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Illustration: Les Aventures de Todd Marvel-Le Jardin des Gémissements - Gustave Le Rouge

Les Aventures de Todd Marvel-Le Jardin des Gémissements

(Version Intégrale)

Enregistrement : Audiocite.net
Publication : 2010-06-05

Lu par Stanley
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Illustration: QwirkSilver
Certains droits réservés (licence Creative Commons)


"Le Jardin des Gémissements" est le deuxième épisode des aventures du détective Todd Marvel. Une enquête menée à un rythme insoutenable.

Chapitre 01 - Une Fête de Milliardaires.
Chapitre 02 - Une Énigme insoluble.
Chapitre 03 - L'Enquête de John Jarvis.
Chapitre 04 - Le Jardin des Gémissements.


Deuxième épisodeLE JARDIN DES GÉMISSEMENTSCHAPITRE PREMIERUNE FÊTE DE MILLIARDAIRESCe jour-là, toute la ville de San Francisco - une des plus vivantes et des plus bruyantes villes du monde - était en pleine effervescence. À la Bourse dans Montgomery et dans Market Street, et jusque dans la Ville Chinoise et dans le Faubourg d'Orient, on ne parlait que de la fête que donnait, le soir même, le banquier Josias Horman Rabington, propriétaire et directeur de la Mining Mexican Bank, au capital de 200 millions de dollars.Quelques jours auparavant, les plus notables personnages du monde de la finance avaient reçu l'invitation suivante :Mr et Mrs,vous êtes priés de vouloir bien assister au dîner suivi de bal qui sont offerts à ses amis, À L'OCCASION DE SON RETOUR À LA JEUNESSE, par Mr Josias Horman Rabington, en sa villa des Cèdres, le mercredi 20 septembre, à dix-neuf heures très précises.En traitement depuis deux mois dans la maison de santé du docteur Klaus Kristian, le banquier allait reparaître, débarrassé du poids des années par la vertu des greffes merveilleuses.La curiosité était arrivée au plus haut point. Des paris énormes étaient engagés sur la question palpitante de savoir si Rabington était de soixante ans, revenu à quarante, à trente, ou même à vingt. Les plus imaginatifs penchaient audacieusement vers cette dernière hypothèse.Les procédés employés par le docteur Kristian, jusqu'alors rigoureusement tenus secrets par lui, faisaient l'objet de discussions non moins vives. Les uns affirmaient qu'il s'était servi des glandes arrachées à des orang-outangs, venus de Java à grands frais ; d'autres parlaient d'un mystérieux topique, où entraient des sels de phosphore et de fluor, des extraits de jaborandi et d'autres plantes du Brésil et qui avait la magique vertu d'effacer les rides, de rendre aux artères ossifiées une juvénile élasticité, et même de faire repousser les cheveux et les dents.Quant aux heureux détenteurs des cartes d'invitation, ils étaient en proie à la plus trépidante impatience ; la journée leur parut à tous longue comme un siècle.La fièvre de la curiosité, l'excitement comme disent les Américains, étaient tels que, dès dix-sept heures, les premières autos commencèrent à arriver en face des grilles dorées de la villa des Cèdres, où elles formèrent bientôt une file imposante.Les invités étaient reçus au perron par des domestiques noirs, en livrée écarlate, galonnée d'or, et introduits dans un vaste salon d'attente qui s'ouvrait sur le parc de la villa où les eaux jaillissantes, les tulipiers en fleur, les magnolias, les flamboyants, les jasmins de la Floride, les roses de Californie, composaient un décor de rêve. Par-delà cet océan de fleurs, on apercevait les troncs géants des séquoias et des cèdres millénaires qui donnaient l'illusion d'un coin de forêt vierge.Bientôt la plus brillante société de San Francisco se trouva groupée dans le salon d'attente. Le célèbre détective John Jarvis - ami personnel du banquier - qui se trouvait au nombre des invités ainsi que son collaborateur, le Canadien Floridor Quesnel, reconnut et salua dans cette cohue étincelante et parée, l'armateur milliardaire, Robinson Barney, Reuben Eliphaz, directeur du trust du platine, Stephen Gardell, le célèbre constructeur de locomotives, Manoël Guasco, le grand propriétaire de forêts, Nichol Spruce qui possédait toute une rue et vingt autres dont le plus pauvre avait au moins un milliard.Quant au Canadien, il n'avait d'yeux que pour la partie féminine de l'assemblée, et il contemplait avec une naïve admiration, les rayonnantes beautés que John Jarvis lui désignait complaisamment au passage.