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Illustration: POESIE 1830-1835 - Gérard de Nerval

POESIE 1830-1835

(Version Intégrale)

Enregistrement : Audiocite.net
Publication : 2019-05-29

Lu par Stefano Franco Bora Chagance
Livre audio de 29min
Fichier mp3 de 29 Mo

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Les poésies de jeunesse de l'un des auteurs les plus insaisissables de la littérature française : Gérard de Nerval. Différents thèmes peints par fulgurances poétiques ; de l'histoire bonapartiste, à l'espoir, à l'amour, à la prison, à la mort, jusqu'à décrire même l'embrasement de Notre-Dame de Paris... 

***

LES PAPILLONS

De toutes les belles choses
Qui nous manquent en hiver,
Qu'aimez-vous mieux ? - Moi, les roses ;
- Moi, l'aspect d'un beau pré vert ;
- Moi, la moisson blondissante, 
Chevelure des sillons ; 
- Moi, le rossignol qui chante ; 
- Et moi, les beaux papillons !

Le papillon, fleur sans tige,
Qui voltige,
Que l'on cueille en un réseau ;
Dans la nature infinie,
Harmonie
Entre la plante et l'oiseau !...

Quand revient l'été superbe, 
Je m'en vais au bois tout seul :
Je m'étends dans la grande herbe,
Perdu dans ce vert linceul. 
Sur ma tête renversée,
Là, chacun d'eux à son tour,
Passe comme une pensée 
De poésie ou d'amour !

Voici le papillon 'faune'
Noir et jaune ; 
Voici le 'mars' azuré, 
Agitant des étincelles
Sur ses ailes
D'un velours riche et moiré.

Voici le 'vulcain' rapide,
Qui vole comme un oiseau :
Son aile noire et splendide
Porte un grand ruban ponceau.
Dieux ! le 'soufré', dans l'espace,
Comme un éclair a relui...
Mais le joyeux 'nacré' passe,
Et je ne vois plus que lui !

Comme un éventail de soie,
Il déploie 
Son manteau semé d'argent ;
Et sa robe bigarrée
Est dorée 
D'un or verdâtre et changeant.

Voici le 'machaon-zèbre', 
De fauve et de noir rayé ; 
Le 'deuil', en habit funèbre,
Et le 'miroir' bleu strié ; 
Voici l''argus', feuille-morte, 
Le 'morio', le 'grand-bleu',
Et le 'paon-de-jour' qui porte
Sur chaque aile un oeil de feu !

Mais le soir brunit nos plaines ;
Les 'phalènes' 
Prennent leur essor bruyant, 
Et les 'sphinx' aux couleurs sombres, 
Dans les ombres 
Voltigent en tournoyant.

C'est le 'grand-paon' à l'oeil rose
Dessiné sur un fond gris,
Qui ne vole qu'à nuit close,
Comme les chauves-souris ;
Le 'bombice' du troëne,
Rayé de jaune et de vent,
Et le 'papillon du chêne'
Qui ne meurt pas en hiver !...

Voici le 'sphinx' à la tête
De squelette,
Peinte en blanc sur un fond noir,
Que le villageois redoute, 
Sur sa route, 
De voir voltiger le soir.

Je hais aussi les 'phalènes',
Sombres hôtes de la nuit, 
Qui voltigent dans nos plaines
De sept heures à minuit ; 
Mais vous, papillons que j'aime,
Légers papillons de jour, 
Tout en vous est un emblème 
De poésie et d'amour !

*

LE PEUPLE

SON NOM

O vous qui célébrez tous les pouvoirs, ainsi

Que le canon des  Invalides;

Et qui pendant la lutte aussi

N'êtes jamais plus homicides; 


Les temps sont accomplis, le sort s'est déclaré,

La force sous le droit succombe ;

Par un effort désespéré

La liberté sort de sa tombe 2! 
A présent paraissez ; à la tête des rangs 
Cherchez quelques héros à proclamer très grands : 
Mais, entre tous les noms que le siècle répète, 
Un seul reste à chanter, cherchez, encore un nom, 
Plus noble qu'Orléans, plus beau que la Fayette,

Et plus grand que  Napoléon.

