est-ce donc le moment de limer mes vers, de contrôler chacune de mes expressions ? La fortune sans doute me tourmente trop peu. Faut-il encore que le Nil se mêle aux eaux de l'Hèbre, et que l'Athos confonde ses forêts à celles qui couvrent les Alpes ? Non, le cœur déchiré par sa cruelle blessure a besoin de répit. Le bœuf soustrait sa tête au joug qui l'a blessé.
Mais sans doute qu'il est pour moi des fruits à recueillir, juste dédommagement de mes travaux. Sans doute que le champ me rend la semence avec usure, mais, hélas ! rappelle-toi tous mes ouvrages, et tu verras que, jusqu'à ce jour, aucun d'eux ne m'a servi ; plût au ciel qu'aucun ne m'eût été funeste ! Alors, pourquoi donc écrire ? tu t'en étonnes ? cet étonnement, je le partage, et souvent je me demande : "Que m'en reviendra-t-il ?" Le peuple a-t-il donc raison de nier le bon sens des poètes ? et serais-je moi-même destiné à être la preuve la plus éclatante de cette croyance, moi qui, trompé si souvent par un champ stérile, persiste à confier la semence à une terre ingrate ? C'est que chacun est l'esclave de ses goûts ; c'est qu'on aime à consacrer son temps à son art favori : le gladiateur blessé jure de renoncer aux combats, mais bientôt, oubliant ses cicatrices, il reprend ses armes. Le naufragé dit qu'il n'aura plus rien de commun avec la mer, et bientôt il agite la rame sur ces flots d'où naguère il se sauvait à la nage. Ainsi je maudis constamment mes études inutiles, et je reviens sans cesse courtiser la déesse que je voudrais n'avoir jamais honorée. Que ferai-je de mieux ? je ne suis pas né pour languir dans une lâche oisiveté ! le temps sans emploi est pour moi l'image de la mort. Je n'aime pas non plus à passer les nuits jusqu'au jour, plongé dans une ivresse dégoûtante, et les douces séductions du jeu n'ont sur moi aucune prise. Quand j'ai donné au sommeil le temps que réclament les fatigues du corps, comment employer les longues heures de la journée ? Irai-je, oubliant les usages de ma patrie, apprendre à bander l'arc du Sarmate, et me livrerai-je aux exercices de ce pays ? Mes forces elles-mêmes s'y opposent : mon âme a plus de vigueur que mon corps débile. Cherche alors ce que je puis faire ; rien de plus utile que ces occupations, qui ne le sont nullement en effet. C'est ainsi que je m'étourdis sur mes malheurs, et c'est assez pour moi que mon champ me rende cette moisson. Que la gloire vous aiguillonne, vous autres ! consacrez vos veilles à cultiver les muses, pour qu'on applaudisse ensuite à la lecture de vos vers. Je m'en tiens, moi, aux productions qui naissent sans effort, et je ne vois pas de raison de s'appliquer à un travail trop soutenu. Pourquoi mettrais-je tant de soin à polir mes vers ? craindrais-je qu'ils n'aient point l'approbation des Gètes ? Peut-être trouverez-vous cet aveu peu modeste, mais j'ai l'orgueil de me croire le plus beau génie des pays baignés par l'Ister. Là où je suis condamné à vivre, il doit me suffire d'être poète au milieu des Gètes inhumains. À quoi me servirait de poursuivre la gloire dans un autre monde ? Que ces lieux où le sort m'a jeté soient Rome pour moi : ma muse infortunée se contente de ce théâtre ! Ainsi je l'ai mérité. Ainsi l'ont ordonné les dieux tout-puissants ! Je ne crois pas, d'ailleurs, que mes écrits parviennent, de si loin jusqu'aux lieux où Borée lui-même n'arrive que d'une aile fatiguée. Le ciel entier nous sépare, et l'Ourse, si eloignée de la ville de Quirinus, voit de près les Gètes barbares. Non, à peine puis-je croire que les fruits de mes veilles aient franchi un si grand espace de terres et de mers ; supposons, d'ailleurs, qu'on les lise, et, ce qui serait étonnant, supposons qu'ils plaisent, ce fait, assurément, ne servirait en rien à leur auteur. Quel avantage recueillerais-tu d'être loué par les habitants de la chaude Syène ou de l'île de Taprobane, baignée par les flots indiens ? Montons encore plus haut : si tes louanges étaient chantées par les Pléiades lointaines, que t'en reviendrait-il ? Mais le poète, escorté par de si médiocres écrits, ne saurait parvenir jusqu'à vous ; sa gloire a quitté Rome avec lui. Et vous, pour qui j'ai cessé d'être, du jour où ma renommée alla s'ensevelir au loin avec moi, aujourd'hui sans doute, vous ne parlez même plus de ma mort.

