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LES PRéNOMS DE LA MéMOIRE

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Musique : Borodin: String Quartet No. 2 in D Major - III. Nocturne Andante : https://musopen.org/

Illustration d'après https://pixabay.com/ Domaine public





Texte ou Biographie de l'auteur

Louis RAOUL est né en 1953 à Paris où il réside toujours. Retraité de la profession bancaire. Il a publié à ce jour de nombreux recueils dont :


Démantèlement du jour (éditions Éclats d'encre),


Les beaux suivants (éditions de l'Atlantique),


En attendant les murs  (éditions La Renverse),


Pailles de pluie (éditions Alcyone)


et a collaboré à diverses revues et anthologies.


 


Je le remercie vivement du cadeau qu'il nous fait aujourd'hui avec Les prénoms de la mémoire.


 


Retrouvez ses oeuvres ici: http://data.bnf.fr/12633840/louis_raoul/


Les prénoms de la mémoire


Tu poses un premier mot. Tu inaugures. Le discours du vent. Les arbres qui se penchent pour voir. Ce sera un abri sûr dans l'hiver de la page, comme une avance sur le temps où les lampes viennent tard lire par-dessus l'épaule, où le poids des neiges à venir reste encore à négocier.


 


Madeleine


 


Une trace dans l'écoute, celle de vos pas qui vous conduisaient au jardin. Tu aurais dû compter ces syllabes plus sonores que les tiennes, parce qu'appartenant à une femme en âge de se pencher vers l'enfance. Difficile maintenant d'interroger ces chemins, tu fais confiance aux paroles de ceux qui l'ont assemblée dans ta mémoire. Tu fais semblant de croire à sa légende, mais il manquera toujours une ombre au soir.


 


Tu penses à ce jardin, et c'est ce souvenir aux mailles serrées que tu places devant la mémoire, afin de ne retenir du vent que la voix de celle qui parlait bas pour rassurer l'enfance, quand les lampes taisaient le nom des choses. Puis les draps à marée haute pour noyer la peur, et le passage du nom dans le souffle.


 


Il y a au fond de la mémoire, un visage qui attend sa chair et qui sourit en même temps que toi quand vient le moment de la rencontre. Lorsqu'ils parlaient de celui de ta mère, ils achevaient toujours le portrait par quelques retouches à la couleur des yeux, du bout d'un regret. Visage, résigné d'être à jamais le reflet de celle qui se penchait pour boire à ton sommeil, et que trouble à peine, le vol lent des paupières, quand elles passent d'un bord à l'autre de la fatigue.


 


Simplement, tu aurais voulu qu'elle capture l'orage entre ses paumes, pour ne plus avoir peur. Elle n'a pas répondu, elle était occupée à recoudre les déchirures du ciel. Tu as douté un moment du pouvoir de ta mère. Mais ce jour-là, c'est bien elle qui a libéré les arbres et leurs oiseaux des cages de la pluie.  


 


Lorsque tu entrais dans le jour  


Tu retrouvais la trace d'un corps d'hier 


T'intégrant parfaitement à toi-même 


Et le vent prenait l'empreinte de ton visage 


Maintenant qu'il ne reste que l'absence 


Quand je sors et me tourne face au vent 


J'essaie des masques sans miroir 


Je te connaissais déjà de l'intérieur.   


 


                            *


 


Elle venait s'asseoir au bord du lit 


Voir le corps et son sillage 


Sur les draps 


Quand tu remontais le sommeil 


Sur un nom fragile 


Cela après que l'enfance 


Ait commandé à la nuit 


Courant dans le soir 


En bousculant ce qu'il restait de jour.   


 


 


Encore un matin, un pont de gestes pour passer le jour, que tu ne verras pas. L'été comme un long cri, la frayeur des feuilles dans l'attente d'être nommées par un vent qui parlait autrefois dans tes cheveux. Le sable des saisons. Les traces de ta soif. Une gorge sèche, craquante sous l'appel. C'est encore de toi qu'il s'agit, même s'il n'y a plus le silence et la nuit d'un corps à partager. Et qu'il faut plus d'un sommeil pour t'atteindre.


 


Quand elle disait qu'il était tard et que la parole s'éteignait, tu entrais dans la forêt et tout un peuple de feuillage te saluait sous le vent. Passant par l'agneau et le loup tu retournais à la fable pour tenter d'expliquer ce piège tendu par la soif. Il fallait réhabiliter celui qui t'épargnait chaque fois que tu te penchais pour boire dans le sommeil.


 


Michel


Andrée


Elise


 


L'amitié était un atelier où se façonnaient ces mains s'ajustant si bien l'une dans l'autre, en un salut où il n'était prouvé que la force qui nous liait. Jusqu'à la blessure, jusqu'à ces copeaux de chair, que l'aube ramassait.