SA GLOIRE

Le Peuple ! — 
Trop longtemps on n'a vu dans l'histoire 
Pour l'œuvre des sujets que des 3 rois admirés,

Les arts dédaignaient une gloire

Qui n'avait pas 4 d'habits dorés; 
A la cour seule étaient l'éclat et le courage,

Et le bon goût et le vrai beau; 
Les vêtements grossiers 5 du peuple et son langage 
Faisaient rougir la 
Muse et souillaient le pinceau...

Qu'enfin ce préjugé s'efface! 
Nous avons vu le peuple et la cour face à face, 
Elle, ameutant en vain ses rouges bataillons, 
Lui, sous leur jeu 6 cruel marchant aux  Tuileries; 
Elle, tremblante et vile avec ses broderies,

Lui, sublime avec ses haillons!

SA  FORCE

C'est que le peuple aussi, malheur à qui l'éveille! 
Lorsque paisible il dort sur la foi des serments;

Il laisse bourdonner longtemps

La tyrannie à son oreille. 
Il semble Gulliver environné de nains.

Voyez, par des fils innombrables,

Des milliers de petites mains

Fixer ses membres redoutables. 
Ils y montent enfin, triomphent... le voilà 
Bien lié... 
Que faut-il pour briser tout cela? 
Qu'il se lève! 
Déjà de ses mains désarmées 
Il lutte avec les forts où gît la trahison, 
Et son pied en passant couche à bas les armées

Comme les crins d'une toison *.

SA VERTU

Je crois le voir encor, le peuple, aux Tuileries, 
Alors que sous ses pas lout le palais trembla;

Que de richesses élaient là'...

Ëtincelantes pierreries, 
Trône, manteau royal sur la terre jeté, 
Colliers, habits, cordons oubliés dans la fuite, 
Enfin, tout ce qu'avait la famille proscrite

De grandeur et de majesté. 
Eh bien, de ces trésors, rien, pour lui, qui le lente; 
En les foulant aux pieds sa justice est contente2, 
El, dans ce grand chùleau d'où les valets ont fui, 
Partout, sans rien détruire, il regarde, il pénètre, 
Montrant qu'il est le roi, montrant qu'il est le maître,

Et que tout cela, c'est à lui!

SON  REPOS

Non, rien de ces trésors qu'il voit avec surprise 
Ne le tente ! 
Il confie à des princes nouveaux 
Sa couronne qu'il a reprise, 
Et puis retourne à ses travaux. 
Maintenant, courtisans de. tout pouvoir qui règne, 
Accourez; battez-vous, traînez-vous à genoux, 
Pour ces oripeaux qu'il dédaigne 
Et qui ne sont faits que pour vous. 
Mais, lorsque des grandeurs vous atteindrez le faîte, 
N'ayez point trop d'orgueil d'être assis sur sa tête, 
Et craignez de peser sur lui trop lourdement; 
Car, tranquille au plus bas de l'immense édifice, 
Pour que tout, au-dessus, penche et se démolisse 
Il ne lui faut qu'un mouvement!

*

A VICTOR HUGO – LES DOCTRINAIRES

Oh ! le Vingt-sept juillet, quand les couleurs chéries,
Joyeuses, voltigeaient sur les toits endormis, 
Après que dans le Louvre et dans les Tuileries
On eut traqué les ennemis !
Le plus fort était fait... que cette nuit fut belle ! 
Près du retranchement par nos mains élevé, 
Combien nous étions fiers de faire sentinelle
En foulant le sol dépavé !

O nuit d'indépendance, et de gloire et de fête !
Rien au-dessus de nous !... pas un gouvernement
N'osait encor montrer la tête :
Comme on sentait à tout moment 
L'esprit se déplier en immenses idées...
On était haut de sept coudées...
Et l'on respirait largement !

II

Ce n'est point la licence, hélas ! que je demande, 
Mais, si quelqu'un alors nous eût dit que bientôt 
Cette Liberté-là, qui naissait toute grande,
On la remettrait au maillot !...
Que des Ministres rétrogrades,
Habitants de palais encore mal lavés
Du pur sang de nos camarades,
Ne verraient dans les barricades
Qu'un dérangement de pavés!...