LETTRE VI

À GRAECINUS

Quand la nouvelle de ma disgrâce arriva jusqu'à toi, alors que tu étais retenu sur une terre étrangère, ton cœur en fut-il affligé ? En vain tu le dissimulerais ; en vain tu craindrais d'en faire l'aveu, si je te connais bien, Graecinus, tu fus certainement affligé. Une insensibilité odieuse n'est pas dans ton caractère ; elle est d'ailleurs incompatible avec tes études : les beaux-arts, qui sont l'objet exclusif de tes soins, corrigent la rudesse des cœurs, et les adoucissent ; et personne, Graecinus, ne s'y livre avec plus d'ardeur que toi, lorsque les devoirs de ta charge et les travaux de la guerre t'en laissent le loisir.
Pour moi, dès que je connus toute l'étendue de mon malheur (car pendant longtemps je n'eus pas le sentiment de ma position), je compris que le coup le plus foudroyant dont me frappait la fortune, c'était de me priver d'un ami tel que toi, d'un ami dont la protection devait m'être d'une immense utilité ! Avec toi se perdaient les consolations que réclamait mon esprit malade. Je perdais la moitié de ma vie et de ma raison. Maintenant je te fais une dernière prière : c'est de venir, d'aussi loin que tu sois, secourir ma misère et aider ma faiblesse par tes conseils. Que si tu as quelque confiance dans la véracité d'un ami, tu diras qu'il fut imprudent plutôt que criminel. Il n'est ni facile ni sûr d'écrire quelle fut l'origine de ma faute. Mes blessures craignent qu'on n'en approche la main. Dispense-toi de rechercher pourquoi je les ai reçues, ne les excite pas, si tu veux qu'elles se cicatrisent.
Quoi qu'il en soit, ce que j'ai fait ne mérite pas le nom de crime. Ce n'est qu'une faute, et toute faute contre les dieux est-elle donc un crime ? Aussi, Graecinus, ai-je encore quelque espérance de voir adoucir mon supplice. L'Espérance ! cette déesse restée sur la terre maudite, quand les autres dieux eurent quitté ce monde corrompu. C'est elle qui attache à la vie l'esclave chargé de fers, et qui lui fait croire qu'un jour ses pieds seront libres d'entraves. C'est elle qui fait que le naufragé, bien qu'il ne voie la terre nulle part autour de lui, lutte de ses bras contre la fureur des vagues. Souvent le malade, abandonné par les médecins les plus habiles, espère encore, alors même que son pouls a cessé de battre. Le prisonnier sous les verrous rêve, dit-on, sa liberté, et le criminel sur la croix fait encore des vœux. Elle empêcha bien des malheureux qui déjà s'étaient passé au cou le lacet fatal de consommer le suicide qu'ils avaient prémédité. Elle m'arrêta moi-même lorsque je tenais le glaive, prêt à finir mes souffrances. Elle suspendit mon bras déjà levé. "Que fais-tu ? me dit-elle, il faut des larmes, et non du sang. Les larmes apaisent souvent la colère du prince." Aussi, quoique j'en sois indigne, j'espère encore dans la clémence du dieu que j'implore. Supplie-le, Graecinus, de n'être plus inexorable, et, par tes prières éloquentes, aide à l'accomplissement de mes vœux. Puissé-je être enseveli dans les sables de Tomes, si je doute jamais de la sincérité de ceux que toi-même tu formes pour moi ! Les colombes commenceront à s'éloigner des tours, les bêtes fauves de leurs antres, les troupeaux de leurs pâturages et les plongeons des eaux, avant que Graecinus abandonne la cause d'un ancien ami. Non, il n'est pas dans ma destinée que tout soit changé à ce point !

