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CHAT EN POCHE-ACTE2

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Photo: Représentation théatrale de La Dame de chez Maxim de Georges Feydeau par la troupe d'amateurs de Chalindrey (Haute-Marne).Photo prise en 2003 par le photographe de la troupe, publiée avec l'autorisation de son directeur. - Certains droits réservés (licence Creative Commons)

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Texte ou Biographie de l'auteur

PERSONNAGES

Pacarel : Stanley
Dufausset : Christian Martin
Landernau, docteur : Alain Bernard
Lanoix de Vaux : Aldor
Tiburce, domestique de Pacarel : Bernard
Marthe, femme de Pacarel : Ar Men
Amandine, femme de Landernau : Camille
Julie : Mellow Dee
à la narration: Joane


Acte II
Un salon de campagne, toujours au Parc des Princes. Portes à droite, premier et deuxième plans - À gauche, premier plan, une cheminée - Deuxième plan, une porte. Au fond, grande baie donnant sur le jardin - À droite, derrière le canapé, une chaise volante. À gauche, un guéridon, avec une chaise de chaque côté.

Scène première
Tiburce, puis Amandine, puis Lanoix.

Tiburce, assis au petit guéridon, fait de la tapisserie dans un canevas qui représente un zouave - Oh ! que c'est bête la vie. On admet qu'un amant aime sa maîtresse, et on n'admet pas qu'un domestique aime sa maîtresse… pourtant le mot est le même !… Où est la nuance ?… Ah !… Amandine… tu ne m'as pas compris. (Se levant.) Ce que j'aime en toi… c'est ta surface… on doit aimer pour deux avec toi… tu fais du profit… Mais un jour, j'ai eu l'audace de t'avouer mon amour… Tu m'as appelé Ruy-Blas !… Et tu m'as envoyé promener ! Alors, pour me consoler… il ne me reste plus de temps en temps, quand tu n'est pas là, qu'à faire quelques points dans ta tapisserie, dans ton zouave… (Se rasseyant.) Je sais bien que tu défais chaque fois mes points… mais ça m'est égal, je recommence et ça me fait du bien.

Amandine, du fond - Eh bien ! Tiburce, qu'est-ce que vous faites là ?…

Tiburce, se levant - Rien, je… Madame voit, je tapisse…

Amandine - Ma tapisserie… Eh bien ! vous avez de l'aplomb ?… Et moi qui me demandais toujours qui me faisait des points à l'envers…

Tiburce - C'était moi, Madame… J'étais si heureux de collaborer avec Madame…

Amandine - Hein ! il ose… Allez ! et que cela ne vous arrive plus !

Elle s'assied sur le canapé.

Tiburce - Oui, Madame… (À part.) Cette femme ne m'aimera jamais ! Une femme si forte en chair ! Oh ! ma livrée, que tu me pèses !

Il sort au fond à droite.

Amandine - Non, mais a-t-on idée de cela !… Rangeons cet ouvrage. (Elle ouvre le panier à ouvrage.) Ciel !… encore un billet de Dufausset !… L'imprudent !… Il met cela dans mon panier. On n'aurait qu'à le trouver… voyons !…

Lanoix, entrant du fond, un bouquet à la main - Il n'y a donc personne dans cette maison… (Apercevant Amandine.) Ah ! Bibiche !

Amandine, lisant sans le voir - "Il faut absolument que je vous parle."

Lanoix, saluant - Madame…

Amandine, lisant - "Vous avez bien voulu m'encourager, eh bien ! je me risque…"

Lanoix - Elle n'a pas l'air de m'entendre… Madame !…

Amandine - Il se risque !… Je ne comprends pas ce garçon !… Il est si éloquent dans ses écrits et laconique dans ses discours !

Lanoix - Elle est donc sourde comme une pioche…(Criant.) Madame…

Amandine, tressautant - Hein !… Quoi !… Qu'est-ce que vous avez à crier comme ça ?

Lanoix - Je vous demande pardon, mais voilà deux fois que je susurre… alors j'ai un peu élevé le susurrement… Et vous allez bien, Madame ?

Amandine - Oui, c'est bon, tout à l'heure… (Lisant.) "Je me risque…"

Lanoix - Et moi, j'ai été très souffrant toute la nuit.

Amandine, passant au premier plan - Allons ! tant mieux ! tant mieux !

Lanoix - Je vous remercie… (À part.) Elle n'a pas plus l'air de s'occuper de moi…

Amandine, lisant - "Le jour on n'est pas tranquille… accordez-moi cette nuit une entrevue dans la serre." (Parlé.) Hein !

Lanoix - Vous ne pourriez pas me dire, au moins, où je pourrais trouver ma fiancée ?

Amandine, tout à son idée - "Dans la serre…"

Lanoix - Dans la serre !… merci !… (Remontant en courant.) Je vais la rejoindre.

Il sort au fond, à droite.

Amandine, allant vers la gauche - Dans la serre !… Il ne doute de rien. (Lisant.) "je vous jure que ce sera en tout bien tout honneur…" Ça c'est des bêtises… (Lisant.) "Réfléchissez… je suis un galant homme…" Oui, très galant, très galant… (Lisant.) "Si vous consentez, dites à votre mari d'agiter son mouchoir quand il me verra, en chantant à votre choix "Colimaçon borgne" ou "Coucou, ah ! le voilà !" et vous indiquerez l'heure par autant de raies que vous tracerez à la craie dans son dos… Vous me rendrez bien heureux…" Je vous dis… il est éloquent dans ses écrits… (Lisant.) "À propos… j'ai trouvé des jarretières… mais on me demande la mesure !…" Il y tient à ses jarretières !…

Scène II

Amandine, Landernau

Landernau, qui est entré de droite sans être entendu par Amandine - Qu'est-ce que tu lis là, Bibiche ?

Amandine, mettant vivement une main derrière son dos - Moi… rien !…

Landernau - Comment… rien !… je t'ai bien vue… quelle est cette lettre que tu me caches ?…

Amandine - Rien !… je te dis… un papier sans importance.

Landernau - Alors,… pourquoi l'as-tu vivement dissimulé à mon approche ?

Amandine - C'est que…

Landernau - Allons… montre-le-moi !

Amandine - Je ne peux pas !

Landernau - Ah ! bobonne… Tu me fais supposer des choses !… Prends garde !… je veux ce billet !

