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Illustration: La Roche aux Guillemots suivi de Souvenir - Guy de Maupassant

La Roche aux Guillemots suivi de Souvenir

(Version Intégrale)

Enregistrement : Audiocite.net
Publication : 2012-09-14

Lu par Alain Bernard
Livre audio de 22min
Fichier mp3 de 20,5 Mo

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Image: http://nl.wikipedia.org/wiki/Bestand:August_Alleb%C3%A9_-_De_vlinders.jpg

Musique : Musopen: Schubert Impromptu opus 142


LA ROCHE AUX GUILLEMOTS 





Voici la saison des guillemots.

D'avril à la fin de mai, avant que les baigneurs parisiens arrivent, on voit

paraître soudain, sur la petite plage d'Étretat, quelques vieux messieurs

bottés, sanglés en des vestes de chasse. Ils passent quatre ou cinq jours à

l'hôtel Hauville, disparaissent, reviennent trois semaines plus tard ; puis,

après un nouveau séjour, s'en vont définitivement.

On les revoit au printemps suivant.

Ce sont les derniers chasseurs de guillemots, ceux qui restent des anciens ;

car ils étaient une vingtaine de fanatiques, il y a trente ou quarante ans ; ils

ne sont plus que quelques enragés tireurs.

Le guillemot est un oiseau voyageur fort rare, dont les habitudes sont

étranges. Il habite presque toute l'année les parages de Terre-Neuve, des

îles Saint-Pierre et Miquelon ; mais, au moment des amours, une bande

d'émigrants traverse l'Océan, et, tous les ans, vient pondre et couver au

même endroit, à la roche dite aux Guillemots, près d'Étretat. On n'en

trouve que là, rien que là. Ils y sont toujours venus, on les a toujours

chassés, et ils reviennent encore ; ils reviendront toujours. Sitôt les petits

élevés, ils repartent, disparaissent pour un an.

Pourquoi ne vont-ils jamais ailleurs, ne choisissent-ils aucun autre point de

cette longue falaise blanche et sans cesse pareille qui court du

Pas-de-Calais au Havre ? Quelle force, quel instinct invincible, quelle

habitude séculaire poussent ces oiseaux à revenir en ce lieu ? Quelle

première émigration, quelle tempête peut-être a jadis jeté leurs pères sur

cette roche ? Et pourquoi les fils, les petit-fils, tous les descendants des

premiers y sont-ils toujours retournés !

Ils ne sont pas nombreux : une centaine au plus, comme si une seule

famille avait cette tradition, accomplissait ce pèlerinage annuel.

Et chaque printemps, dès que la petite tribu voyageuse s'est réinstallée sur

sa roche, les mêmes chasseurs aussi reparaissent dans le village. On les a

connus jeunes autrefois ; ils sont vieux aujourd'hui, mais fidèles au

rendez-vous régulier qu'ils se sont donné depuis trente ou quarante ans.

Pour rien au monde, ils n'y manqueraient.

C'était par un soir d'avril de l'une des dernières années. Trois des anciens

tireurs de guillemots venaient d'arriver ; un d'eux manquait, M. d'Arnelles.

Il n'avait écrit à personne, n'avait donné aucune nouvelle ! Pourtant il

n'était point mort, comme tant d'autres ; on l'aurait su. Enfin, las d'attendre,

les premiers venus se mirent à table ; et le dîner touchait à sa fin, quand

une voiture roula dans la cour de l'hôtellerie ; et bientôt le retardataire

entra.

Il s'assit, joyeux, se frottant les mains, mangea de grand appétit, et, comme

un de ses compagnons s'étonnait qu'il fût en redingote, il répondit

tranquillement :

-Oui, je n'ai pas eu le temps de me changer.

On se coucha en sortant de table, car, pour surprendre les oiseaux, il faut

partir bien avant le jour. Rien de joli comme cette chasse, comme cette

promenade matinale.