LETTRE VII

À MESSALLINUS

Cette lettre, Messalinus, est l'expression des vœux que je t'adresse du pays des Gètes, et que je t'adressais autrefois de vive voix. Reconnais-tu, au lieu d'où elle vient, celui qui l'a écrite ? ou bien faut-il que tu lises le nom de l'auteur, pour savoir enfin que ces caractères ont été tracés par la main d'Ovide ? Quel autre de tes amis se trouve ainsi relégué aux bornes de l'univers, si ce n'est moi, moi qui te conjure de me regarder toujours comme des tiens ? Fassent les dieux que ceux qui t'aiment et qui t'honorent ne connaissent jamais ce pays ! C'est bien assez que moi seul j'y vive au milieu des glaces et des flèches des Scythes, si toutefois on peut appeler vie ce qui est une espèce de mort. Que cette terre réserve pour moi seul les périls de la guerre, le ciel, sa température glaciale, le Gète, ses armes menaçantes, et l'hiver ses frimas, que j'habite une contrée qui ne produit ni fruit ni raisin, une contrée où l'ennemi ne cesse de nous inquiéter de toutes parts, pourvu que le reste de mes nombreux amis, parmi lesquels j'occupais, comme dans la foule, une petite place, soient à l'abri de tout danger. Malheur à moi si mes paroles t'offensent, si tu nies que j'aie jamais possédé le titre que je réclame ! Cela fût-il, tu devrais me pardonner ce mensonge, car ce titre, dont je me glorifie, n'ôte rien à ta renommée. Qui ne prétend être l'ami des Césars, uniquement parce qu'il les connaît ? Aie la même indulgence, après mon aveu, et, pour moi, tu seras César. Cependant, je ne force pas l'entrée des lieux qui me sont interdits. Conviens seulement que ta maison me fut jadis ouverte, et mon orgueil sera satisfait, quand il n'y aurait pas eu d'autres rapports entre nous. Cependant les hommages dont tu es l'objet aujourd'hui comptent un organe de moins qu'autrefois. Ton père lui-même n'a pas désavoué mon amitié, lui qui m'encouragea dans mes études, qui fut ma lumière et mon guide, à qui j'ai offert à sa mort, et comme un dernier honneur, mes larmes et des vers qui furent récités dans le forum. Je sais aussi que ton frère me porte une amitié aussi vive que celle des fils d'Atrée et des fils de Tyndare. Lui aussi n'avait pas dédaigné de me choisir pour son compagnon, pour son ami, et tu ne crois pas, j'imagine, que cet aveu puisse lui faire du tort ; autrement, je consens à reconnaître que, sur ce point là encore, je n'ai pas dit la vérité, dût votre maison entière m'être à jamais fermée ! Mais il n'en sera point ainsi. Car enfin il n'est pas de puissance humaine capable d'empêcher qu'un ami ne s'égare quelquefois. Cependant, comme personne n'ignore que je ne fus jamais criminel, ainsi puisse-t-il être reconnu que je n'ai pas même été coupable ! Si la faute était tout à fait inexcusable, l'exil serait pour moi une peine trop légère, mais celui à qui rien n'échappe, César, a bien vu lui-même que mon crime n'était en effet qu'une imprudence. Aussi m'a-t-il épargné, autant que ma conduite le lui permettait, autant que mon erreur lui en laissait la faculté.
Il s'est servi avec modération des feux de sa foudre. Il ne m'a ôté ni la vie, ni les biens, ni l'espérance du retour, si vos prières parviennent un jour à désarmer sa colère. Mais ma chute a été terrible, et qu'y a-t-il d'étonnant ? l'homme frappé par Jupiter n'en reçoit pas de médiocres blessures. Achille voulait en vain comprimer ses forces, les coups de sa lance étaient désastreux. Ainsi, la sentence même de mon juge m'étant favorable, il n'y a pas de raison pour que ta porte refuse aujourd'hui de me reconnaître. Mes hommages, je l'avoue, n'ont pas été aussi assidus qu'ils devaient l'être, mais cela, sans doute, était encore un effet de ma destinée. Il n'est personne cependant à qui j'aie témoigné plus de respect, et, soit chez l'un, soit chez l'autre, je sentis toujours les bienfaits de votre protection. Telle est ton affection pour ton frère, que l'ami de ce frère, en admettant même qu'il ait négligé de te rendre hommage, a sur toi quelques droits. De plus, si la reconnaissance doit toujours suivre les bienfaits, n'est-il pas dans ta destinée de la mériter encore ? Si tu me permets de te dire ce que tu dois désirer, demande aux dieux de donner plutôt que de vendre. C'est ce que tu fais, et autant qu'il m'en souvient, tu avais la noble coutume d'obliger le plus que tu pouvais. Donne-moi, Messalinus, donne-moi une place, quelle qu'elle soit, dans ta maison, pourvu que je n'y paraisse point comme un intrus, et, si tu ne plains pas Ovide parce qu'il est malheureux, plains-le du moins d'avoir mérité de l'être.