Ils n'étaient donc point là, ces hommes qui, peut-être 
Apôtres en secret d'un pouvoir détesté,
Ont tout haut renié leur maître
Depuis que le Coq a chanté!...
Ils n'ont pas vu sous la mitraille
Marcher les rangs vengeurs d'un Peuple désarmé...
Au feu de l'ardente bataille
Leur oeil ne s'est point allumé !

III

Quoi ! l'Étranger, riant de tant de gloire vaine,
De tant d'espoir anéanti,
Quand on lui parlera de la grande semaine,
Dirait : " Vous en avez menti ? "
Le tout à cause d'eux ! Au point où nous en sommes...
Du despotisme encor... c'est impossible... non
A bas ! A bas donc petits hommes !
Nous avons vu Napoléon ! 

Petits ! - Tu l'as bien dit, Victor, lorsque du Corse 
Ta voix leur évoquait le spectre redouté,
Montrant qu'il n'est donné qu'aux hommes de sa force 
De violer la Liberté ! 
C'est le dernier ; nous pouvons le prédire 
Et jamais nul pouvoir humain 
Ne saura remuer ce globe de l'Empire 
Qu'il emprisonnait dans sa main !

IV

Et, quand tout sera fait..., que la France indignée 
Aura bien secoué ces toiles d'araignée 
Que des fous veulent tendre encor ; 
Ne nous le chante plus, Victor, 
Lui, que nous aimons tant, hélas ! malgré des crimes
Qui sont, pour une vaine et froide Majesté,
D'avoir répudié deux épouses sublimes, 
Joséphine et la Liberté !

Mais chante-nous un hymne universel, immense,
Qui par France, Belgique et Castille commence, 
Hymne national pour toute nation : 
Que seule, à celui-là, la Liberté t'inspire,
Que chaque révolution 
Tende une corde de ta lyre !

*

EN AVANT MARCHE

En avant, marche!

En avant, marche!...Amis, c'est notre cri d'attaque,

De départ, de conquête...Il a retenti loin :
Aux plaines blanches du Cosaque,
Aux plaines jaunes du Bédouin!

Les peuples nos voisins l'ont dans l'oreille encore,
Car, sous le drapeau tricolore,
Il les guida contre le czar,

Lorsque leurs légions à nos succès fidèles

De l'aigle immense étaient les ailes,
Le jour d'Austerlitz... et plus tard.

La Grande Armée enfin se remet en campagne !
Accourez, Nations, sous sa triple couleur,

Que la Liberté joue et gagne

La revanche de l'empereur!
En avant, marche!...
Est-il une cause plus belle?

La Pologne encor nous appelle,

Il faut écraser ses tyrans !
Une neige perfide en vain ceint leurs frontières...

Prenons le chemin que nos frères

Ont pavé de leurs ossements!...

En avant, marche ! la Belgique !
Toi, notre sœur de liberté,
Viens pour cette guerre héroïque
La première à notre côté !

Et, si tu sais dans quelle plaine
Un jour dix rois ivres de haine
Ont voulu pousser au tombeau
La France lâchement frappée...,
Aiguise en passant ton épée
Au monument de
Waterloo!

En avant, marche! l'Italie!
Les sépulcres de les héros,
Alors que la liberté crie,
Ont de magnifiques échos :
Longtemps tu leur fermas l'oreille;
Mais, puis qu'enfin tu te réveilles,
Viens, ton opprobre est effacé!...
Ce jour aux vieux jours se rattache,
Et les vivants ne font plus tache
Au sol glorieux du passé!

En avant, marche! l'Allemagne!
Hourra ! les braves écoliers !
Par la cendre de
Charlemagne!
Voulez-vous être les derniers?
Les âmes sont-elles glacées
Au pays des nobles pensées
Et de la foi des anciens temps?...
Non! noire feu s'y communique,
Et le vieux chêne teuton ique
Reverdit avant le printemps!

Sommes-nous là tous?.'..
Déjà brille Pour nous accompagner toujours

Le beau soleil de la Bastille

Et d'Austerlitz et des trois jours?