Amandine, passant au deuxième plan - Tu ne l'auras pas !

Landernau - Je ne l'aurai pas !… Amandine… Tu me trompes… Cette lettre est une lettre d'amour. Ah !… Je t'aurais pourtant bien cru à l'abri… Donne-moi ça !…

Amandine, à part - Je suis perdue !… (Haut.) Non !

Landernau, la lui prenant de force - Eh !… Donne-moi donc, je te dis…

Amandine - Ah !… Tiens !… Tu n'es qu'un Othello !…

Elle tombe sur le canapé.

Landernau - L'écriture du ténor !… Elle aussi !…

Il veut ouvrir le billet.

Amandine, subitement, se levant - Ne lis pas !… (À part.) Ah ! ma foi, tant pis ! (Haut.) Cette lettre n'est pas pour moi !…

Landernau - Pas pour toi ?… Et pour qui ?…

Amandine - Mais pour… (À part.) Ah ! quelle idée !… (Haut.) Etes-vous capable de conserver un secret jusqu'à la mort ?

Landernau, avec conviction - Et même après !

Amandine - Eh bien !… Cette lettre est pour Mme Pacarel…

Landernau - Hein ?… Pour ?… C'est vrai au moins, ça ?… Après tout, ça ne m'étonne pas… Il lui a dit : "Je vous aime", devant moi !… Donc, il se peut bien… C'est égal… Je le saurai…

Fausse sortie.

Amandine - Comment cela ?

Landernau - Eh ! parbleu… en remettant ce billet à Mme Pacarel.

Amandine - Hein ?

Landernau, faisant mine de remonter au fond - Dame !

Amandine, le retenant - Vous ne ferez pas cela !

Landernau - Je me gênerai…

Amandine - C'est impossible !…

Landernau - Pourquoi ?… Ce billet est pour elle… je le lui remets… c'est tout naturel.


Scène III

Les Mêmes, Marthe venant du fond

Amandine - Elle !… Ah !… À la grâce de Dieu !…

Elle se sauve par la droite.

Marthe, passant devant le docteur et descendant au deuxième plan - Bonjour, docteur…

Landernau, saluant - Madame…

Marthe, s'asseyant sur la chaise à droite du guéridon - Eh bien !… Je fais fuir votre femme ?

Landernau - Oui !… euh !… non !… Et votre mari va bien ? Il descend et s'assied sur la chaise à gauche du guéridon.

Marthe - Oui… Il n'est pas encore rentré… Il est à l'Opéra… C'est en ce moment que M. Dufausset passe son audition, et mon mari a tenu à assister à son triomphe.

Landernau - Et il l'aura… Il a une voix si merveilleuse… À ce que dit Bordeaux… parce que moi… Maintenant, vous savez… il y a une différence. de climat… Et puis… on a peut-être besoin de s'y faire…

Marthe - C'est la méthode italienne…

Landernau - Apparemment. À part cela… c'est un garçon bien charmant.

Marthe - Mon mari l'adore…

Landernau, à part - Pas étonnant !… c'est toujours comme ça !… (Haut.) À propos de lui… voilà un petit mot qu'il m'a chargé de vous remettre… et je…

Il remet le papier à Marthe et remonte derrière le guéridon.

Marthe, se levant - Voyons… (Elle ouvre le billet. Lisant.) "Il faut à tout prix que je vous parle…" (À part.) L'imprudent !… (Haut.) Oui, oui… je sais ce que c'est… un renseignement que je lui avais demandé.

Landernau - Ah !… C'est un…

Marthe - Oui… Je vous remercie bien…

Landernau - C'était bien pour elle… J'aime mieux cela !

Il sort par la gauche, deuxième plan.


Scène VI

Marthe, puis Lanoix, puis Amandine

Marthe, seule - On n'a pas idée de confier des lettres si compromettantes à un tiers… Heureusement que Landernau ne s'est pas méfié !…

Elle s'assied sur le canapé.

Lanoix, entrant du fond droite - Eh bien !… vous savez, elle n'y était pas dans la serre. Tiens, ce n'est plus Bibiche, c'est Mme Pacarel.

Marthe - Ce Dufausset a une audace !…

Lanoix, saluant - Madame…

Marthe - Que peut-il m'écrire ?

Lanoix, saluant - Madame !… (À part.) Eh bien ! Elle est comme l'autre…

Marthe, lisant - "Il faut à tout prix que je vous parle…" Hein ?

Lanoix - Et elle lit aussi… c'est donc le cabinet de lecture ?

Marthe, lisant - "Il faut à tout prix que je vous parle… Vous avez bien voulu… (Ne pouvant pas lire.)… Bien voulu…"

Lanoix, continuant la phrase comme une leçon bien apprise par cœur. -… "Bien voulu m'encourager… je me risque…"

Marthe, se levant - Hein ?… vous !… comment savez-vous ?…

Lanoix - Oh ! je dis ça… Je suppose… (À part.) C'est une circulaire !

Marthe - Mais alors vous avez lu ?

Lanoix - Non !… Je ne connais que cette phrase… voilà tout… Quelque lettre de quémandeur, hein ?… c'est sans importance.

Marthe - Oui, justement… (À part, en passant au premier plan.) Il m'a fait une peur.

Elle s'assied à droite du guéridon, deuxième chaise.

Lanoix, s'asseyant sur la chaise volante qu'il a portée près de Marthe, entre elle et le canapé - Et vous allez bien, aujourd'hui, chère future belle-mère ?

Marthe, à part - Comment, il s'installe !… (Haut.) Oui, oui, très bien… Je vous remercie.

Lanoix, sans se déconcerter devant l'accueil de Marthe - J'ai été très souffrant cette nuit.

Marthe, énervée et quittant sa chaise pour aller s'asseoir sur la première chaise, à gauche du guéridon - Allons, tant mieux !

Lanoix, quittant sa chaise et s'asseyant sur celle que vient de quitter Marthe - Figurez-vous que je cherche ma fiancée pour lui offrir ce bouquet… Mme Landernau m'a dit qu'elle était dans la serre… elle n'y était pas, dans la serre.

Marthe - Non, non, en effet… (Lisant à la dérobée.) "Le jour on n'est pas tranquille…"

Lanoix - Vous ne savez pas où je pourrais la trouver ?