 


Ce soir-là, tu as décroché l'absence, composé le numéro d'une voix à venir. Chaque sonnerie te ramenait à cette pensée d'un corps traversant la pièce en perdant une à une, les lettres de la solitude. Tu allais être, au moment où la main décrocherait l'arme, cette voix en plein coeur qui allait dire : « je viens, je serai une ombre de plus pour ta lampe ». Mais il y eut ces paupières baissées en signe d'acquiescement à la dernière question d'une vie... De l'amitié, il ne reste que les traces d'un temps où tout était possible : un théâtre dans le jour, un coup de ciseau dans le vent, pour voir s'installer les premières filles de la pluie.


 


Je n'ai pas eu le temps de venir te voir, de t'embrasser, je croyais ce dernier mouvement de paupières plus tardif. Je n'ai pas chargé l'impatience de doigts sûrs d'atteindre ton visage. Tu es partie et je n'ai rien pu te dire, j'ai un adieu de trop dans la parole. Un demain sans la résonance des pas qui auraient dû nommer la rencontre. 


 


Tu ouvres à l'amitié 


Prépares les lèvres 


Pour l'aube d'une joue 


Celui qui viendra étrenner les bonjours 


Aura une main sur ton épaule 


Comme faisant un voeu 


Au premier baiser du jour.  


 


 


Tu viendras bien un soir, tard dans l'amitié. Tu porteras une fleur jaune en guise de lampe, et nous nous tiendrons dans son odeur qui est son ombre. Là, nous serons au mieux de nos mots pour parler de nos mères qui chantent en peignant la mémoire d'un autre été. Quand leur voix avait la prudence du soleil entre les feuilles.  


 


 


 


 


 


 


Jean


Geneviève


Louis


 


 


Volets ouverts, les premières fouilles dans le vent, pour exhumer l'odeur des feuilles qui furent de nos automnes, et le gant ôté de la mémoire pour saluer le paysage. L'âge nous rend attentifs, et cette politesse est une réponse aux arbres qui, soulevant leurs oiseaux, saluaient notre enfance. 


 


Genoux


Vos pâles saisons dans les villes


 Où des nuits de toile longue 


Vous couvraient en temps d'hiver


Genoux


Vos autres saisons


Aux jeux aussi longs que les jours


Jusqu'à ce que fatigue et silence


Vous portent à nos yeux 


Pour prendre mesure de nos douleurs 


Aux écorchures du soir.


 


 Nous ne savions pas encore, en marchant dans le sang bruissant de septembre, ce qu'allait être pour nous cette cruauté du don. Le poème était jeune, et nous le tenions par le vague. D'enfance nous étions encore les hôtes, et ce que nous vivions était sans partage avec les mots. Nous allions très loin dans la fatigue, et le sommeil nous rejoignait dans l'obscur où les lampes dociles dans les mains qui les portaient, nommaient très bas ses chambres.


 


Quand l'enfance criait, ils entrouvraient la nuit avec leur lampe, parlaient de cette ombre disjointe par où s'échappait le sommeil. Ils parlaient aussi de la mort, comme d'un outil nécessaire pour colmater cette absence qui laissait entrer la pluie, comme un nom mille fois répété. 


 


Feuillage ployant doucement


Nous assistions à la pesée des jockeys du vent


Nous n'avions pas besoin de parier


Sur notre ordre d'arrivée dans l'âge


Nos projets avaient toujours de faux départs


Enfance de toutes les victoires


Nous posions en silence devant un ciel gris


La brève éclaircie nous fixant à jamais


Avec les oiseaux de l'instant.


 


 


Quand nos jeux étaient finis, c'est le vent qui pliait les peupliers pour les ranger dans la nuit. Nous partions grandir d'un sommeil de plus, laissant les gestes, les rires, et les pierres au fond de la rivière, avec l'amitié de nos mains. 


 


L'été


Le soir était une autre saison pour nous


Un automne pour nos jeux


Et les arbres perdaient nos mains


Nous avancions très loin dans la nuit


Nous n'avions pas peur 


Nous savions qu'il y aurait ces appels


Comme des lampes dans l'écoute


Pour guider le retour. 


 


Devant la source qui grimace et nous tire une belle langue d'eau, le corps se courbe sur son reflet, ouvrant une parenthèse dans l'âge. Comme pour nous rappeler ces années où nos pas nourrissaient les chemins sans compter. Nous pensions que le soir les ramassait derrière nous, et les rangeait en même temps que le silence, dans nos coffres à sommeils.


 


(Gévaudan)


 


Ils ont longtemps réservé cette brume pour un matin de chasse particulier. Ils sont sortis de la légende pour la poursuivre par-delà l'enfance, jusque dans nos sommeils d'hommes incrédules. Et c'est dans un sursaut, quand le corps se retourne avec le temps, qu'on ouvre les yeux et la mémoire sur la nuit où un croc de lune, trahit la présence de la bête.