Marchons ! la voici reformée

Après quinze ans, la Grande Armée!...

Mais à des succès différents
Quoique la liberté nous mène,...
Pour l'ombre du grand capitaine,
Laissons un vide dans les rangs!

Ah! ah! la route est belle, et chère à notre gloire...
Toutes les plaines, là, sont des pages d'histoire;
Mais combien de Français y sont ensevelis!...
Oh! pourtant nous aurons l'âme joyeuse et fiêre.
Quand nos pieds triomphants fouleront la poussière
D'Iéna, de Friedland, d'EssIing ou d'Austerlitz!

Puis, avant d'arriver jusqu'à l'empire russe,
Nous pousserons du pied et l'Autriche et la Prusse,
Tuant leurs aigles noirs qui semblent des corbeaux;
Et nous rirons à voir ces vieilles monarchies
Honteuses, choir parmi leurs estrades pourries,
Leurs tréteaux vermoulus et leur pourpre en lambeaux!

Et, l'apercevez-vous, mes amis, qui sans cesse
Sur la pointe des pieds, haletante, se dresse...
La Pologne... pour voir si nous n'arrivons pas?...
Enfin notre arc-en-ciel à l'horizon se montre : ...
Ah! le voyage est long, frères, quand on rencontre
Un trône à renverser sous chacun de ses pas !

Nous voici!...
Dans nos rangs vous savez votre place,

Braves de Pologne, accourez!
Maintenant, attaquons dans ses remparts de glace

Le géant et marchons serrés!
Car il faut en finir avec le despotisme :

Ceci, c'est une guerre! et non
De ces guerres d'enfant où brillait l'héroïsme

De Louis Antoine de Bourbon ...

Mais une guerre à mort! et des bal ailles larges

Avec des canons par milliers!
Où viendront se heurter en effroyables charges

Des millions de cavaliers!
Guerre du chaud au froid, du jour à l'ombre... Guerre

Où le ciel dira ses secret
Et telle qu'à coup sûr les peuples de la terre

N'en oseront plus faire après!
Là, quinze ans de vengeance entassée et funeste

Éclateront comme un obus,
Et coucheront à bas plus d'hommes que la peste

Ou que le choléra-morbus
Là, le sang lavera des affronts sanguinaires,

Et sur nos bataillons épars,
Nous croirons voir toujours les ombres de nos frères

Flotter comme des étendards!

II

Que dis-je? hélas! hélas!
Tout cela, c'est un rêve,

Un rêve à jamais effacé!...
L'autocrate est vainqueur... le niveau de son glaive

Sur notre Pologne a passé!
C'est en vain, qu'à la voir tomber faible et trahie,

La honte nous montait au cœur:
En vain que nous tendions de toute sa longueur

La chaîne infâme qui nous lie!...
Mais c'est fini!...
L'éclat dont notre ciel brillait

S'évanouit... le temps se couvre,
La gloire de la France est enterrée au Louvre

Avec les martyrs de Juillet ...

Une vieille hideuse à nos yeux l'a tuée,

Vieille à l'œil faux, aux pas tortus,

La Politique enfin, cette prostituée
De tous les trônes absolus!

Oh! que de partisans s'empressent autour d'elle!

Jeunes et vieux, petits et grands,
Inamovible cour à tous les rois fidèle,

Fouillis de dix gouvernements;
Avocats, professeurs à la parole douce,

Mannequins usés aux genoux,
Tout cela vole, et rampe, et fourmille, et se pousse

Tout cela pue autour de nous!...

C'est pourquoi nous pleurons nos rêves politiques,

Notre avenir découronné,
Nos cris de liberté, nos chants patriotiques!...

Leur contact a tout profané!
Notre coq, dont ils ont coupé les grandes ailes,

Dépérit, vulgaire et honteux;
Et nos couleurs déjà nous paraissent moins belles

Depuis qu'elles traînent sur euxl

Oh! vers de grands combats, de nobles entreprises,

Quand pourront les vents l'emporter,
Ce drapeau conquérant, qui s'ennuie à flotter

Sur des palais et des églises !
Liberté, l'air des camps aurait bientôt reteint

Ta robe, qui fut rouge et bleue...
Liberté de juillet! femme au buste divin,

Et dont le corps finit en queue !