Marthe, à part - Dieu ! qu'il est ennuyeux ! (Haut.) Qui ?

Lanoix - Ma fiancée !

Marthe, à bout de patience, à part - Oh !… (Haut et pour s'en débarrasser.) Au grenier !

Lanoix - Au grenier !… Quelle drôle d'idée !… J'y cours ! (Saluant.) Madame…

Il sort, fond gauche.

Marthe, après avoir replacé la chaise derrière le canapé - Ce n'est pas malheureux !… Lisons !… "Accordez-moi pour cette nuit une entrevue dans la serre…" Il est fou ! mais pour qui me prend-il ?… (Lisant.) "Je vous jure que ce sera en tout bien tout honneur…" Ah ! en tout bien, tout… Je me disais aussi !… (Lisant.) "Réfléchissez… je suis un galant homme…" (Parlé.) Non… non… je ne peux pas… qu'est-ce qu'on dirait ?… la nuit c'est très dangereux… les "tout bien… tout honneur"… Oui, mais d'un autre côté, si je n'y vais pas… je lui fais une avanie, puisqu'il me dit : "Je suis un galant homme." J'aurais l'air d'en douter… tandis qu'en y allant, il se trouve engagé et ce sera plus poli de ma part… Et puis… et puis… ça ne sera peut-être pas ennuyeux… (Lisant.) "Si vous consentez, dites à votre mari d'agiter son mouchoir quand il me verra, en chantant à votre choix : Colimaçon borgne ou Coucou, ah ! le voilà !…" Ah ! il faudra que… (Elle fait signe d'agiter son mouchoir.) C'est lui qui donnera le signal… Non… je me fais un scrupule… après ça… je lui dirai de ne pas agiter trop fort… ça atténuera… (Lisant.) "Vous m'indiquerez l'heure, par autant de raies que vous tracerez à la craie sur son dos…" Oh ! non… ça, non… Je n'oserai jamais… rayer mon mari. (S'asseyant sur le canapé. Lisant.) "À propos, j'ai bien trouvé des jarretières… mais on demande la mesure !…" (Parlé.) Décidément, il doit être actionnaire dans une fabrique…

Amandine, entrant de gauche, deuxième plan - Marthe !… Elle n'a dû rien comprendre… Il faut que j'en aie le cœur net !…

Marthe - Bibiche !…

Mouvement d'embarras. Marthe s'écarte un peu sur le canapé pour faire une place à Amandine.

Amandine, minaudant en se trémoussant pour se mettre à l'aise - Comme vous tenez de la place…

Marthe - Moi ?…

Amandine, s'installant - Ah ! là ! c'est bien. (Moment de silence.) Euh !… vous avez vu mon mari ?…

Marthe - Mais oui… en effet…

Amandine - Il a dû vous remettre un billet…

Marthe - Hein ?… Comment savez-vous ?

Amandine - Je le sais, parce que je l'ai eu entre mes mains.

Marthe - Ah !… vous l'avez… (À part.) Il est donc fou, ce Dufausset… on n'a pas idée de faire faire la chaîne, avec ces choses-là !…

Amandine - Oh !… vous savez… ce billet… je ne l'ai pas lu…

Marthe - Ah !… vous !… Je respire…

Amandine - Pas plus que vous, j'espère…

Marthe - Moi !… mais pour qui me prenez-vous ?… Je ne lis pas les billets…

Amandine - C'est comme moi, j'ai des principes…

Marthe, à part - Elle ne se doute de rien… je suis sauvée !

Amandine, à part - Elle n'a rien vu… je suis tranquille… (haut,)… Mais ce billet ?…

Marthe - Je l'ai déchiré… Que vouliez-vous que j'en fisse ?

Amandine - Ah !… Vous auriez pu me le remettre.

Marthe, à part - Tiens ! Voyez-vous ça… (Haut.) J'ai trouvé plus digne de le déchirer.

Amandine, à part - Après tout… je m'en moque… Je l'ai lu… (Haut.) Dites donc, c'était sans doute quelque déclaration d'un amoureux timide ?…

Marthe, minaudant - Ce billet ?… Oh ! Non !…

Amandine, minaudant - Et si… si… quoi,… on n'est pas responsable des sentiments que l'on inspire.

Marthe - Oh !… oui.. Mais non… vous vous illusionnez… c'est inadmissible.

Amandine - Hein ?… Pourquoi donc, s'il vous plaît ?…

Marthe - Il faudrait que cet amoureux ne fût pas difficile !… L'objet n'en vaut vraiment pas la peine.

Amandine - L'objet… En voilà une façon… Et comment ça, pas la peine ?…

Marthe - Merci… C'est gentil ce que vous dites là… Mais il n'y a pas d'illusion à se faire… Voyez-vous, il faut en rabattre… on n'est plus femme à exciter des passions.

Amandine, à part - Est-elle impertinente !… (Sèchement.) Sachez qu'on est aussi bien en état d'exciter des passions que certaines personnes..

Marthe - Ce serait de la fatuité de le penser…

Amandine - Tout le monde ne dit pas comme vous… Si la Colonne Vendôme pouvait parler…

Marthe - La Colonne Vendôme n'a rien à faire là-dedans.

Amandine - Je vous demande pardon… Moi au moins je n'avance rien sans pièces à l'appui… C'est bien facile de parler… Ce qu'il faut… c'est prouver… Or, tout le monde n'en sortirait pas de sa poche, des colonnes Vendôme…

Marthe - Qu'est-ce qu'elle raconte ?

Amandine - Enfin, ma chère, je trouve ce que vous avez dit très déplacé… Et je ne me gêne pas pour vous le dire.

Elle se lève.

Marthe, à part,- Quelle bonne amie !… Elle me défend même contre moi-même. (Haut, se levant,) Allons… voyons… mettons que je n'ai rien dit…

Amandine - Permettez… Vous avez dit "objet" !

Marthe - Eh bien !… Je le retire… là… tout ça n'est pas sérieux…

Amandine - Vrai !… c'est pas sérieux ?- Ah ! bien… tant mieux… parce que ça me faisait de la peine…

Marthe - Quel cœur !

Amandine - Et vous ne direz plus qu'on n'est pas femme à faire des passions…

Marthe - Non, là !… ça… ça se dit… C'est pour ne pas avoir l'air de se faire des compliments…

Amandine - Qu'est-ce que ça fait, entre nous ?