Dès trois heures du matin, les matelots réveillent les chasseurs en jetant du

sable dans les vitres. En quelques minutes on est prêt et on descend sur le

perret. Bien que le crépuscule ne se montre point encore, les étoiles sont un

peu pâlies ; la mer fait grincer les galets ; la brise est si fraîche qu'on

frissonne un peu, malgré les gros habits.

Bientôt les deux barques poussées par les hommes, dévalent brusquement

sur la pente de cailloux ronds, avec un bruit de toile qu'on déchire ; puis

elles se balancent sur les premières vagues. La voile brune monte au mât,

se gonfle un peu, palpite, hésite et, bombée de nouveau, ronde comme un

ventre, emporte les coques goudronnées vers la grande porte d'aval qu'on

distingue vaguement dans l'ombre.

Le ciel s'éclaircit ; les ténèbres semblent fondre ; la côte paraît voilée

encore, la grande côte blanche, droite comme une muraille.

On franchit la Manne-Porte, voûte énorme où passerait un navire ; on

double la pointe de la Courtine ; voici le val d'Antifer, le cap du même

nom ; et soudain on aperçoit une plage où des centaines de mouettes sont

posées.

Voici la roche aux Guillemots.

C'est tout simplement une petite bosse de la falaise ; et, sur les étroites

corniches du roc, des têtes d'oiseaux se montrent, qui regardent les

barques.

Ils sont là, immobiles, attendant, ne se risquant point à partir encore.

Quelques-uns, piqués sur des rebords avancés, ont l'air assis sur leurs

derrières, dressés en forme de bouteille, car ils ont des pattes si courtes

qu'ils semblent, quand ils marchent, glisser comme des bêtes à roulettes ;

et, pour s'envoler, ne pouvant prendre d'élan, il leur faut se laisser tomber

comme des pierres, presque, jusqu'aux hommes qui les guettent.

Ils connaissent leur infirmité et le danger qu'elle leur crée, et ne se décident

pas à vite s'enfuir.

Mais les matelots se mettent à crier, battent leurs bordages avec les tolets

de bois, et les oiseaux, pris de peur, s'élancent un à un, dans le vide,

précipités jusqu'au ras de la vague ; puis, les ailes battant à coups rapides,

ils filent, filent et gagnent le large, quand une grêle de plombs ne les jette

pas à l'eau. Pendant une heure on les mitraille ainsi, les forçant à déguerpir

l'un après l'autre ; et quelquefois les femelles au nid, acharnées à couver,

ne s'en vont point ; et reçoivent coup sur coup les décharges qui font jaillir

sur la roche blanche des gouttelettes de sang rose, tandis que la bête expire

sans avoir quitté ses oeufs.

Le premier jour, M. d'Arnelles chassa avec son entrain habituel ; mais,

quand on repartit vers dix heures, sous le haut soleil radieux, qui jetait de

grands triangles de lumière dans les échancrures blanches de la côte, il se

montra un peu soucieux, rêvant parfois, contre son habitude.

Dès qu'on fut de retour au pays, une sorte de domestique en noir vint lui

parler bas. Il sembla réfléchir, hésiter, puis il répondit :

-Non, demain. Et, le lendemain, la chasse recommença. M. d'Arnelles,

cette fois, manqua souvent les bêtes, qui pourtant se laissaient choir

presque au bout du canon de fusil ; et ses amis riant, lui demandaient s'il

était amoureux, si quelque trouble secret lui remuait le coeur et l'esprit. À la

fin, il en convint.

-Oui, vraiment, il faut que je parte tantôt, et cela me contrarie.

-Comment, vous partez ? Et pourquoi ?

-Oh ! j'ai une affaire qui m'appelle, je ne puis rester plus longtemps.

Puis on parla d'autre chose.

Dès que le déjeuner fut terminé, le valet en noir reparut. M. d'Arnelles

ordonna d'atteler ; et l'homme allait sortir quand les trois autres chasseurs

intervinrent, insistèrent, priant et sollicitant pour retenir leur ami. L'un

d'eux, à la fin, demanda :

-Mais, voyons, elle n'est pas si grave, cette affaire, puisque vous avez bien

attendu déjà deux jours !