*

PROFESSION DE FOI

J’aimerais mieux, je crois, manger de la morue, 
Du karis à l’indienne, ou de la viande crue, 
Et le tout chez Martin, place du Châtelet, 
D’où je sors ; j’aimerais mieux, même, s’il fallait, 
Travailler à cent sous la colonne au Corsaire
Ou bien au Figaro, comme un clerc de notaire ; 
Ou bien dans la Revue, à raison de cent francs 
La feuille in-octavo, petit-romain, sur grand 
Papier, — ou dans la Mode, ou le Globe ou l’Artiste
Pour rien, — que de m’entendre appeler Philippiste, 
Républicain, Carliste, Henriquiste, — Chrétien, 
Païen, Mahométan ou Saint-Simonien, 
Blanc ou noir, tricolore, ou gris, ou vert, ou rose ; 
Enfin quoi que ce soit qui croie à quelque chose. 

C’est qu’il faut être aussi bête à manger du pain, 
Rentier, homme du jour et non du lendemain, 
Garde national, souscripteur, ou poète, 
Ou tout autre animal à deux pieds et sans tête, 
Pour ne pas réfléchir qu’il n’est au monde rien 
Qui vaille seulement les quatre fers d’un chien ; 
Que la société n’est qu’un marais fétide, 
Dont le fond sans nul doute est seul pur et limpide, 
Mais où ce qui se voit de plus sale, de plus 
Vénéneux et puant, va toujours par-dessus : 
Et c’est une pitié, c’est un vrai fouillis d’herbes 
Jaunes, de roseaux secs épanouis en gerbes, 
Troncs pourris, champignons fendus et verdissants, 
Fange verte, écumeuse et grouillante d’insectes, 
De crapauds et de vers, qui de rides infectes 
Le sillonnent, le tout parsemé d’animaux 
Noyés, et dont le ventre apparaît noir et gros. 
Que sais-je encore ?... Il vient de ces moments de crise 
Où le marais se gonfle et s’agite et se brise ; 
Le fond vient par-dessus, clair et battant les bords 
Pour creuser une issue et s’épandre au dehors. 
Il se fait étang, lac, torrent. — Puis tout se calme 
Et redevient marais ; la fin en général me 
Paraît toujours la même, et la nature aussi 
Des choses montre bien qu’il en doit être ainsi. 

Cette perception m’est seulement venue 
Depuis sept à huit mois, que j’ai vu toute nue 
L’allure des partis, — et sur cet autre point 
Des croyances, que j’ai connu qu’il n’en est point 
De bonne, ni n’en fut ; — ce que m’a la logique 
Des Saint-Simoniens démontré sans réplique, 
Et j’y comprends la leur. — Donc, comme j’ai fort bien 
Dit plus haut, maintenant, je ne crois plus à rien, 
Hormis peut-être à moi ; — c’est bien triste ! et, sans doute,
En venir à ce point est chose qui me coûte ; 
J’ai fait ce que j’ai pu, pour qu’errant au hasard 
Mon âme autour de moi s’attachât quelque part, 
Mais comme la colombe hors de l’arche envoyée, 
Elle m’est revenue à chaque fois mouillée, 
Traînant l’aile, sentant ses forces s’épuiser, 
Et n’ayant pu trouver au monde où se poser ! 

*

COUR DE PRISON

Dans Sainte-Pélagie D’une aile rélargie, Où, rêveur plaintif, Je vis captif,   Pas une herbe ne pousse, Et pas un brin de mousse Le long des murs grillés Et bien taillés !   Oiseau qui fends l’espace, Et toi, brise, qui passes Sur l’étroit horizon De la prison,   Dans votre vol superbe, Apportez-moi quelque herbe, Quelque gramen mouvant Sa tête au vent !   Qu’à mes pieds tourbillonne Une feuille d’automne, Peinte de cent couleurs, Comme les fleurs,   Pour que mon âme triste Sache encor qu’il existe Une nature… un Dieu Dehors ce lieu !   Oui, faites-moi la joie Qu’un instant je revoie Quelque chose de vert Avant l’hiver !