- Cette admirable blonde, dit le détective, est la fille aînée de lord Stervenage, une Anglaise, sa rivière de diamants et son aigrette valent une fortune ; sa voisine, cette rêveuse et frêle beauté aux yeux couleur d'aigue-marine qui fait songer à l'Ophélie du poète est Mrs Robinson Barney, on dirait une fée des eaux avec son diadème et ses colliers de perles roses ; cette rousse opulente à la parure d'émeraudes, à la peau blanche comme le lait, est Miss Nichol Spruce...Cette énumération fut brusquement interrompue. La monumentale horloge d'argent qui s'élevait au fond du salon avait commencé à sonner les sept coups de l'heure.Au murmure des conversations avait succédé un impressionnant silence.Les dames frissonnaient d'une délicieuse émotion, faite de la fièvre de l'attente et du plaisir de la curiosité satisfaite.Le septième coup n'avait pas achevé de tinter que la porte du fond s'ouvrait à deux battants, en même temps qu'un majordome à chaîne d'argent annonçait d'une voix vibrante :- Miss Elsie Godescal !... Mr le docteur Klaus Kristian !... Mr Josias Horman Rabington !...Personne ne prêta la moindre attention au docteur, ni à Miss Elsie, la pupille du banquier ; on n'avait d'yeux que pour l'homme rajeuni qui s'avançait avec un orgueilleux sourire.Il y eut quelques minutes de tumulte. Une vraie bousculade se produisit. Tout le monde voulait serrer la main du banquier, le voir de près, l'entendre parler. Les cris, les exclamations, les hurrah frénétiques se mêlaient dans un vacarme assourdissant.- Hip ! Hip ! Hurrah ! Vive le jeune Rabington !...- On lui donnerait tout au plus trente-six ans !- C'est merveilleux, voyez quelle souplesse, quel feu dans le regard, et pourtant l'expression de ses traits est la même. Il n'est pas sensiblement changé.- Sauf que ses cheveux ont repoussé.- Et ses dents !...- Cette petite moustache noire coupée court lui sied à ravir.- Il est superbe...Rabington, les mains broyées par les shake-hands, le plastron de sa chemise déjà chiffonné, l'habit fripé, se prêtait de bonne grâce à l'enthousiaste curiosité de ses hôtes. Les dames surtout étaient terribles. Elles ne se rassasiaient pas de le voir, de le palper et même de le pincer, et il se trouva une petite miss aux yeux bleus, à la mine candide, pour lui tirer sournoisement les cheveux, afin de s'assurer qu'il ne portait pas une perruque. De la meilleure grâce du monde, Rabington se laissait faire, répondant sans impatience aux shake-hand, aux compliments et aux questions et souriant d'un air de condescendance débonnaire.Au milieu de ce joyeux tumulte, John Jarvis, dont les puissantes facultés d'observation ne restaient pas une minute sans s'exercer, remarqua deux choses : d'abord la mine ironique et méprisante du docteur Kristian qui, retiré dans un angle du salon, souriait sardoniquement en haussant les épaules. Le docteur était petit et ventripotent, ses bras trop longs balançaient de formidables poings, noueux et velus. Sa face carrée aux mâchoires lourdes, surmontée d'une forêt de cheveux d'un roux désagréable, exprimait la brutalité et la bassesse, et ses petits yeux porcins aux sourcils pâles, reflétaient la ruse et la perfidie.