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11 POèMES DE GEORGES DE SCUDéRY

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Gravure de Charles Devrits - Georges de Scudéry - Domaine public

Musique : Improvisations à la guitare électrique sur la lecture elle même.
Même licence que l'interprétation






Texte ou Biographie de l'auteur

La Nymphe endormie

    Vous faites trop de bruits, Zéphire, taisez-vous,
    Pour ne pas éveiller la belle qui repose ;
    Ruisseau qui murmurez, évitez les cailloux,
    Et si le vent se tait, faites la même chose.

    Mon cœur sans respirer, regardons à genoux
    Sa bouche de corail, qui n'est qu'à demi close,
    Dont l'haleine innocente est un parfum plus doux
    Que l'esprit de jasmin, de musc, d'ambre et de rose.

    Ah que ces yeux fermés ont encor d'agrément !
    Que ce sein demi-nu s'élève doucement !
    Que ce bras négligé nous découvre de charmes !

    Ô Dieux, elle s'éveille, et l'Amour irrité
    Qui dormait auprès d'elle a déjà pris les armes
    Pour punir mon audace et ma témérité.

La Belle Égyptienne

    Sombre divinité, de qui la splendeur noire
    Brille de feux obscurs qui peuvent tout brûler :
    La neige n'a plus rien qui te puisse égaler,
    Et l'ébène aujourd'hui l'emporte sur l'ivoire.

    De ton obscurité vient l'éclat de ta gloire,
    Et je vois dans tes yeux, dont je n'ose parler,
    Un Amour africain, qui s'apprête à voler,
    Et qui d'un arc d'ébène aspire à la victoire.

    Sorcière sans démons, qui prédis l'avenir,
    Qui, regardant la main, nous viens entretenir,
    Et qui charmes nos sens d'une aimable imposture :

    Tu parais peu savante en l'art de deviner ;
    Mais sans t'amuser plus à la bonne aventure,
    Sombre divinité, tu nous la peux donner.

Sur un songe

    Ô prodige étonnant et difficile à croire,
    Enfin je vois Philis, sans haine, et sans orgueil ;
    Après un long combat, j'emporte la victoire,
    Et l'on voit mon triomphe, au bord de mon cercueil.

    Ses yeux tout rayonnants de splendeur et de gloire,
    Comme un faible nuage ont dissipé mon deuil ;
    De l'orage passé, j'ai perdu la mémoire,
    Et j'ai trouvé le port, où je crus un écueil.

    D'un regard favorable et tout rempli de charmes,
    Cet astre de mes jours vient essuyer mes larmes,
    Et de cette douceur je suis émerveillé :

    Sa froideur se réchauffe à l'ardeur de ma flamme ;
    Elle m'offre son cœur, en recevant mon âme ;
    Mais hélas c'est un songe, et l'on m'a réveillé.

Pour la même inconstante

    Elle aime, et n'aime plus, et puis elle aime encore,
    La volage beauté que je sers constamment :
    L'on voit ma fermeté ; l'on voit son changement ;
    Et nous aurions besoin, elle et moi, d'ellébore.

    Cent fois elle brûla du feu qui me dévore ;
    Cent fois elle éteignit ce faible embrasement ;
    Et semblable à l'Égypte en mon aveuglement,
    C'est un caméléon que mon esprit adore.

    Puissant maure des sens, écoute un malheureux ;
    Amour, sois alchimiste, et sers-toi de tes feux
    À faire que son cœur prenne une autre nature :

    Comme ce cœur constant me serait un trésor,
    Je ne demande point que tu fasses de l'or,
    Travaille seulement à fixer ce mercure.

L’Inconstant par imitation

    Esprits de plume et d'air, démons de l'inconstance,
    Qui ne trouvez jamais chez moi de résistance,
    Que je vous dois de voeux pour m'avoir fait savoir
    Que Philis, comme moi, cède à votre pouvoir !
    Nous vivons désormais francs de toute querelle,
    Chacun de nous suivra son humeur naturelle,
    Sans rendre nos désirs ni forcés, ni sujets ;
    Nous les attacherons à tous les beaux objets,
    Et ce change d'amour n'a rien qui soit blâmable,
    Quiconque a la beauté ne peut être qu'aimable ;
    Celui qui la possède a le droit d'aspirer
    Aussi bien comme un autre à se faire adorer.
    Cette diversité, qui sous ses lois me range,
    À proprement parler ne se peut dire change ;
    Car suivant son caprice et sa légèreté,
    Le but de mon amour est toujours la beauté.
    Arrière cette humeur qui s'obstine, importune,
    À vaincre et surmonter la mauvaise fortune,
    Qui, flattant ses défauts sous l'appas d'un doux mot,
    Fait appeler constant ce qu'on doit nommer sot !
    Bien loin ces sentiments de douleur et de crainte,
    Qui vous gênent une âme, et la tiennent contrainte !
    Je ne veux concevoir ni pensers, ni désirs,
    Qui dans le même instant n'enfantent des plaisirs ;
    Si je trouve l'Amour, et si je le conserve,
    Je trouve raisonnable et juste qu'il me serve ;
    Mais quand à mes dépens il voudra triompher,
    C'est un enfant mal né, que je dois étouffer.