*

LA MALADE

— Oh ! quel doux chant m’éveille ?
— Près de ton lit je veille,
Ma fille ! et n’entends rien…
Rendors-toi, c’est chimère !
— J’entends dehors, ma mère,
Un chœur aérien !

— Ta fièvre va renaître.
— Ces chants de la fenêtre
Semblent s’être approchés.
— Dors, pauvre enfant malade,
Qui rêves sérénade…
Les galants sont couchés !






    Les hommes ! que m’importe ?
    Un nuage m’emporte…
    Adieu le monde, adieu !
    Mère, ces sons étranges
    C’est le concert des anges
    Qui m’appellent à Dieu !






*

LE SOLEIL DE LA GLOIRE

Quiconque a regardé le soleil fixement
Croit voir devant ses yeux voler obstinément
Autour de lui, dans l’air, une tache livide.

Ainsi, tout jeune encore et plus audacieux,
Sur la gloire un instant j’osai fixer les yeux :
Un point noir est resté dans mon regard avide.

Depuis, mêlée à tout comme un signe de deuil,
Partout, sur quelque endroit que s’arrête mon oeil,
Je la vois se poser aussi, la tache noire !

Quoi, toujours ? Entre moi sans cesse et le bonheur !
Oh ! c’est que l’aigle seul – malheur à nous, malheur !
Contemple impunément le Soleil et la Gloire.

*

NOBLES ET VALETS

Les nobles d’autrefois, dont parlent les romans. 
Ces preux à fronts de bœuf, à figures dantesques,
Dont les corps charpentés d’ossements gigantesques 
Semblaient avoir au sol racine et fondement ;

S’ils revenaient au monde, et qu’il leur prît l’idée 
De voir les héritiers de leurs noms immortels,
Race de laridons, encombrant les hôtels 
Des ministres, — rampante, avide et dégradée ;

Etres grêles, à buses, plastrons et faux-mollets : — 
Certes, ils comprendraient alors, ces nobles hommes, 
Que, depuis les vieux temps, au sang des gentilshommes 
Leurs filles ont mêlé bien du sang de valets !

*

LE REVEIL EN VOITURE

Voici ce que je vis. — Les arbres sur ma route 
Fuyaient mêlés, ainsi qu’une armée en déroute !
Et sous moi, comme ému par les vents soulevés,
Le sol roulait des flots de glèbe et de pavés.
 
Des clochers conduisaient parmi les plaines vertes 
Leurs hameaux aux maisons de plâtre, recouvertes 
En tuiles, qui trottaient ainsi que des troupeaux 
De moutons blancs, marqués en rouge sur le dos. 

Et les monts enivrés chancelaient : la rivière 
Comme un serpent boa, sur la vallée entière 
Etendu, s’élançait pour les entortiller… 
— J’étais en poste, moi, venant de m’éveiller !

*

LE RELAI

En voyage, on s’arrête, on descend de voiture ;
Puis entre deux maisons on passe à l’aventure.

Des chevaux, de la route et des fouets étourdi. 
L’œil fatigué de voir et le corps engourdi. 

Et voici tout à coup, silencieuse et verte,
Une vallée humide et de lilas couverte,
Un ruisseau qui murmure entre les peupliers, — 
Et la route et le bruit sont bien vite oubliés !

On se couche dans l’herbe et l’on s’écoute vivre. 
De l’odeur du foin vert à loisir on s’enivre,
Et sans penser à rien on regarde les cieux… 
Hélas ! une voix crie : « En voiture, messieurs ! »

*

UNE ALLÉE AU LUXEMBOURG

Elle a passé, la jeune fille. 
Vive et preste comme un oiseau :
À la main une fleur qui brille,
À la bouche un refrain nouveau. 

C’est peut-être la seule au monde 
Dont le cœur au mien répondrait ;
Qui venant dans ma nuit profonde 
D’un seul regard l’éclairerait !… 

Mais non, — ma jeunesse est finie… 
Adieu, doux rayon qui m’a lui, — 
Parfum, jeune fille, harmonie… 
Le bonheur passait — il a fui !