LETTRE VIII

À SÉVÈRE

Ô Sévère, ô toi, la moitié de moi-même, reçois ce témoignage de souvenir que t'adresse ton cher Ovide. Ne me demande pas ce que je fais ici ; tu verserais des larmes si je te racontais en détail toutes mes souffrances ; il suffit que je t'en donne ici l'abrégé.
Nous voyons chaque jour s'écouler sans un moment de repos, et au milieu de guerres continuelles ; le carquois du Gète y est l'aliment inépuisable des combats. Seul, de tant de bannis, je suis à la fois exilé et soldat. Les autres vivent en sûreté, je n'en suis pas jaloux, et afin que tu juges mes vers avec plus d'indulgence, songe, en les lisant, que je les ai faits dans les préparatifs du combat.
Près des rives de l'Ister au double nom, il est une ville ancienne que ses murs et sa position rendent presque inaccessible. Le Caspien, Aegipsus, si nous en croyons ce peuple sur sa propre histoire, fut le fondateur de cette ville et lui donna son nom. Les Gètes farouches l'enlevèrent par surprise aux Odrysiens, qu'ils massacrèrent, et poursuivirent ensuite leurs attaques contre le roi. Celui-ci, dans le souvenir de sa grande origine, redoublant de courage, se présenta aussitôt entouré d'une armée nombreuse, et ne se retira qu'après s'être baigné dans le sang des coupables, et s'être rendu coupable lui-même, en poussant trop loin sa vengeance. Ô roi le plus vaillant de notre siècle, puissent tes mains glorieuses tenir à jamais le sceptre ! Puisses-tu (et mes souhaits pour toi ne sauraient s'élever plus haut) obtenir les éloges de Rome, fille de Mars, et du grand César.
Mais, revenant à mon sujet, je me plains à mon aimable ami, de ce que les horreurs de la guerre viennent encore se joindre à mes maux. Déjà quatre fois l'automne a vu se lever la Pléiade depuis que je vous perdis, et que je fus jeté sur ces rives infernales. Ne crois pas qu'Ovide regrette les commodités de la vie de Rome, et cependant il les regrette aussi, car tantôt je me rappelle votre doux souvenir, ô mes amis, tantôt je songe à ma tendre épouse et à ma fille. Puis, je sors de ma maison, je me dirige vers les plus beaux endroits de Rome, je les parcours tous des yeux de la pensée. Tantôt je vois ses places, tantôt ses palais, ses théâtres revêtus de marbre, ses portiques, un sol aplani, le gazon du champ de Mars, d'où la vue s'étend sur de beaux jardins, et les marais de l'Euripe, et la fontaine de la Vierge (20).
Mais sans doute que si j'ai le malheur d'être privé des plaisirs de la ville, je puis du moins jouir de ceux de la campagne. Je ne regrette pas les champs que j'ai perdus, ni les plaisirs admirables du territoire de Péligne (21), ni ces jardins situés sur des collines couvertes de pins, et que l'on découvre à la jonction de la voie Clodia et de la voie Flaminia (22). Ces jardins, je les cultivai, hélas ! je ne sais pour qui, et j'y puisai moi-même, je ne rougis pas de le dire, l'eau de la source, pour en arroser les plantes. On peut y voir, s'ils existent encore, ces arbres greffés par mes mains, et dont mes mains ne devaient plus cueillir les fruits. Voilà ce que j'ai perdu, et plût aux dieux qu'en échange, le pauvre exilé eût du moins un petit champ à cultiver ! Que ne puis-je seulement voir paraître ici la chèvre suspendue aux rochers ! Que ne puis-je, appuyé sur ma houlette, moi-même être le berger de mon troupeau, et, pour disperser les chagrins qui m'obsèdent, conduire les bœufs labourant la terre, le front comprimé sous le joug recourbé ! J'apprendrais ce langage intelligible aux taureaux des Gètes, et j'y ajouterais les mots menaçants dont on stimule ordinairement leur paresse. Moi-même, après avoir guidé, avec des efforts mesurés, le manche de la charrue, et l'avoir enfoncé dans le sillon, j'apprendrais à jeter la semence sur cette terre retournée, et je n'hésiterais pas à sarcler le sol, armé d'un long hoyau ni à donner à mon jardin altéré une eau qui l'abreuve. Mais comment le pourrais-je, lorsqu'il n'y a entre l'ennemi et moi qu'un faible mur, qu'une simple porte fermée ? Pour toi, lorsque tu naquis, les Parques, et je m'en réjouis de toute mon âme, filèrent des jours fortunés. Tantôt, c'est le champ de Mars qui le retient, tantôt, tu vas errer à l'ombre épaisse d'un portique ou passer quelques rares instants au Forum, tantôt l'Ombrie te rappelle ou, porté sur un char qui brûle le pavé de la voie Appienne, tu te diriges vers ta maison d'Albe. Là peut-être formes-tu le voue que César dépose enfin sa juste colère et que ta campagne me serve d'asile. Oh ! mon ami, c'est demander trop pour moi ! sois plus modeste dans tes désirs ; je t'en conjure, mets un frein à leur entraînement trop rapide. Je demande seulement qu'on fixe mon exil dans un lieu plus rapproché de Rome et à l'abri de toutes les calamités de la guerre. Alors je serai soulagé de la plus grande partie de mes maux.