Marthe - Eh bien !… Je dirai, si vous voulez, qu'on est la plus belle, la plus charmante, la plus exquise de toutes les femmes.

Amandine - Oh ! vous allez d'un excès à l'autre… non… passable… seulement.

Marthe - Comment, passable ?

Amandine - On n'a pas des attraits… des attraits… mais enfin… je vous assure qu'on comprend très bien qu'un homme pas trop vieux… ou bien alors très jeune… qui n'a pas trop l'embarras du choix…

Marthe - Oh ! Mais !… elle me bêche à présent…

Amandine - Enfin, on a vu des choses comme ça… Voyez plutôt la Colonne Vendôme…

Marthe - Eh ! la Colonne… la Colonne… quand ce serait même la Bastille. (À part.) Elle m'ennuie à la fin…

Amandine - Qu'avez-vous

Marthe - Je trouve vos propos de mauvais goût.

Amandine - Moi !… Oh ! vous êtes trop indulgente pour moi.

Marthe - On ne parle pas ainsi des gens.

Amandine - Ah !… quand ils vous touchent d'aussi près… Enfin, c'est bon… si j'ai été trop loin… je retire… le fait est que j'ai été trop sévère… mais je n'en pense pas un mot,

Marthe - À la bonne heure !

Amandine - Quelle excellente amie…

Elles se serrent la main…


Scène V

Les Mêmes, Tiburce, puis Landernau, Julie, puis Pacarel

Tiburce, du fond,?— Madame… Madame… C'est Monsieur qui est arrivé, il a l'air tout effondré !

Amandine - Ah !… mon Dieu !

Marthe - Pourquoi ça ?

Landernau, entrant de gauche, deuxième plan - Qu'y a-t-il ?…

Julie, entrant de droite, premier plan - Qu'est-ce que c'est ?…

Amandine - C'est monsieur Pacarel.

Marthe - C'est ton père…

Pacarel, arrivant du fond?— Ah ! mes amis, de l'eau de mélisse !… quelque chose !… secourez-moi !.,. Je n'en puis plus !… (Il s'assied sur un siège que lui avance Landernau. Tiburce est allé prendre un verre d'eau sur la cheminée, premier plan gauche, et le donne à Landerneau qui le passe à Pacarel.) Ah ! quel coup !… Ah ! Bien ! Il l'a passée, son audition… C'est du propre, mes amis, un désastre !…

Tous, anéantis?— Ah !…

Pacarel - Ah !… si je m'étais attendu à ça… Hier déjà… quand nous l'avons fait chanter, je me disais bien… Et toi aussi, Landernau, tu me le disais… c'est drôle, n'est-ce pas… mais je pensais : c'est que nous ne sommes pas musiciens… puisqu'il est célèbre… c'est qu'il a une belle voix… Ah ! je t'assure qu'il est bien surfait !… C'est comme ça qu'on fait des réputations dans le Midi… J'aurais dû m'en méfier après tout… Les Bordelais… c'est si blagueur !…

Il rend son verre vide à Landernau qui le passe à Tiburce. Celui-ci sort presque aussitôt par la gauche.

Tous - Alors !

Pacarel, se levant - Nous arrivons donc à l'opéra : les directeurs nous reçoivent et l'on passe dans la salle. Il n'y avait que nous deux et le jury. Ce jury était composé des directeurs, du chef d'orchestre et d'un pompier qui se promenait, ce dernier ne devait avoir que voix consultative, car, n'ayant point été interrogé, il n'a point émis d'avis. Le chef d'orchestre était chargé d'accompagner… Il demande à Dufausset quels sont les airs qu'il chante ? Il répond qu'il possède assez bien "Mad'moiselle, écoutez-moi donc". On lui objecte que ça ne fait pas partie du répertoire… Il fait : "tant pis !…" Et il se rabat sur son éternel : "Salut demeure chaste et pure !" Moi, je me sens saisi d'inquiétude parce que ça n'avait pas si bien marché hier, ici. Enfin, je me dis : à la grâce de Dieu !… Et il a chanté, si on peut appeler ça chanter… C'était faux… et pas en mesure… Et il a eu beau prétendre que c'était le piano qui était faux et l'accompagnateur qui allait trop vite… ça n'a pas mordu… Les directeurs se sont regardés, ahuris. Le pompier, lui, ne disait rien… Mais il n'avait pas l'air satisfait… Quant à l'accompagnateur, il était en moiteur… Il faisait : "allez donc !… mais allez donc !…" À la fin, Dufausset a dit : "Flûte !…" Et j'ai senti que tout le monde me regardait… J'étais couverte de honte, et quand je suis parti… on m'a dit que le théâtre n'était pas un atelier pour les fumistes !… Ah ! le bandit !…

Julie - Calme-toi, papa !…

Pacarel passe au deuxième plan ; Julie, au troisième, replace la chaise à gauche.

Pacarel - Calme-toi !… calme-toi !… c'est bien facile à dire cela… Qu'est-ce que je vais en faire, moi, de ce propre à rien ?… Car enfin… j'ai un traité avec lui… un traité qui me lie comme un mouton… 3.500 francs par mois… Si tu crois que c'est peu de chose… pour un ténor qui n'a pas de voix… Et puis… ton opéra, alors, qui est-ce qui le jouera ?… Ce ne sera pas Landernau… ce ne sera pas moi, et cependant, je ne puis pas traiter avec tous les ténors libres d'engagements pour te trouver un interprète… Fondons une agence, alors !…

Pendant ce qui suit, Julie a gagné la droite et remonte derrière le canapé. Amandine remonte également causer avec Julie.

Marthe - Voyons… tu exagères les choses… Dufausset est peut-être fatigué… Le changement de climat… On ne sait pas… ce voyage… Il est arrivé d'hier. Tu ne lui as pas laissé le temps de souffler… tu comprends que, s'il est célèbre à Bordeaux, c'est qu'il a quelque chose.

Pacarel - Ah !… ouah !… c'est un zéro !… vrai !… J'ai fait une jolie acquisition… (Dufausset paraît au fond.) Lui !… Laissez-nous seuls !

Tous sortent par la droite, deuxième plan.


Scène VI

Pacarel, Dufausset

Dufausset, du fond droite - C'est moi !