Le chasseur tout à fait perplexe, réfléchissait, visiblement combattu, tiré

par le plaisir et une obligation, malheureux et troublé.

Après une longue méditation, il murmura, hésitant :

-C'est que... c'est que... je ne suis pas seul ici ; j'ai mon gendre.

Ce furent des cris et des exclamations :

-Votre gendre ? ... mais où est-il ? Alors, tout à coup, il sembla confus, et

rougit.

-Comment ! vous ne savez pas ? ... Mais... mais... il est sous la remise. Il

est mort.

Un silence de stupéfaction régna.





M. d'Arnelles reprit, de plus en plus troublé :

-J'ai eu le malheur de le perdre ; et, comme je conduisais le corps chez

moi, à Briseville, j'ai fait un petit détour pour ne pas manquer notre

rendez-vous. Mais, vous comprenez que je ne puis m'attarder plus

longtemps.

Alors, un des chasseurs, plus hardi :

-Cependant... puisqu'il est mort... il me semble... qu'il peut bien attendre un

jour de plus.

Les deux autres n'hésitèrent plus :

-C'est incontestable, dirent-ils :

M. d'Arnelles semblait soulagé d'un grand poids ; encore un peu inquiet

pourtant, il demanda :

-Mais là... franchement... vous trouvez ? ...

Les trois autres, comme un seul homme, répondirent :

-Parbleu ! mon cher, deux jours de plus ou de moins n'y feront rien dans

son état.

Alors, tout à fait tranquille, le beau-père se retourna vers le croque-mort :

-Eh bien ! mon ami, ce sera pour après-demain.

 SOUVENIR





Comme il m'en vient des souvenirs de jeunesse sous la douce caresse du

premier soleil ! Il est un âge où tout est bon, gai, charmant, grisant. Qu'ils

sont exquis les souvenirs des anciens printemps !

Vous rappelez-vous, vieux amis, mes frères, ces années de joie où la vie

n'était qu'un triomphe et qu'un rire ? Vous rappelez-vous les jours de

vagabondage autour de Paris, notre radieuse pauvreté, nos promenades

dans les bois reverdis, nos ivresses d'air bleu dans les cabarets au bord de

la Seine, et nos aventures d'amour si banales et si délicieuses ?

J'en veux dire une de ces aventures. Elle date de douze ans et me paraît

déjà si vieille, si vieille, qu'elle me semble maintenant à l'autre bout de ma

vie, avant le tournant, ce vilain tournant d'où j'ai aperçu tout à coup la fin

du voyage.

J'avais alors vingt-cinq ans. Je venais d'arriver à Paris ; j'étais employé

dans un ministère, et les dimanches m'apparaissaient comme des fêtes

extraordinaires, pleines d'un bonheur exhubérant, bien qu'il ne se passât

jamais rien d'étonnant.

C'est tous les jours dimanche, aujourd'hui. Mais je regrette le temps où je

n'en avais qu'un par semaine. Qu'il était bon ! J'avais six francs à

dépenser !

Je m'éveillai tôt, ce matin-là, avec cette sensation de liberté que

connaissent si bien les employés, cette sensation de délivrance, de repos,

de tranquillité, d'indépendance. J'ouvris ma fenêtre. Il faisait un temps

admirable. Le ciel tout bleu s'étalait sur la ville, plein de soleil et

d'hirondelles.

Je m'habillai bien vite et je partis, voulant passer la journée dans les bois, à

respirer les feuilles ; car je suis d'origine campagnarde, ayant été élevé

dans l'herbe et sous les arbres.

Paris s'éveillait, joyeux, dans la chaleur et la lumière. Les façades des

maisons brillaient ; les serins des concierges s'égosillaient dans leurs cages,

et une gaieté courait la rue, éclairait les visages, mettait un rire partout,

comme un contentement mystérieux des êtres et des choses sous le clair

soleil levant.

Je gagnai la Seine pour prendre l'Hirondelle qui me déposerait à

Saint-Cloud.

