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LE COUCOU

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Musique : derwald_-_Berlino:https://www.jamendo.com/start
Winner winner:  Kevin MacLeod (incompetech.com)

 
Illustration d'après https://pixabay.com/ Domaine public





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Le coucou


Je roulais vite. L’autoroute défilait, monotone, avec ses panneaux lumineux. "Attachez votre ceinture", "Faites la pause".

Tôt ce matin-là, j’avais eu envie de prendre l’air. Ni une ni deux, un léger sac de voyage dans le coffre, direction la côte normande. Dieppe, Cabourg, Deauville ? Peu importait, l’air y serait toujours plus pur qu’à Paris. J’hésitais encore, quand un panneau lumineux un peu particulier annonça : "Si t'es pressé, sort de l'autoroute", avec une flèche signalant la prochaine sortie à deux kilomètres. Etais-je vraiment pressée ? Pressée d’arriver à destination, certes. Mais laquelle ? Alors pourquoi pas celle du mystérieux panneau ? Sans plus réfléchir, j'ai mis mon clignotant et je suis sortie de l’autoroute. A partir de maintenant le destin choisirait le lieu où je passerai ces quelques jours de repos enfin accordés par mon entreprise. Et le destin se mit au travail sans tarder. Il me fit traverser quelques bourgades et villages, jusqu’à entendre mes jambes et ma nuque protester. Il était temps de faire la pause.

J’étais à Imboville, un joli petit village normand paraissant très ancien, où je décidais de me dégourdir un peu. Je me promenais donc au hasard des rues. Un grand rassemblement plutôt bruyant et dissipé devant la mairie m’attira. Les conversations allaient bon train :


– Voilà où mènent les manipulations génétiques, ruminaient les vieux.


– Evidemment ! A force de construire des centrales électriques ! disaient les écolos.


– C’est à cause des fusées russes, criait une grand-mère.


– Dis, papa, ça veut dire quoi coucouiller ? demandaient les enfants.


– Rentre à la maison, répondaient les mamans.


Toute cette drôle de cacophonie m’empêchait de comprendre ce qui se tramait dans le village. J’en demandais la cause à un jeune homme plus calme. Il s’étonna.


– Vous ne savez pas, madame ?


– Non, je viens d’arriver. J’habite à Paris.


– Tous les médias du coin ne parlent que de ça: le coucou a muté ! Tout le monde accuse réchauffement climatique, les pesticides ou les insecticides. En réalité, personne n'en sait rien. N’empêche que les coucous ne chantent plus "coucou". Ils "coucouillent"…


Là, j’eus besoin de m’asseoir sur le premier banc qui se présentait. Un message bizarre sur l’autoroute, des coucous mutants…


– Monsieur le Maire! Monsieur le Maire!


Le maire sortait sur le seuil de la mairie; je m’y ruais avec le reste de la foule.


– Voici la décision du conseil municipal, déclara le maire du village. Afin de régler notre problème de coucous, nous convoquons immédiatement les plus grands savants: des mathématiciens, des philosophes, des professeurs, des médecins et des vétérinaires, des écrivains, des grands médiums et des sorciers. Nous les accueillerons à la salle des fêtes dès cet après-midi.


Dans les minutes qui suivirent, la salle des fêtes fut prise d’assaut et l’on vit des journalistes camper parmi la foule de curieux sur les pelouses. L’affaire était sérieuse. Elle ne serait pas résolue le soir même.


C’est donc à Imboville que le destin avait choisi le lieu de mes vacances. Dans ces circonstances, pas facile de trouver une chambre libre. Je dénichais ma foi une chambre d'hôte dans un village à proximité.


 


Trois jours s’étaient écoulés dans l’excitation la plus désopilante et les coucous coucouillaient toujours sans discontinuer. Le quatrième jour, des dizaines de camionnettes de livraison déchargèrent un tas de matériel hétéroclite à la salle des fêtes, d’où filtrait désormais une ribambelle de sons métalliques incongrus. Puis tous les coucous disparurent. On n’entendait plus " coucouille", mais on n’entendait toujours pas le doux coucou des coucous.


 


Jusqu’au lendemain, où le chef des savants sortit de la salle des fêtes, un large sourire triomphant affiché sur son visage :


– Nous avons trouvé la solution.


Quelques hommes en gilets jaune fluo ouvrirent les portes de la salle des fêtes, et poussèrent vers l’extérieur une grande forme mystérieuse posée sur un socle à roulettes, entièrement recouverte de draps blancs. Le silence régna soudain.


Le chef des savants reprit la parole:


– Je tiens à féliciter l’ensemble des personnes ayant participé à notre effort visant à éradiquer le coucouillement des coucous. Comme vous avez pu l’entendre, nous avons fabriqué une grande machine dans laquelle nous avons mis tous les coucous. La machine a effacé de leur mémoire toutes les lettres de l’alphabet, hormis le C, le O et le U. Ainsi, lorsque nous les libérerons, les petits volatiles chanteront à nouveau "coucou". 


Il fit un signe discret aux gilets jaunes qui tirèrent à eux les draps. Les premiers oiseaux s’envolèrent timidement et silencieusement d’une sorte de machine infernale. A cet instant, un coucou surgit de la machine, se posa sur l’épaule de Monsieur le Maire et se mit à chanter :


– Cocu, cocu, cocu…


Les rires crevèrent immédiatement le silence. Les coucous sortaient par dizaines de la machine et s’envolaient très haut et très loin pour que plus personne ne puisse jamais les rattraper.


 


Je pense que l’histoire s’est arrêtée là. Je ne sais pas; j’ai repris l’autoroute vers Paris. Mais quand je suis revenue l’année d’après, une rumeur courait : plus une seule femme ne trompait son mari à Imboville, de peur qu’un coucou ne se pose sur l’épaule de celui-ci.


 






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