Pacarel - Ah ! vous voilà, monsieur ?

Dufausset - Oui… Je meurs de faim !

Pacarel - Vous mourez de faim… c'est bien ça… Et c'est moi qui dois nourrir les bouches inutiles… Vous ne rougissez pas de votre état de parasite ?

Dufausset - Parasite !… Eh bien… dites donc !

Pacarel - Vous pouvez vous vanter d'avoir été brillant tout à l'heure, à l'Opéra !

Dufausset - Mon dieu !…

Pacarel - Ah !… Vous trouvez que cela a été bien, vous ?… Eh bien ! Vous n'êtes pas difficile… Vous n'avez pas vu la tête que faisait le pompier, sans doute… C'est honteux, monsieur !

Dufausset - Aussi, c'est votre faute… Vous n'aviez qu'à ne pas me faire chanter…

Pacarel - Il me semble que les ténors ne sont pas faits pour cirer les bottes…

Dufausset - Justement, chacun son métier… Il était facile de voir que je n'étais pas en état…

Pacarel - Eh bien !… vous n'aviez qu'à me prévenir, nous aurions attendu quelque temps…

Dufausset - J'ai cru que ce n'était pas sérieux… Nous autres Bordelais, nous disons : "blagueur comme un Parisien…" Alors, je me suis fait cette réflexion… Pacarel fait une blague à l'Opéra… Emboîtons !

Pacarel - Eh bien !… Elle est jolie votre réflexion… Enfin, qu'est-ce que je vais faire de vous maintenant ? Vous pensez bien que, je ne vais pas vous héberger et vous payer pour vos beaux yeux… Quant à l'Opéra… il ne faut plus y penser… Qu'est-ce que vous savez faire, voyons ?… Avez-vous une belle écriture ?… Savez-vous compter ?

Dufausset - Heu !… Heu

Pacarel - Voyons… 35 et 9, combien ça fait ?…

Dufausset. -… 35 et 9 ?… (Comptant sur ses doigts.) 35, 36, 37…

Pacarel - Voyons… 35 et 9 ?… Vous avez besoin de compter sur vos doigts ?

Dufausset - Non… Seulement, sur les doigts… c'est plus commode.

Pacarel - Oh ! plus commode… Il suffit qu'on ait un doigt de moins… alors… il n'y a pas moyen de faire une opération juste… (À part, passant au deuxième plan.) Non !… Mais qu'est-ce que je vais faire de ce gaillard là ?… (Haut.) Enfin, je ne sais pas… on tâchera de vous employer d'une façon quelconque… Vous ferez des courses… Et puis, le matin, vous aiderez à faire les chambres… vous donnerez un coup de plumeau…

Dufausset - Moi ?…

Pacarel - Oui… vous !… Il faut bien vous rendre utile à quelque chose ! Prendre des ténors à trois mille cinq cents francs comme domestiques, c'est raide !… on aurait un nègre pour moins cher… Et ça ferait plus d'effet.

Il remonte au fond, deuxième plan.

Dufausset, à part - Moi !… Dufausset… faire les chambres… Je vais écrire à papa.

Pacarel, revient au deuxième plan - Ah !… dites donc… et puis vous savez… pas un mot à Tiburce… des app… des gages que je vous donne… Il n'aurait qu'à avoir les mêmes prétentions, merci !… (Remontant. À part.) Ah ! si je pouvais arriver à le repasser à quelque imbécile !

Il sort fond à droite.


Scène VII

Dufausset, Julie

Dufausset - Oh !… c'est trop fort !… M'humilier de la sorte !… Ce matin, il me choyait, il me mettait des foulards et maintenant il me reçoit comme un chien dans un jeu de quilles !… Oh !

Julie, de la droite, deuxième plan - Vous êtes en colère, monsieur Dufausset ?

Dufausset - C'est votre père. Mademoiselle… Il veut que je fasse les chambres, que je cire les parquets, votre père…

Julie - Oh !

Dufausset - Un peu plus… il m'appellerait larbin…

Julie - Pauvre jeune homme !… Papa ne pense pas ce qu'il dit… (À part.) Peut-on faire de la peine à un si gentil garçon !

Dufausset - Oh ! mademoiselle, il m'a profondément blessé… et si je n'étais retenu par les charmes d'une personne…

Julie, à part - Est-il possible ? (Haut.) Une jeune personne ?

Dufausset - Une jeune personne mais je ne peux la nommer.

Julie - Non… Ne la nommez pas ça me ferait rougir…

Dufausset - Il n'y aurait vraiment pas de quoi… (À part.) Amandine doit avoir reçu mon billet maintenant, que va-t-elle penser ?

Julie - Je suis bien heureuse de l'aveu que vous venez de me faire… Ah ! bien heureuse… Et je vous sais gré de votre discrétion.

Elle passe au premier plan.

Dufausset - La discrétion est la première des qualités de l'homme. (À part.) N'empêche qu'elle voudrait bien savoir qui c'est, la petite…

Julie - Ah ! je suis bien heureuse…

Dufausset - Et moi, je meurs de faim…

Il sort par le fond.


Scène VIII

Julie, Amandine, Marthe

Amandine, venant du premier, plan, droite, tandis que Marthe paraît au deuxième plan, droite - Qui vient de sortir de là ?

Julie - M. Dufausset… il a eu une scène avec papa… il est profondément blessé… il est allé manger.

Elle passe au deuxième plan.

Marthe, passant au premier plan, à Amandine - Ça prouve qu'il a du cœur…

Amandine - Et de l'appétit.

Marthe - Ton père n'est pas là ?

Julie, elle remonte au fond - Non… tu le cherches ?…

Marthe - Oui,… j'aurais besoin de lui (À part, avec un soupir.) pour le marquer…

Amandine - Il faut que je trouve mon mari aussi… (À part.) Je me suis approvisionnée de craie dans le billard.


Scène IX

Les Mêmes, Pacarel, Dufausset, deux arrosoirs dans les bras.

Pacarel, du fond - C'est bon, vous mangerez plus tard… Vous allez aider Tiburce à nettoyer les hannetons… encore des parasites inutiles… au moins, ceux-là on s'en défait.

Il remonte au fond.

Marthe,?— Oh ! mon ami, que c'est vilain ce que tu dis là !

