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DROIT D'INVENTAIRE

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Photo:Éole Certains droits réservés (licence Creative Commons)







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Droit d’inventaire
Par Raymond Beltran

Sans vouloir me placer sur un terrain politicien et sans qu’il y ait de lien de filiation entre le pouvoir et moi, je revendique un droit d’inventaire par rapport aux « racines chrétiennes » de la France.

Il y a d’abord une confusion qui m’a toujours frappé entre les racines et le terreau (le terrain) où plongent les racines. Les Français (et tous ceux qui habitent en France) ont des racines qui plongent dans la culture et la civilisation qui les environne. J’ai du mal à considérer que ce terrain culturel soit pris pour des racines !...

Quelles que soient nos origines et nos racines, ces racines plongent profondément (ou peu) dans un environnement constitué par le mode de vie, par l’éducation reçue à l’école, par les usages politiques et administratifs et tant de choses différentes qui font la vie d’un pays.

Qui contesterait que ce fond culturel a été imprégné d’usage religieux chrétien et d’architecture et d’art chrétiens ? Que des expressions courantes et toute une civilisation dans laquelle nous avons baigné était imprégnée de religiosité ? Etait-elle chrétienne aussi pour les enfants musulmans ?...

Je ne ferai pas reproche au Président de rappeler cela mais à cette nuance près. Cependant, ce discours n’est pas fait pour constater une évidence mais pour amorcer des conclusions à venir, qui partiront de ses affirmations et en tireront des conséquences pouvant alors risquer d’être exclusives de toute autre vérité. C’est pourquoi je veux exercer mon droit d’inventaire.

Première remarque : Le terreau France dans lequel nous (les individus et la société) plongeons nos racines collectivement a-t-il été créé par la tradition chrétienne seule, à partir du néant, et seulement depuis le 4è siècle ?... Rien n’existait auparavant digne d’être retenu ?... Notre terreau culturel ne doit-il rien aux civilisations antérieures, celte, gauloise, romaine ou grecque ?...

Deuxième remarque : Même si cela n’a pas été toujours le cas, n’y a-t-il pas eu un trou au Moyen Age provoqué par des invasions barbares qui nous ont déconnectés du passé et qui a constitué une forte régression intellectuelle ?... Même si le renouveau s’est appuyé sur la vie monastique, la religion n’a-t-elle pas maintenu cet état de fait et ce renouveau ne s’est-il pas fait par le retour aux sources d’une culture gréco-latine païenne qui a permis alors la « renaissance » ?...

Troisième remarque : Cette Renaissance ne doit-elle rien à la riche civilisation arabe des 12è et 13è siècles autour de Cordoue et au rôle d’intermédiaires joués par les juifs sépharades entre Cordoue et Gérone-Lunel-Montpellier et entre Cordoue et Bologne ?... Par quels intermédiaires avons-nous récupéré les sources gréco-latines que les copistes monastiques ont diffusées ?

Quatrième remarque : La religion chrétienne, même si elle a donné lieu à des chefs d’œuvre de peinture, de sculpture et d’architecture, a-t-elle été seule source d’inspiration pour les artistes ?... Le patrimoine culturel français, comme celui de l’Europe, n’a-t-il pas aussi été tributaire de sources profanes ou bibliques (juives) comme Le David, Moïse, Venus, etc. ?

Cinquième remarque : Cette religion qui inspirait le patrimoine n’a-t-elle pas été, pendant des siècles, cause de fermetures, de blocages intellectuels, de censures, de condamnations (y compris au bûcher) pour les créateurs ?

Sixième remarque : La France a-t-elle été imperméable à toutes les civilisations avec lesquelles elle a été en contact ? Les étrangers venant en France n’ont-ils rien apporté comme engrais sur ce terreau que celui du catholicisme ? Les siècles de présence musulmane en « Espagne », les siècles d’occupation ottomane en Grèce, en Europe de l’Est, et de commerce réciproque, entre deux batailles, n’ont-ils pas apporté quelque chose à notre terre nourricière et à nos racines ?...

Septième remarque : Dans la culture de chez nous, le gallicanisme qui refusait Rome, les courants contestataires de l’église catholique et tous les ferments qui ont abouti à la laïcité avec le temps ne seraient-ils pas des éléments de la culture française ? Des penseurs comme Spinoza n’y auraient pas laissé des traces, pas plus que Platon, Aristote ou Averroès ?

Huitième remarque : En parlant de « racines chrétiennes » pour reprendre les termes inappropriés du langage usuel que je rejette, ne se limite-t-on pas en fait aux seules racines catholiques et ne veut-on pas privilégier cette seule composante du patrimoine national ?

Neuvième remarque : Le consensus que le Vatican avait rejeté dans le Traité Européen de 2005, n’était-il pas, repris dans le Traité de Lisbonne, par la formulation « les héritages culturels, religieux et humanistes de l’Europe » ? N’est-ce pas plus complet et moins discutable ?

Dixième remarque : Dans notre terreau culturel il y a bien un certain siècle dit des Lumières, qui nous a affranchi des oppressions et intolérances religieuses, qui nous a préparés aux droits humains et aux libertés d’opinion et d’expression. Cela ne s’est pas fait avec l’accord de l’église catholique, laquelle à ce jour encore réfute cet héritage culturel par les voix les plus autorisées du Vatican et de ses relais français. Il est vrai que les encyclopédistes et autres « philosophes » de ce siècle n’étaient pas considérés comme « très catholiques » par les évêques d’alors… Mais leur rayonnement universel serait-il à exclure du patrimoine national que revendique notre Président ?