Comme j'aimais cette attente du bateau sur le ponton. Il me semblait que

j'allais partir pour le bout du monde, pour des pays nouveaux et

merveilleux. Je le voyais apparaître, ce bateau, là-bas, là-bas, sous l'arche

du second pont, tout petit, avec son panache de fumée, puis plus gros, plus

gros, grandissant toujours ; et il prenait en mon esprit des allures de

paquebot.

Il accostait et je montais.

Des gens endimanchés étaient déjà dessus, avec des toilettes voyantes, des

rubans éclatants et de grosses figures écarlates. Je me plaçais tout à l'avant,

debout, regardant fuir les quais, les arbres, les maisons, les ponts. Et

soudain j'apercevais le grand viaduc du Point-du-Jour qui barrait le fleuve.

C'était la fin de Paris, le commencement de la campagne, et la Seine

soudain, derrière la double ligne des arches, s'élargissait comme si on lui

eût rendu l'espace et la liberté, devenait tout à coup le beau fleuve paisible

qui va couler à travers les plaines, au pied des collines boisées, au milieu

des champs, au bord des forêts.

Après avoir passé entre deux îles, l'Hirondelle suivit un coteau tournant

dont la verdure était pleine de maisons blanches. Une voix annonça :

«Bas-Meudon», puis plus loin : «Sèvres», et, plus loin encore

«Saint-Cloud».

Je descendis. Et je suivis à pas pressés, à travers la petite ville, la route qui

gagne les bois. J'avais emporté une carte des environs de Paris pour ne

point me perdre dans les chemins qui traversent en tous sens ces petites

forêts où se promènent les Parisiens.

Dès que je fus à l'ombre, j'étudiai mon itinéraire qui me parut d'ailleurs

d'une simplicité parfaite. J'allais tourner à droite, puis à gauche, puis

encore à gauche, et j'arriverais à Versailles à la nuit, pour dîner.

Et je me mis à marcher lentement, sous les feuilles nouvelles, buvant cet

air savoureux que parfument les bourgeons et les sèves. J'allais à petits pas,

oublieux des paperasses, du bureau, du chef, des collègues, des dossiers, et

songeant à des choses heureuses qui ne pouvaient manquer de m'arriver, à

tout l'inconnu voilé de l'avenir. J'étais traversé par mille souvenirs

d'enfance que ces senteurs de campagne réveillaient en moi, et j'allais, tout

imprégné du charme odorant, du charme vivant, du charme palpitant des

bois attiédis par le grand soleil de juin.

Parfois, je m'asseyais pour regarder, le long d'un talus, toutes sortes de

petites fleurs dont je savais les noms depuis longtemps. Je les reconnaissais

toutes comme si elles eussent été justement celles mêmes vues autrefois au

pays. Elles étaient jaunes, rouges, violettes, fines, mignonnes, montées sur

de longues tiges ou collées contre terre. Des insectes de toutes couleurs et

de toutes formes, trapus, allongés, extraordinaires de construction, des

monstres effroyables et microscopiques, faisaient paisiblement des

ascensions de brins d'herbe qui ployaient sous leur poids.

Puis je dormis quelques heures dans un fossé, et je repartis reposé, fortifié

par ce somme.

Devant moi, s'ouvrit une ravissante allée, dont le feuillage un peu grêle

laissait pleuvoir partout sur le sol des gouttes de soleil qui illuminaient des

marguerites blanches. Elle s'allongeait interminablement, vide et calme.

Seul, un gros frelon solitaire et bourdonnant la suivait, s'arrêtant parfois

pour boire une fleur qui se penchait sous lui, et repartant presque aussitôt

pour se reposer encore un peu plus loin. Son corps énorme semblait en

velours brun rayé de jaune, porté par des ailes transparentes et

démesurément petites. Mais tout à coup j'aperçus au bout de l'allée deux

personnes, un homme et une femme, qui venaient, vers moi. Ennuyé d'être

troublé dans ma promenade tranquille j'allais m'enfoncer dans les taillis,

quand il me sembla qu'on m'appelait. La femme en effet agitait son

ombrelle, et l'homme, en manches de chemise, la redingote sur un bras,

élevait l'autre en signe de détresse.