Julie, au-dessus de la table - Le pauvre garçon !

Amandine - Il le fait arroser…

Dufausset - Quelle humiliation !… Oh ! si je ne me retenais pas ! (À Marthe.) Alors !…vous voulez que je soigne votre serin ?…

Marthe - Hein ?

Elle remonte rejoindre son mari au fond.

Amandine - Prenez bien garde, mon mari a des soupçons… je crois qu'il se doute de votre amour coupable…

Dufausset - Tiens, parbleu !… c'est moi qui lui ai dit…

Amandine - Vous, malheureux !… Et comment a-t-il pris ça ?

Dufausset - Lui !… Qu'est-ce que vous voulez que ça lui fasse ? Il a dit seulement… Ah !… Eh bien, pour la rareté du fait…

Amandine - Comment ?.. il a dit… l'insolent… Eh bien ! J'aurais bien tort d'avoir des scrupules. (À Dufausset.) Monsieur… j'attends vos jarretières… j'ai cinquante-huit de tour de jambe.

Dufausset, ahuri - Ah ! je… vous… cinquante-huit… vous avez cinquante-huit… ça me fait bien plaisir. (À part.) Ils ont donc la manie des jarretières dans cette maison ?

Pacarel, redescendant, même place - Allons… ne perdez pas votre temps… Allez me nettoyer mes hannetons… Dépêchez-vous, parce que, après, j'aurai une course à vous faire faire.

Dufausset - Moi !…

Pacarel - Oui,… vous irez me chercher une paire de jarretières, j'en ai une des miennes qui a craqué.

Dufausset - Lui aussi !… allons, c'est dans le sang !

Il sort fond droite.


Scène X

Les Mêmes, moins Dufausset

Marthe - Comment ?… tu le laisses partir ?

Julie, allant à Pacarel,?— Oh ! papa, le pauvre garçon !…

Pacarel - En quoi ça le pauvre garçon !… Sais-tu ce qu'il gagne pour ce qu'il me fait ?… 3.500 francs par mois, et tu le plains… Eh bien !… Qu'est-ce que tu diras donc de Tiburce qui n'a que 50 francs ?

Amandine - Ce n'est pas une raison pour l'humilier…

Julie - Tu l'as profondément blessé.

Marthe - Veux-tu que je dise : tu n'es qu'un égoïste.

Amandine - Oui, c'est très vilain…

Marthe - Très vilain.

Pacarel - Si vilain que ça ?

Les trois femmes - Oui… très vilain !… très vilain !… très vilain !…

Pacarel - Là… là… calmez-vous…

Julie - Le pauvre garçon… je vais aller le retrouver au jardin… lui porter une parole de consolation.

Elle sort fond droite.

Amandine - Moi… je cours chercher mon mari… je m'en vais le crayer de la bonne façon… Ah ! on va t'en donner des : "pour la rareté du fait".

Elle sort par la droite, premier plan.

Scène XI

Pacarel, Marthe, puis Tiburce, puis Lanoix avec un bouquet.

Pacarel, il s'assied sur le canapé - Vous êtes bonnes, vous, de le plaindre… je trouve que c'est moi qui suis à plaindre… Je vous demande un peu ce que je vais en faire… Aucun théâtre n'en voudra.

Marthe, s'asseyant à gauche - Qui sait, en cherchant…

Tiburce entre à ce moment et attend en voyant ses maîtres causer.

Pacarel - Comment veux-tu qu'on prenne un ténor qui n'a pas de voix…

Tiburce - Je demande pardon à Monsieur, mais dans tous les commerces, il y a toujours un moyen de requinquer les rossignols… Ainsi mon père, qui était maquignon, quand il avait une rosse à vendre… il lui mettait un grain de gingembre sous la queue et ça faisait l'affaire… J'indique ce remède à monsieur…

Pacarel - Je vous remercie, si vous n'avez que cela à me proposer…

Tiburce - Dame !… pour le moment, mais je venais dire à Monsieur… que M. Lanoix était là.

Pacarel - Faites entrer.

Tiburce - Bien, monsieur.

Tiburce introduit et se retire.

Lanoix, saluant - Futur beau-père… future belle-mère…

Marthe, vexée - Future belle-mère…

Pacarel - Vous venez pour votre fiancée…

Lanoix - Oui, figurez-vous, je n'ai pas de chance ; je l'ai attendue au grenier, elle n'y était pas.

Pacarel - Elle est au jardin.

Lanoix, à part - Attention à ne pas dire de bêtises… Le remède à maman… (Il tourne sa langue sept fois.) Je lui apporte ce bouquet (Même jeu), à ma fiancée (Même jeu), je serais si heureux de la voir.

Marthe, se levant - Qu'est-ce qu'il a ?

Pacarel, se lève aussi,?— Tiens, ça vous arrive souvent ? (À part.) Julie me l'avait bien dit. Je ne m'en étais jamais aperçu…

Marthe - Si vous voulez voir Julie… Elle est au fond du jardin… elle regarde tuer les hannetons.

Elle se rassied et brode.

Lanoix, tournant la langue - Vous en avez beaucoup de hannetons ?

Pacarel, à part - Ah ! mais… il est crispant avec son tic. (Haut.) Et il n'y a pas de remède à ça ?

Lanoix - Si…. on prend de l'eau bouillante et on échaude… ça tue radicalement…

Pacarel - Hein ! En voilà un traitement… Non, moi, je connais un autre moyen. J'ai entendu parler d'une spécialité… d'un nommé Démosthène, qui mettait des petits cailloux… Vous pourriez essayer…

Lanoix - Pour les hannetons ?…

Pacarel - Mais non !… pour votre machin, là…

Il l'imite.

Lanoix - Oh ! pour mon… Oh ! ça… ça n'est rien… Ne vous inquiétez pas… Allons… je vais retrouver Mademoiselle Julie.

Fausse sortie.

Pacarel - C'est cela… Ah ! dites donc… pendant que j'y pense, vous n'auriez pas besoin d'un ténor ?

Lanoix - Non… ma mère cherche un cuisinier.

Pacarel - Eh ! bien… voilà !… je lui céderai mon ténor… il est très solide… C'est un gaillard… il fait les courses…

Lanoix - Mais un ténor…

Pacarel - Oh !… il chante si peu…

Lanoix - Qu'est-ce qu'il demande ?