Aimez ou n’aimez pas

    Aimez ou n'aimez pas, changez, soyez fidèle,
    Tout cela pour Philis est fort indifférent ;
    Comme votre conquête a peu touché la belle,
    Elle perd votre cœur ainsi qu'elle le prend.

    L'on ne peut la nommer ni douce ni cruelle,
    Son insensible esprit ne combat ni se rend ;
    Elle entend les soupirs que l'on pousse pour elle,
    Mais ce cœur de rocher ne sait ce qu'il entend.

    L'Amour, tout dieu qu'il est, avec toute sa flamme,
    Ne dissoudra jamais les glaçons de son âme,
    Et cette souche enfin n'aimera jamais rien.

    Ô malheureux amant ! Ô penser qui me tue !
    Quel bizarre destin se rencontre le mien !
    Comme Pygmalion j'adore ma statue.

Le Printemps

    Enfin la belle Aurore, a tant versé de pleurs,
    Que l'aimable Printemps nous fait revoir ses charmes ;
    Il peint en sa faveur, les herbes et les fleurs,
    Et tout ce riche Émail, est l'effet de ses larmes.

    Cibèle que l'Hiver accablait de douleurs,
    Et qui souffrait des vents les insolents vacarmes ;
    Mêle parmi ses Tours, les plus vives couleurs,
    Et triomphe à la fin par ces brillantes Armes.

    Les Roses et les Lis, d'un merveilleux éclat,
    Confondent la blancheur, au beau lustre incarnat ;
    La Tulipe changeante, étale sa peinture :

    Le Narcisse agréable, à l'Anémone est joint ;
    Bref, tout se rajeunit ; tout change en la Nature ;
    Mais superbe Philis, mon sort ne change point.

L’Été

    Environné de feux, et couvert de lumière,
    Tu sors de l'Océan, Astre de l'Univers ;
    Et des premiers rayons, de ta clarté première,
    Tu m'échauffes l'esprit, et m'inspires ces Vers.

    Tu brilles de splendeur ; tu brûles toutes choses ;
    Les Vallons les plus frais, en vain t'ont résisté
    Tu fais languir les Lis ; tu fais mourir les Roses ;
    Et la Neige est fondue, aux chaleurs de l'Été.

    L'air est étincelant ; la terre est desséchée ;
    La Palme la plus fière, a la tête penchée ;
    Le Laurier le plus vert, résiste vainement

    Tout fume ; tout périt ; par la celeste flamme ;
    Mais la plus vive ardeur d'un tel embrasement,
    M'incommode bien moins que celle de mon âme.

L’Automne

    Ô Saison bienfaisante, aimable et douce Automne,
    Toi que le Soleil voit d'un regard tempéré ;
    Toi qui par les présents, que ta faveur nous donne,
    Fais arriver un bien, qu'on a tant espéré.

    Ce riche amas de fruits, dont ton front se couronne,
    Rend par tous nos Hameaux, ton Autel révéré ;
    L'Abondance te suit ; le Plaisir t'environne ;
    Mais un plaisir tranquille, aussi bien qu'assuré.

    Bacchus te suit partout ; et Cérès t'accompagne ;
    Les Côteaux élevés, et la vaste Campagne,
    Leurs raisins et leurs blés, te montrent tour à tour :

    Chacun dans l'Univers, a le fruit de ses peines ;
    Moi seul, hélas moi seul, abusé par l'Amour,
    N'ai qu'un espoir trompeur, et des promesses vaines.

L’Hiver

    L'Air paraît tout obscur ; la clarté diminue ;
    Les arbres sont tous nus ; les ruisseaux tous glacés ;
    Et les rochers affreux, sur leurs fronts hérissés,
    Reçoivent cet amas, qui tombe de la Nue.

    Tout le Ciel fond en eau ; la grêle continue ;
    Des vents impétueux, les toits sont renversés ;
    Et Neptune en fureur, aux Vaisseaux dispersés,
    Fait sentir du Trident, la force trop connue :

    Un froid âpre et cuisant, a saisi tous les corps ;
    Le Soleil contre lui, fait de faibles efforts ;
    Et cet Astre blafard, n'a chaleur, ni lumière :

    L'Univers désolé, n'a plus herbes ni fleurs ;
    Mais on le doit revoir, dans sa beauté première,
    Et l'orage éternel, ne se voit qu'en mes pleurs.

Sur la mort d’une Dame

    Quoi, les Dieux meurent donc ! Et tant de rares choses
    N'ont pu sauver Procris de l'effroi du tombeau !
    Sa noirceur éteignant ce lumineux flambeau,
    Nous en voyons l'effet, sans en savoir les causes.

    Lugubres changements, tristes métamorphoses,
    Que nous avait prédit un funeste corbeau ;
    Tout l'univers en deuil perd ce qu'il a de beau
    Et ces divins attraits ont le destin des roses.

    Cette pâle beauté nous afflige et nous plaît ;
    Elle enchante les yeux, toute morte qu'elle est,
    Et de sa belle cendre, il sort encor des flammes :

    Nous en voyons l'éclat, nous en sentons l'effort ;
    Et l'on peut voir ensemble, en ce charme des âmes,
    Les Parques et l'Amour, les Grâces et la Mort.


 


Source: wikisource



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