Je ne veux pas faire ici un pamphlet politique, simplement exercer mon droit d’inventaire. Oui, je sais que cela rappelle quelqu’un. Ce n’est pas le fruit du hasard… car… les mêmes causes produisent les mêmes effets !

L’actualité médiatique de ce jour m’a fait lire ce matin dans l’Indépendant un extrait de l’interview d’Odon Vallet par l’AFP : « le problème est que la France a plusieurs racines : gréco-romaines, catholiques, protestantes, juives, franc-maçonnes »… « D’une manière générale, les questions religieuses sont à manier avec beaucoup de précaution. Car la religion divise autant qu’elle unit, tant dans la majorité que dans l’opposition. »

Je m’interroge sur cette persistance à vouloir se prétendre héritier d’une seule fraction nationale, en perte de vitesse, et à afficher ainsi une opposition aux autres. Est-ce le rôle d’un Président de tous les Français ?... L’opportunisme et le désir de récupérer des voix ferait-il oublier celles perdues alors dans les secteurs émergeants de notre société ? La droite voudrait-elle se confondre à ce point avec les conservateurs le plus rétro ?... Croit-elle trouver son avenir dans le passé ?

Il est évident qu’en politique rien n’est innocent. De part et d’autre on sait se servir des faits pour attirer les électeurs.

Et, je m’interroge sur l’attitude d’une opposition politique qui ne sait que critiquer le Président et ne dit mot sur ce qu’il faut faire sous prétexte de ne pas s’aligner derrière un F.N. conquérant. Elle n’ose plus défendre une position laïque juste. A force de se taire l’on abandonne le terrain à ceux qui n’ont pas de scrupule à l’occuper… Après on s’en plaint ! C’est désolant !...

Ce soir, un sondage nous apprend que le FN serait en tête dans les intentions de vote pour le premier tour de la présidentielle de 2012. Ce n’est qu’un sondage, mais allons-nous vers un avril 2002 aggravé ?

Est-ce qu’on a bien fait de traiter avec autant de condescendance les « laïcards » qui veulent le respect de la laïcité ? N’est-ce pas parce qu’on a refusé de mettre en cause des déviances anciennes sous prétexte de ne pas tomber dans l’islamophobie qu’on a laissé le champ libre à d’autres ?... N’est-ce pas hypocrite de s’en lamenter maintenant ? Dire « c’est la faute du Président » et rester silencieux devant le problème posé fait-il avancer dans la récupération du terrain perdu face au FN ?...

Nous n’avons pas à mettre en cause nos concitoyens de confession musulmane au nom de la laïcité. Ils sont assurés de pratiquer leur religion et l’art. 1 de la loi de 1905, le leur garantit au nom de la République. Mais nous n’avons pas à laisser s’instaurer des empiètements sur la loi républicaine qui apparaissent (qui sont ?) autant de provocations pour imposer en France un ordre d’origine religieuse sur la sphère publique, en contradiction avec l’équilibre laïque qui permet de vivre en harmonie quelles que soient les opinions et les croyances privées.

Cela fait des années que nous réclamons de la part des musulmans modérés (la grande majorité, je l’admets), la condamnation des outrances intégristes… Elle est bien rare, très discrète quand elle se fait jour… alors que la voix entendue bien fort est celle, excessive, des peu modérés, et que les mœurs vestimentaires s’alignent sur leurs exigences… Devant cette fuite en avant, devant des exigences religieuses de plus en plus grandes, la base électorale devient sensible à cette constatation. Même si on peut le regretter c’est un fait.

Je ne crois pas qu’il s’agisse d’antisémitisme. La comparaison avec les années 30 et la montée du fascisme me semble relever de l’amalgame, du sentiment et pas de la raison. Il faudrait raison garder et ne pas s’enfermer dans une politique de l’autruche qui laissera le champ libre au FN.

La reprise du principe de laïcité à droite, le silence du politiquement correct à gauche, le complexe de culpabilité qu’on laisse s’instaurer partout, va permettre de modifier la loi de 1905. C’est entre les mains de la majorité. Qui sait ce qui en sortira sinon le consensus de prise en charge par les institutions publiques du financement de la construction de mosquées ? et, après… qui dira où s’arrêtera la mise à jour de la loi ?

Les arrangements avec le culturel pour dépasser le cultuel ont déjà fait du mal. Au-delà du « ce n’est pas moi, c’est les autres, » il faudrait un peu de responsabilité, un peu plus de volonté de respecter la laïcité de l’Etat, au national comme au local, si nous voulons être crédibles auprès des citoyens.

Arrêtons les jérémiades lancées à la cantonade. Exigeons de l’Etat plus de laïcité, mais appliquons-là aussi au niveau local.

La France n’est pas issue de la seule influence de l’église catholique, même si celle-ci a été durable. Nous avons dépassé la domination catholique et imposé la laïcité à cette église. Ce n’est pas pour céder devant les exigences d’une autre. La séparation des églises et de l’Etat ne doit pas disparaître dans l’hypocrisie des postures et des comportements politiques irresponsables et électoralistes.

Et, surtout, de grâce, arrêtons d’invoquer l’antisémitisme pour se taire et laisser le FN récupérer une laïcité que nous ne savons ni ne voulons défendre. La volonté politique pour le faire n’existe qu’en paroles. Les actes font défaut.

Raymond BELTRAN
Le 05 mars 2011



 



Source: http://www.republicains-laiques-audois.org/index.php/2011/03/07/615-droit-dinventaire



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