Pacarel - 3.500 francs par mois, c'est pour rien…

Lanoix - Hein !… pour un cuisinier !… Mais il est fou !

Pacarel - Sans le vin, ni le blanchissage…

Lanoix - À ce prix là… sous aucun prétexte…

Pacarel - Je te dis… personne… personne n'en voudra !

Lanoix - Je me sauve !…

Il se retire, fond droite.

Pacarel - Enfin… si vous entendez parler, n'est-ce pas ?


Scène XII

Pacarel, Marthe

Pacarel, gagne la droite - Ah ! s'il pouvait donc seulement retrouver pour vingt-quatre heures sa voix… Si on pouvait, avec du gingembre, comme pour les chevaux… après, parbleu, ça me serait bien égal qu'il n'ait plus de voix, une fois que je l'aurais casé.

Marthe, à part, assise - Il serait peut-être temps de parler à mon mari pour le signal ; faut-il dire oui, décidément ? Ah ! ma foi, tant pis… oui… mais comment faire ? Ah ! quelle idée ! (Elle se lève, va à Pacarel. Haut à son mari.) Dis donc… alors, tu voudrais bien que Dufausset retrouve sa voix ?… Eh bien ! j'ai peut-être un moyen… je ne garantis rien…. tu sais, je te le donne pour ce qu'il est… non.. je n'ose pas ! tu vas rire…

Pacarel - Non.. non… va donc !

Marthe - C'est un peu de l'empirisme… d'ailleurs c'est une tireuse de cartes qui me l'a enseigné… il paraît que c'est infaillible… Quand un chanteur perd sa voix… il y a un moyen bien simple de la lui rendre.

Pacarel - Eh bien ?…

Marthe - Eh bien !… voilà… Quand Dufausset entrera, tu agiteras ton mouchoir comme ça… en disant trois fois… "coucou… ah ! le voilà !"

Pacarel, tirant son mouchoir, l'agite - Oui… Et puis ?

Marthe - C'est tout…

Pacarel - C'est ça ?… Il est stupide ton moyen…

Marthe - Ça ne coûte rien de l'essayer…

Pacarel - C'est un remède de bonne femme… Enfin… j'essayerai, ça ne lui fera toujours pas de mal.

Marthe, à part, remontant et redescendant au deuxième plan - Ah !… Et l'heure à présent !… Deux heures, c'est une bonne heure. (Haut, brusquement) Ah !

Pacarel - Quoi ?

Marthe - Tourne-toi…

Pacarel - Mais, pourquoi ça ?

Marthe, traçant deux rates à la craie dans le dos de Pacarel. Une… deux… voilà ! deux heures !

Pacarel. Aïe ! tu me chatouilles… Qu'est-ce qu'il y a ?

Marthe. Ah ! non… rien… j'avais cru voir une bête sur toi !

Pacarel - Eh ! bien ?..

Marthe - Eh ! bien non, j'avais vu double. (À part.) Et maintenant Dufausset saura à quoi s'en tenir…

Elle sort à droite, deuxième plan.


Scène XIII

Pacarel, Landernau, Amandine

Amandine, venant de droite, premier plan, suivie de Landernau. À Landernau - Ainsi… tu as bien compris ?… tu agiteras ton mouchoir bien fort…

Landernau, il a trois raies dans le dos et tient son mouchoir à la main - Oui… oui… Bibiche !… (À part, passant au deuxième plan.) Ah ! par exemple, si ce remède là réussit… je renonce à la médecine…

Il agite machinalement son mouchoir.

Pacarel, à part, agitant son mouchoir - C'est idiot !… Dieu !… que les femmes sont bêtes !

Amandine - J'ai fixé à trois heures !… v'lan !… trois raies !… c'est l'heure où mon mari ronfle ! (Haut.) Je te laisse. Elle sort, premier plan droite.


Scène XIV

Pacarel, Landernau, puis Dufausset

Moment de silence. Ils se regardent, étonnés de se voir l'un et l'autre un mouchoir à la main.

Pacarel - Eh ! bien ! Qu'est-ce que tu fais avec ton mouchoir à la main ?

Landernau - Eh bien !… et toi ?

Pacarel - Moi ?… rien… j'attends que j'éternue…

Landernau - Ah ! bien, moi… tu n'as pas idée comme c'est bête !… C'est Dufausset que j'attends avec…

Pacarel - Vrai ?… Eh bien !… veux-tu que je te dise… moi aussi…

Landernau - Il paraît qu'en agitant le mouchoir, ça rend la voix.

Pacarel - Oui… précisément.

Landernau, à part - Comment… ça serait vrai ?…

Pacarel - Lui… un homme de science… ça me rassure…

Landernau - Alors… il suffit d'agiter…

Pacarel - Oui… en disant trois fois : "Coucou… Ah ! le voilà !"

Landernau - Ah ! non !

Pacarel - Si !

Landernau.- Non… Bibiche ne m'a pas parlé de ça…

Pacarel - C'est qu'elle a oublié…

Landernau - Pas du tout, elle m'a dit qu'il fallait chanter : "Colimaçon borgne, montre-moi tes cornes !"

Pacarel, à part - Ah !… il y a peut-être des variantes… il y a tant de branches dans la médecine.

Landernau, à part ; il remonte légèrement - Ah ! bien… elle est bien bonne !…

Pacarel, à part - Je ne l'aurais jamais cru…

Landernau - Attention !… le voilà !…

Dufausset - Là… Etes-vous content ?… je les ai tués, vos hannetons…

Pacarel et Landernau agitent leurs mouchoirs.

Dufausset. Eh bien !… qu'est-ce qui vous prend ?

Ensemble.

Pacarel :

Coucou ! Ah ! le voilà !

Coucou ! Ah ! le voilà

Coucou ! Ah ! le voilà !

Landernau :

Colimaçon borgne,

Montre-moi tes cornes !

Dufausset - Ah ! le signal !… c'est le signal !… Ah ! bonheur ! Elle accepte…

Pacarel - Vous voyez comme il s'agite !…

Landernau - C'est le commencement de la crise !…

Dufausset - Pauvre femme… elle craint que son mari ne suffise pas… elle a pris du renfort…

Pacarel - Eh bien !… ça va-t-il ? Eprouvez-vous quelque chose ?