LETTRE IX

À MAXIME

À peine ai-je reçu la lettre dans laquelle tu m'annonces la mort de Celse (23), que je l'arrosai de mes larmes. Mais, ce qui est affreux à dire et ce que je croyais impossible, cette lettre, je l'ai lue malgré moi. Depuis que je suis dans le Pont, il ne m'est pas arrivé de plus triste nouvelle, et puisse-t-elle être la seule que j'y reçoive désormais ! L'image de Celse est aussi présente à mes yeux que si je le voyais lui-même, et mon amitié pour lui me fait croire qu'il vit encore. Souvent je le vois déposant sa gravité, se livrer au plaisir avec abandon ; souvent je me le rappelle accomplissant les actes les plus sérieux avec la probité la plus pure.
Cependant, de toutes les époques de ma vie, aucune ne me revient plus souvent à l'esprit que celle que j'aurais voulu appeler la dernière, et où ma maison, ébranlée tout à coup, s'écroula sur la tête de son maître ; alors que tant d'autres m'abandonnaient, lui seul resta, Maxime, lui seul, ne suivit pas la fortune qui me tournait le dos ; je le vis pleurer ma perte, comme s'il eût pleuré la mort d'un frère prêt à devenir la proie du bûcher. Il me tenait étroitement embrassé, il me consolait dans mon abattement, et ne cessait de mêler ses larmes aux miennes. Oh ! combien de fois, surveillant incommode d'une vie qui m'était odieuse, il arrêta mon bras déjà levé pour finir mon destin ! Que de fois il me dit : Les dieux sont pitoyables ; vis encore, et ne désespère pas du pardon ! Mais voici les paroles qui me frappèrent le plus : "Songe de quel secours Maxime doit être pour toi ; Maxime s'emploiera tout entier, il mettra dans ses prières tout le zèle dont l'amitié est capable, pour obtenir d'Auguste qu'il n'éternise pas sa colère. Il appuiera ses efforts de ceux de son frère, et n'épargnera rien pour adoucir ton sort." Ces paroles m'ont rendu supportables les ennuis de ma malheureuse vie ; fais en sorte, Maxime, qu'elles n'aient point été prononcées en vain. Souvent il me jurait de venir me voir à Rome, pourvu que tu lui permisses un si long voyage, car l'espèce de culte qu'il avait pour ta maison était le même que celui dont tu honores les dieux, ces maîtres du monde. Crois-moi, tu as beaucoup d'amis et tu en es digne, mais lui ne le cède à aucun d'eux par son mérite, si toutefois ce ne sont ni les richesses ni l'illustration des aïeux, mais bien la vertu et les qualités de l'esprit, qui distinguent les hommes. C'est donc avec raison que je rends à la tombe de Celse ces larmes qu'il versa sur moi-même, au moment de mon départ pour l'exil. Oui, c'est avec raison, Celse, que je te consacre ces vers, comme un témoignage de tes rares qualités, et pour que la postérité y lise ton nom. C'est tout ce que je peux t'envoyer des campagnes gétiques ; c'est la seule chose dont je puisse dire avec certitude qu'elle est la mienne.
Je n'ai pu ni embaumer ton corps ni assister à tes funérailles. Un monde entier me sépare de ton bûcher, mais celui qui le pouvait, celui que, pendant ta vie, tu honorais comme un dieu, Maxime enfin, s'est acquitté envers toi de ces tristes devoirs, à tes funérailles ; il a offert à tes restes de pompeux honneurs ; il a versé l'amome (24) odorant sur ton sein glacé, et, dans sa douleur, il a mêlé aux parfums des larmes abondantes ; enfin il a confié à la terre, et tout près de lui, l'urne où reposent tes cendres. S'il rend ainsi aux amis, qui ne sont plus, les devoirs qu'il doit à leurs mânes, il peut me compter aussi parmi les morts.