J'allai vers eux. Ils marchaient d'une allure pressée, très rouges tous deux,

elle à petits pas rapides, lui à longues enjambées. On voyait sur leur visage

de la mauvaise humeur et de la fatigue.

La femme aussitôt me demanda :

-Monsieur, pouvez-vous me dire où nous sommes ? mon imbécile de mari

nous a perdus en prétendant connaître parfaitement ce pays.

Je répondis avec assurance :

-Madame, vous allez vers Saint-Cloud et vous tournez le dos à Versailles.

Elle reprit, avec un regard de pitié irritée pour son époux :

-Comment ! nous tournons le dos à Versailles. Mais c'est justement là que

nous voulons dîner.

-Moi aussi, madame, j'y vais.

Elle prononça plusieurs fois, en haussant les épaules :

-Mon Dieu, mon Dieu, mon Dieu ! avec ce ton de souverain mépris qu'ont

les femmes pour exprimer leur exaspération. Elle était toute jeune, jolie,

brune, avec une ombre de moustache sur les lèvres.

Quant à lui, il suait et s'essuyait le front. C'était assurément un ménage de

petits bourgeois parisiens. L'homme semblait atterré, éreinté et désolé.

Il murmura :

-Mais, ma bonne amie... c'est toi...

Elle ne le laissa pas achever :

-C'est moi ! ... Ah ! c'est moi maintenant. Est-ce moi qui ai voulu partir

sans renseignements en prétendant que je me retrouverais toujours ? Est-ce

moi qui ai voulu prendre à droite au haut de la côte, en affirmant que je

reconnaissais le chemin ? Est-ce moi qui me suis chargée de Cachou...

Elle n'avait point achevé de parler, que son mari, comme s'il eût été pris de

folie, poussa un cri perçant, un long cri de sauvage qui ne pourrait s'écrire

en aucune langue, mais qui ressemblait à tiiitiiit.

La jeune femme ne parut ni s'étonner, ni s'émouvoir, et reprit :

-Non, vraiment, il y a des gens trop stupides, qui prétendent toujours tout

savoir. Est-ce moi qui ai pris, l'année dernière, le train de Dieppe, au lieu

de prendre celui du Havre, dis, est-ce moi ? Est-ce moi qui ai parié que M.

Letourneur demeurait rue des Martyrs ? ... Est-ce moi qui ne voulais pas

croire que Céleste était une voleuse ? ... Et elle continuait avec furie, avec

une vélocité de langue surprenante, accumulant les accusations les plus

diverses, les plus inattendues et les plus accablantes, fournies par toutes les

situations intimes de l'existence commune, reprochant à son mari tous ses

actes, toutes ses idées, toutes ses allures, toutes ses tentatives, tous ses

efforts, sa vie depuis leur mariage jusqu'à l'heure présente.

Il essayait de l'arrêter, de la calmer et bégayait :

-Mais, ma chère amie... c'est inutile... devant monsieur... Nous nous

donnons en spectacle... Cela n'intéresse pas monsieur...

Et il tournait des yeux lamentables vers les taillis, comme s'il eût voulu en

sonder la profondeur mystérieuse et paisible, pour s'élancer dedans, fuir, se

cacher à tous les regards ; et, de temps en temps, il poussait un nouveau

cri, un tiiitiiit prolongé, suraigu. Je pris cette habitude pour une maladie

nerveuse.

La jeune femme, tout à coup, se tournant vers moi, et changeant de ton

avec une très singulière rapidité, prononça :

-Si monsieur veut bien le permettre, nous ferons route avec lui pour ne pas

nous égarer de nouveau et nous exposer à coucher dans le bois.

Je m'inclinai ; elle prit mon bras et elle se mit à parler de mille choses,

d'elle, de sa vie, de sa famille, de son commerce. Ils étaient gantiers rue

Saint-Lazare. Son mari marchait à côté d'elle, jetant toujours des regards

de fou dans l'épaisseur des arbres, et criant tiiitiiit de moment en moment.

À la fin, je lui demandai :

-Pourquoi criez-vous comme ça ?