Dufausset - Ah ! je crois bien… il me semble que tout se dilate en moi.

Pacarel - C'est bien cela..

Landernau - C'est incroyable !…

Pacarel - Blaguez donc les empiriques…

Landernau - Il faudra que j'essaye cela avec mes malades.

Pacarel et Landernau, reprenant ensemble, en agitant leurs mouchoirs - Coucou ! Ah ! le voilà !?— Colimaçon borgne, montre-moi tes cornes !

Dufausset, les voyant qui agitent leurs mouchoirs en reprenant leur refrain - Ah ! mais, ne vous fatiguez pas… ça suffit !…

Pacarel - Laissez donc… plus il y en aura, mieux ça vaudra.

Il donne d'un air malicieux une bourrade dans l'estomac de Dufausset, tout en pivotant sur lui-même, puis remonte au fond en passant entre la table de gauche et le mur, de façon à ce que Dufausset puisse voir les raies tracées dans son dos, au moment opportun.

Landernau - Mais oui… c'est pour votre bien…

Même jeu que Pacarel ; il remonte en passant à droite, entre le canapé et le mur.

Dufausset - Ah ! c'est pour… il est étonnant ce mari… (Voyant les deux raies dans le dos de Pacarel.) Une… deux… le rendez-vous est à deux heures.

Pacarel, redescend et le cinglant de son mouchoir - Coucou… Ah ! le voilà !

Dufausset, apercevant le dos de Landernau - Une…. deux… trois… Allons, bon… il y en a trois là… Ah ! çà !… Est-ce deux… est-ce trois ?

Landernau, redescend en agitant son mouchoir - Colimaçon borgne…

Dufausset - Eh ! non, elle a partagé entre les deux hommes… Il faut additionner… C'est deux et trois… deux et trois…

Pacarel - Cinq… Deux et trois… cinq !…

Dufausset - C'est bien ça… cinq… c'est à cinq heures… Ah ! je suis bien heureux !… (Il chante à gorge déployée.) "À moi les plaisirs, les jeunes maîtresses !"

Pacarel, avec admiration - Il chante !

Dufausset - "À moi leurs caresses, à moi leurs désirs !"

Landernau, même jeu que Pacarel - Il a retrouvé sa voix.

Pacarel - C'est merveilleux !… Enfin !… je retrouve mon ténor ! Ah ! Dufausset ! ce cher Dufausset !

Ils lui serrent la main

Dufausset - Eh bien ! qu'est-ce qu'il leur prend ?


Scène XV

Les Mêmes, Lanoix

Pacarel, à Lanoix qui est entré et regarde, ahuri, le spectacle - Ah ! mon ami,… écoutez ça !… Il a retrouvé sa voix !

Lanoix - Qui ?

Pacarel - Mon ténor !

Lanoix - Le cuisinier !

Pacarel, à Dufausset - Ah ! tenez ! recommencez pour qu'il entende. Landernau, ton mouchoir… vous aussi, Lanoix, agitez votre mouchoir, ça renforcera.

Lanoix, ahuri, obéissant machinalement - Qu'est-ce qu'il chante ?

Pacarel - Ce qu'il chante ?… "À moi les plaisirs !… " Vous allez entendre ça… Allez, Dufausset !

Dufausset - Ah !… vous voulez que… Ah ! bon ! (Il chante, pendant que les trois hommes agitent leurs mouchoirs.) "À moi les plaisirs, les jeunes maîtresses !"

Pacarel - Hein ? ça y est-il ?

Lanoix - Oui… oui !… (Lanoix continue l'air.) "À moi leurs désirs, à moi leurs caresses !"

Pacarel et Landernau - Lui aussi !

Dufausset et Lanoix, à l'unisson. "À moi l'énergie des instincts puissants !"

Pacarel - Mais ce talisman est merveilleux ! (Appelant.) Ah !… Julie ! Marthe ! Bibiche !


Scène XVI

Les Mêmes, Marthe, Julie, Amandine, Tiburce

Les trois femmes, entrant - Quoi ! qu'est-ce qu'il y a ?

Pacarel, remonte et descend - Ah ! venez mes amies, Dufausset a retrouvé sa voix !

Lanoix, qui n'a pas cessé de chanter' - "Et la folle orgie du cœur et des sens."

Pacarel, à Lanoix - Mais, taisez-vous donc, vous !… Marthe, ton moyen est admirable.

Marthe - Pas possible !

Dufausset, à part - Si je comprends quelque chose…

Tiburce - Monsieur a essayé du gingembre ?

Pacarel - Mais non, laissez-nous donc tranquilles avec votre gingembre !

Lanoix remonte avec Tiburce.

Dufausset - Ah ! je suis bien heureux, madame, je serai exact ! Voici vos jarretières.

Marthe - Merci ! (À part.) Il y tient ! (Haut.) Mais vous me jurez que c'est en tout bien tout honneur !

Dufausset - Je le jure !…

Elle rejoint Julie.

Amandine, bas à Dufausset, passant au premier plan - Ah ! jeune homme, qu'allez-vous penser de moi ?

Dufausset, tressautant et se retournant à l'apostrophe d'Amandine - Hein ! Encore elle ! (Haut.) Mais rien du tout.

Amandine - Dites un peu : "Tiens ! on a mis un bouchon dans la colonne !"

Dufausset - Décidément, c'est un tic ! "Tiens ! on a mis un bouchon… dans la colonne !"

Amandine, à part - Oh ! ça ne peut être que lui ! (Haut.) Ah ! jeune homme, je vais être bien coupable.

Dufausset - Allons ! tant mieux !… tant mieux !

Il lui tourne le dos et remonte un peu.

Amandine, joyeuse - Ah ! il est content ; pauvre chéri !

Dufausset - Et maintenant, je retourne aux hannetons.

Pacarel - Jamais de la vie !… aux hannetons, vous !… Tiburce, à vos arrosoirs ! et vous, Dufausset ! à la gloire ! à l'Opéra ! (À Landernau.) À nous, Landernau !

Ensemble, avec leurs mouchoirs :

Pacarel - "Coucou ! Ah ! le voilà !"

Landernau - "Colimaçon borgne !"

Pacarel - "Coucou ! Ah ! le voilà !"

Tous les imitent. Ahurissement de Dufausset.

RIDEAU

Source: Wikisource

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