 


De ceux que nous aimions, il nous reste leur ombre pour nous parler de leurs étés. Aux soirs qui les rassemblent toutes pour un grand commerce avec la mémoire, nous n'avons que leur nom pour aval. Et si peu de la monnaie d'une vie, quand la nuit ouvre ses marchés.


 


Ce peu d'aube dans ta paume pour un regard qui porte encore le fin duvet du sommeil. Plus tard, dans le jour, tu t'inquiéteras des visages et des choses qui seront autant d'arbres pour ses questions. Qu'en sera-t-il alors, une fois de plus, de sa préférence pour ce feuillage qui s'immobilise quand tu t'endors. 


 


Tu conjugues la forêt


Au temps de tes pas


Et depuis que tu marches


L'âge a ouvert de nouveaux sentiers


Sur ton visage


Tu viens du milieu du jour


Là où l'horizon marque le pli


Tu cherches le cerf tranquille


Les grands bois où suspendre l'ombre


Pour qu'il soit midi à l'instant du désir.  


 


                        *


 


Le souffle dans le souffle 


Tu reprends le chemin d'hier 


Avec ce signe


Cette invitation à aller plus loin 


Vers ce qui se redit dans l'espace 


Et que pourtant les yeux 


N'épuisent pas.  


 


Une aube


Suffisamment affranchie en oiseaux 


Glissée sous les paupières 


Et sur le plus beau papier du jour 


Des nouvelles de nous


La confirmation d'être là


Encore


Parmi les lettres du nom. 


 


                              *


 


Des premières lèvres offertes 


À celles qui aujourd'hui prononcent ton nom 


Une simple porte ouverte dans l'âge


Et la feuille de vivre 


Un courant d'air plus loin 


Avec la pluie sur le visage 


Comme acné sollicitant la mémoire 


Pour d'anciennes expériences.  


 


 


L'appel, la voix promise, reconnue. Tu t'es levée pour aller à la rencontre de celui que tu attendais à force de légendes. Il est venu tard dans le poème, et son cheval était déjà vieux de tant d'orages. Tu étais impatiente, et lui t'a demandé d'approcher la lampe pour y laver son visage. Rien que cela, tandis que le corps, le sexe, étaient encore dans l'ombre.


 


Dans l'atelier


Étaient les planches


Comme de grandes tartines


0ù s'étalait le jour


Puis l'homme en ciel d'été


Passant le rabot


Et les premières vagues de bois


Tu penses à cela


Sous la haute lampe de midi


Où l'ombre rejoint le corps 


Comme l'enfance la mémoire


Quand elles jouent ensemble 


Dans les copeaux de la mer.     


 


Cette maison sans porte ni fenêtre n'a pas peur des voleurs. Un homme y dort. Il n'a pas de monnaie à rendre au passé et ses songes sont des provisions pour longtemps. Il est venu avec le bois des mots sur la page. Il est de ce poème, avec l'hiver tout autour.  


 


 


 


 


 


 


 


Ils tirent à eux la nuit 


Ceux d'autres lieux 


D'autres langages


Ici


Il reste à réactiver la parole


À enfiler les gestes d'hier


Comme des vêtements devenus trop petits 


Nous avons mal dormi


Dans une chambre voisine de la nôtre


Une enfance turbulente y a remué des songes


Nous allons sortir


Pour ramener ce qui reste de lumière


Et attendre du vent


Les masques anciens de nos rires.  


 


                                 *


 


On a changé les draps de l'aube


L'enfance y a saigné


Et ce qui s'approche


Fait s'agiter un autre feuillage en elle


Elle va à sa rencontre 


Tenant une lampe étonnée 


Dans ce qui sera la chambre 


De nouveaux songes.   


 


                       *


 


Été


Des gestes saluant la soif 


De la source brève 


Au fond de la gorge 


Des songes de blés anciens 


Des pains de nuages


Et des premières gouttes 


Pour humecter le silence


Juste avant que l'on ne tire 


Les tables de l'orage.   


 


                        * 


 


Nuit de neige


Où le vent fut complice de la colère 


Il attendit la pierre et la vitre brisée 


Pour entrer avec l'invective


Et les petites étoiles du froid.  


 


 


 


 


 


De moins en moins rappelées 


Quand la joue repose nue sur la paume 


Ces lèvres qui s'ouvraient sous l'averse 


Et la lampe a vieilli 


Qui éclairait la demeure d'un visage 


Où battaient les paupières


Au vent de vivre


Reste un grand arbre 


Qui me lie au sommeil de ses feuilles 


Dans leur saison d'ombre 


Pour que j'y vois 


Un plus grand délabrement des songes.   


 


 


                                 *  


 


 


Canne d'eau


Au milieu du bassin


 


Plus vieux d'une rêverie 


Le regard se voûte


 


Et prend appui.


 


 


                                               Jardin du Luxembourg, avril 1993 




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