LETTRE X

À FLACCUS

Ovide, du fond de son exil, envoie le salut à son ami Flaccus, si toutefois on peut envoyer ce que l'on n'a pas ; car, depuis longtemps, le chagrin ne permet pas à mon corps, miné par les soucis rongeurs, de recouvrer des forces ; et pourtant je n'éprouve aucune douleur ; je ne sens pas les ardentes suffocations de la fièvre, et mon pouls bat comme de coutume. Mais mon palais est émoussé ; les mets placés devant moi me donnent des nausées, et je vois avec dégoût arriver l'heure des repas. Qu'on mette à contribution, pour me servir, la mer, la terre et l'air, on n'y trouvera rien qui puisse réveiller mon appétit. L'adroite Hébé, de ses mains charmantes, me présenterait le nectar et l'ambroisie, breuvage et nourriture des dieux, que leur divine saveur ne rendrait pas la sensibilité à mon palais engourdi, et qu'ils écraseraient, substances lourdes et indigestes, mon estomac sans ressort. Quelque vrai que cela soit, je n'oserais l'écrire à tout autre, de peur qu'on n'attribuât mes plaintes à un besoin de délicatesse recherchée. En effet, dans ma position, dans l'état actuel de ma fortune, les besoins de cette nature seraient bienvenus ! Je les souhaite, aux mêmes conditions, à celui qui trouverait que la colère de César fut trop douce pour moi. Le sommeil lui-même, cet aliment d'un corps délicat, refuse sa vertu bienfaisante à mon corps exténué. Je veille, et avec moi veille incessamment la douleur, qu'entretient encore la tristesse du jour. A peine en me voyant pourrais-tu me reconnaître ; "Que sont devenues, dirais-tu, ces couleurs que tu avais jadis ?" Un sang rare coule paisiblement dans mes veines presque desséchées, et mon corps est plus pâle que la cire nouvelle. Les excès du vin n'ont point causé chez moi de tels ravages, car tu sais que je ne bois guère que de l'eau. Je ne charge point de mets mon estomac, et si j'aimais la bonne chère, il n'y aurait pas au pays des Gètes de quoi satisfaire mes goûts. Les plaisirs si pernicieux de l'amour n'épuisent point mes forces ; la volupté n'habite pas dans la couche du malheureux. Déjà l'eau et le climat me sont funestes, et, par-dessus tout, les inquiétudes d'esprit, qui ne me laissent pas un moment. Si vous ne les soulagiez, toi et ce frère qui te ressemble, mon âme abattue supporterait à peine le poids de ma tristesse. Vous êtes pour ma barque fragile un rivage hospitalier, et je reçois de vous les secours que tant d'autres me refusent ; donnez-les-moi toujours, je vous en conjure, car toujours j'en aurai besoin, tant que le divin César sera irrité contre moi. Que chacun de vous adresse à ses dieux d'humbles prières, non pour que César étouffe un courroux dont je suis la victime méritée, mais pour qu'il le modère.



LIVRE PREMIER

LETTRE PREMIÈRE

(1) Il y avait déjà quatre ans qu'Ovide était exilé. Le poète avait alors 56 ans. On peut voir la neuvième élégie du troisième livre des Tristes, sur l'origine du nom et de la ville de Tomes, dont, en général, il ne parle jamais que d'une manière un peu vague.