*

NOTRE-DAME DE PARIS

Notre-Dame est bien vieille ; on la verra peut-être 
Enterrer cependant Paris qu’elle a vu naître. 
Mais, dans quelque mille ans, le temps fera broncher 
Comme un loup fait d’un bœuf ; cette carcasse lourde. 
Tordra ses nerfs de fer, et puis d’une dent lourde 
Rongera tristement ses vieux os de rocher.

Bien des hommes de tous les pays de la terre 
Viendront pour contempler cette ruine austère,
Rêveurs, en relisant le livre de Victor… 
— Alors ils croiront voir la vieille basilique,
Toute ainsi qu’elle était puissante et magnifique. 
Se lever devant eux comme l’ombre d’un mort !

*

FANTAISIE

Il est un air pour qui je donnerais Tout Rossini, tout Mozart et tout Wèbre, Un air très vieux, languissant et funèbre, Qui pour moi seul a des charmes secrets.   Or, chaque fois que je viens à l’entendre, De deux cents ans mon âme rajeunit… C’est sous Louis XIII – et je crois voir s’étendre Un coteau vert, que le couchant jaunit ;   Puis un château de brique à coins de pierre, Aux vitraux peints de rougeâtres couleurs, Ceint de grands parcs, avec une rivière Baignant ses pieds, qui coule entre les fleurs.   Puis une dame, à sa haute fenêtre, Blonde aux yeux noirs, en son costume ancien Que dans une autre existence peut-être J’ai déjà vue et dont je me souviens !

*

DANS LES BOIS

Au printemps, l’oiseau naît et chante :
N’avez-vous jamais ouï sa voix ?… 
Elle est pure, simple et touchante 
La voix de l’oiseau — dans les bois !
 
L’été, l’oiseau cherche l’oiselle ;
Il aime, et n’aime qu’une fois !
Qu’il est doux, paisible et fidèle 
Le nid de l’oiseau — dans les bois !

Puis, quand vient l’automne brumeuse. 
Il se tait… avant les temps froids. 
Hélas ! qu’elle doit être heureuse 
La mort de l’oiseau — dans les bois !

*

LE VINGT CINQ MARS

Déjà les beaux jours, la poussière, Un ciel d’azur et de lumière Les murs enflammés, les longs soirs !… Et rien de vert : à peine encore Un reflet rougeâtre décore Les grands arbres aux rameaux noirs !   Ce beau temps me pèse et m’ennuie ; Ce n’est qu’après des jours de pluie Que doit surgir, en un tableau, Le printemps verdissant et rose : Comme une nymphe fraîche éclose Qui, souriante, sort de l’eau !

*

LA GRAND MERE

Voici trois ans qu’est morte ma grand’mère,
La bonne femme, – et, quand on l’enterra,
Parents, amis, tout le monde pleura
D’une douleur bien vraie et bien amère.

Moi seul j’errais dans la maison, surpris
Plus que chagrin ; et, comme j’étais proche
De son cercueil, – quelqu’un me fit reproche
De voir cela sans larmes et sans cris.

 

Douleur bruyante est bien vite passée :
Depuis trois ans, d’autres affections,
Des biens, des maux, – des révolutions, –
Ont dans les coeurs sa mémoire effacée.

 

Mais moi j’y songe, et la pleure souvent ;
Chez moi toujours, par le temps prenant force,
Ainsi qu’un nom taillé dans une écorce,
Son souvenir se creuse plus avant !

*

LE COUCHER DU SOLEIL

Quand le Soleil du soir parcourt les Tuileries
Et jette l'incendie aux vitres du château,
Je suis la Grande Allée et ses deux pièces d'eau
Tout plongé dans mes rêveries !

Et de là, mes amis, c'est un coup d'œil fort beau
De voir, lorsqu'à l'entour la nuit répand son voile,
Le coucher du soleil, âۥ riche et mouvant tableau,
Encadré dans l'arc de l'Etoile !

 

* * *

Note : les textes de Nerval sont présentés avec de fortes variations selon leurs publications successives

 

 
Source: https://fr.wikisource.org/wiki/Auteur:G%C3%A9rard_de_Nerval


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