Il répondit d'un air consterné, désespéré :

-C'est mon pauvre chien que j'ai perdu.

-Comment ? Vous avez perdu votre chien ?

-Oui. Il avait à peine un an. Il n'était jamais sorti de la boutique. J'ai voulu

le prendre pour le promener dans les bois. Il n'avait jamais vu d'herbes ni

de feuilles ; et il est devenu comme fou. Il s'est mis à courir en aboyant et il

a disparu dans la forêt. Il faut dire aussi qu'il avait eu très peur du chemin

de fer ; cela avait pu lui faire perdre le sens. J'ai eu beau l'appeler, il n'est

pas revenu. Il va mourir de faim là-dedans.

La jeune femme, sans se tourner vers son mari, articula :

-Si tu lui avais laissé son attache, cela ne serait pas arrivé, Quand on est

bête comme toi, on n'a pas de chien.

Il murmura timidement :

-Mais, ma chère amie, c'est toi...

Elle s'arrêta net ; et, le regardant dans les yeux comme si elle allait les lui

arracher, elle recommença à lui jeter au visage des reproches sans nombre.

Le soir tombait. Le voile de brume qui couvre la campagne au crépuscule

se déployait lentement ; et une poésie flottait, faite de cette sensation de

fraîcheur particulière et charmante qui emplit les bois à l'approche de la

nuit.

Tout à coup, le jeune homme s'arrêta, et se tâtant le corps fiévreusement :

-Oh ! je crois que j'ai...

Elle le regardait :

-Eh bien, quoi !

-Je n'ai pas fait attention que j'avais ma redingote sur mon bras.

-Eh bien ?

-J'ai perdu mon portefeuille... mon argent était dedans.

Elle frémit de colère, et suffoqua d'indignation.

-Il ne manquait plus que cela. Que tu es stupide ! Mais que tu es stupide !

Est-ce possible d'avoir épousé un idiot pareil ! Eh bien va le chercher, et

fais en sorte de le retrouver. Moi je vais gagner Versailles avec monsieur.

Je n'ai pas envie de coucher dans le bois.

Il répondit doucement :

-Oui, mon amie ; où vous retrouverai-je ?

On m'avait recommandé un restaurant. Je l'indiquai.

Le mari se retourna, et, courbé vers la terre que son oeil anxieux parcourait,

criant : Tiiitiit à tout moment, il s'éloigna.

Il fut longtemps à disparaître ; l'ombre, plus épaisse, l'effaçait dans le

lointain de l'allée. On ne distingua bientôt plus la silhouette de son corps ;

mais on entendit longtemps son tiiit tiiit, tiiit tiiit lamentable, plus aigu à

mesure que la nuit se faisait plus noire. Moi, j'allais d'un pas vif, d'un pas

heureux dans la douceur du crépuscule, avec cette petite femme inconnue

qui s'appuyait sur mon bras.

Je cherchais des mots galants sans en trouver. Je demeurais muet, troublé,

ravi.

Mais une grand'route soudain coupa notre allée. J'aperçus à droite, dans un

vallon, toute une ville.

Qu'était donc ce pays.

Un homme passait. Je l'interrogeai. Il répondit :

-Bougival.

Je demeurai interdit :

-Comment Bougival ? Vous êtes sûr ?

-Parbleu, j'en suis !

La petite femme riait comme une folle.

Je proposai de prendre une voiture pour gagner Versailles. Elle répondit :

-Ma foi non. C'est trop drôle, et j'ai trop faim. Je suis bien tranquille au

fond ; mon mari se retrouvera toujours bien, lui. C'est tout bénéfice pour

moi d'en être soulagée pendant quelques heures.

Nous entrâmes donc dans un restaurant, au bord de l'eau, et j'osai prendre

un cabinet particulier.

Elle se grisa, ma foi, fort bien, chanta, but du Champagne, fit toutes sortes

de folies... et même la plus grande de toutes.

Ce fut mon premier adultère !



Commentaires :


Message de Anonyme

ceci aurait été meilleur si c'était plus court.Trop ennuyeux.fais un RESUME!!!!


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