(2) Ovide place les Gètes sur la rive droite du Danube. Suivant Hérodote (liv. IV, ch. 93 ), ils habitaient les deux rives ; Tomes est donc située dans le pays des Gètes.

(3) On croit que ce Brutus auquel Ovide adresse sa première lettre des Pontiques était fils de celui qui poignarda Jules César dans le sénat, et qui se tua lui-même après la bataille de Philippes, qu'il perdit contre Auguste.

(4) Il s'agit ici des bibliothèques publiques. Ovide, dans la première élégie du liv. III des Tristes, se plaint déjà qu'un de ses ouvrages n'ait pas trouvé de place dans la bibliothèque du mont Palatin, et dans celle qui était dans le vestibule du temple de la Liberté.

(5) Marc Antoine était l'ennemi déclaré d'Auguste, qui souffrit et dédaigna ses injures. (Tacites Ann., liv. 4, ch. 34.)

(6) Cicéron nous apprend (Acad. II, liv. I, ch. 3) que Brutus n'était pas seulement un grand capitaine, mais aussi un des philosophes les plus célèbres de son temps.

(7) Il s'agit ici de Diane Aricine, du nom d'Aricie, ville d'Italie, près de laquelle elle avait un temple, et où elle avait été transportée, dit-on, par Oreste, de la Tauride.

(8) On croyait qu'Isis privait de la vue ceux qui, après avoir juré par son nom, violaient leur serment.

LETTRE II

(9) Ce Fabius Maximus était un des favoris d'Auguste, et appartenait à l'une des familles les plus anciennes de Rome.

(10) Nous suivons ici le texte de Lemaire, qui réunit avec raison cette seconde partie à la première, pour n'en faire qu'une seule et même lettre, contrairement à plusieurs autres éditions qui commencent à ce mot une autre lettre.

(11) L'expression Oresteae deae pourrait faire croire qu'il s'agit ici d'Iphigénie, sœur d'Oreste, mais il s'agit de Diane adorée en Tauride, et dont Iphigénie était la prêtresse. Ovide appelle encore cette déesse (Mét., liv. XV, v. 489) Diana Orestea, parce qu'Oreste près d'être immolé par sa sœur, fut reconnu par elle, et tous deux quittèrent secrètement la Tauride en emportant la statue de Diane.

(12) Marcia était la femme de Maximus. Voy. Tac. Ann., liv. 1, ch. 5.

(13) Auguste était fils d'Accia ; la sœur d'Accia est la tante d'Auguste, dont parle ici le poète.

LETTRE III

(14) Longues piques macédoniennes.

(15) Rutilius, personnage aussi savant que probe, fut condamné à l'exil, par suite de la haine que lui portaient les chevaliers. Rappelé à Rome par Scylla, il refusa cette faveur d'un homme dont on n'osait alors rien refuser. (Val. Max., iv. VI, ch. 4.)

(16) La source de Pirène est près de Corinthe, où se retira Jason après le meurtre de Pélias.

LETTRE IV

(17) Le Danube seul séparait Tomes de la Colchide où Jason, fils d'Aeson, pénétra pour enlever la Toison d'or.

(18) Pélias, oncle paternel de Jason, qui régnait dans la Thessalie, craignant d'être détrôné par son neveu, l'envoya dans la Colchide pour y enlever la toison d'or.

(19) Les deux parties du monde, orientale et occidentale.

LETTRE VIII

(20) On appelait ainsi à Rome une eau qui y était amenée par un aqueduc ; son nom lui venait de ce qu'elle avait été découverte, dit-on, par une jeune fille. Voyez les notes des Tristes, liv. III, élég. XII, note 2.

(21) Sulmone, patrie d'Ovide, est dans le pays des Pélignes.

(22) La voie Flaminia allait jusqu'à Ariminium, en traversant l'Ombrie, et se joignait à la voie Clodia à neuf ou dix milles de Rome.

LETTRE IX

(23) Aulus Cornelius Celsus, au rapport de Quintilien, fut un homme d'une vaste érudition. Il a écrit sur la rhétorique, sur l'art militaire et sur la médecine.

(24) Arbre de la hauteur du palmier, dont les fruits sont semblables à ceux de la vigne. On en tire un parfum très précieux. (Pline, liv. XII, ch. 13.)


Source:site de L'antiquité grecque et latine


Retour à la rubrique poesies
Retour au menu