- Ce docteur a beau être un grand savant, songea le détective, il a tout l'air d'un parfait coquin.La seconde chose qui attira l'attention de John Jarvis fut l'attitude de Miss Elsie, la pupille du banquier, qui se tenait, elle aussi à l'écart de la cohue, souriant faiblement à la scène qui se déroulait devant ses yeux. Il sembla au détective que ce sourire était contraint et dissimulait une secrète appréhension, un ennui ou un mécontentement, il ne savait au juste.Miss Elsie était très belle, d'une sculpturale beauté. Grande et svelte, la taille souple et ronde, le buste harmonieusement développé, elle offrait un visage régulier d'un ovale pur, que couronnait une opulente chevelure d'un blond cendré. Ses prunelles limpides étaient du bleu rare du lapis lazuli ; dans le noble dessin du nez, aux ailes vibrantes, de la bouche à l'arc purement dessiné, dans les mains fines aux longs doigts fuselés, il y avait une distinction profonde. On devinait en Miss Elsie une nature profondément aristocratique, douée d'une sensibilité suraiguë, presque maladive. Une expression de douceur tempérait ce que cette physionomie eût offert de dur, de fermé et de mystérieux.Telle qu'elle était, Miss Elsie Godescal était ensorcelante.La première fois qu'il l'avait vue, le détective avait été profondément impressionné par le charme délicat qui émanait de la jeune fille et tous deux s'étaient sentis attirés l'un vers l'autre par une mutuelle sympathie. En quelques conversations, il avait découvert chez Miss Elsie un grand bon sens, une loyauté parfaite, une culture intellectuelle très avancée. Depuis, ils s'étaient toujours rencontrés avec plaisir ; leurs idées étaient les mêmes sur beaucoup de points.John Jarvis se disposait à se rapprocher de la jeune fille, lorsque s'ouvrirent les portes du hall transformé, pour la circonstance, en salle à manger. Bien qu'il ne fît pas encore nuit, le grand lustre de verre colorié avait été allumé, montrant les tables étincelantes de vaisselle plate et de cristaux, dressées au milieu de massifs d'arbustes, illuminés de petites lampes électriques de toutes les nuances.Le détective chercha vainement à prendre place à côté de Miss Elsie. Distraite, ou désirant s'isoler, elle s'était assise entre deux richissimes marchands de boeufs du Far West, gens peu loquaces et d'une galanterie sommaire.Derrière chacun des convives, un domestique noir avait pris place, attentif et silencieux.John Jarvis que le hasard avait placé entre la blonde Miss Stervenage et la rousse Miss Spruce, lut complaisamment à ses voisines le menu gravé sur des feuilles d'ivoire et qui était digne de la richesse de l'amphitryon.Ce menu comprenait entre autres raretés gastronomiques, un colossal saumon grillé, piqué de truffes, servi sur un lit d'huîtres et de crevettes avec une sauce verte au ravensara, un gigot de guanaco des Andes, à l'écossaise, des carrys de faisan, de dindonneau sauvage et de tortue verte, une grande outarde - ce roi des gibiers qui possède sept sortes de chairs, toutes d'une couleur et d'une saveur différentes - entièrement farcie de becfigues et de bécassines, entourée de choux palmistes à la crème, des pigeons des Moluques nourris de noix muscade, des lézards iguanes, grillés, accompagnés d'une sauce indienne au gingembre, etc., etc.À la grande satisfaction des convives, ce splendide repas, en dépit des sévères lois américaines, ne devait pas être un repas sec. Chargé d'affaires de plusieurs républiques de l'Amérique centrale, le banquier jouissait de l'immunité diplomatique, comme l'attestait le buffet dressé au fond du hall et couvert de vénérables flacons.Les hors-d'oeuvre n'étaient pas achevés qu'une joie tapageuse commença à se manifester ; certains invités buvaient déjà du champagne frappé ; le visage des plus réservées parmi les miss se colorait insensiblement d'une charmante rougeur et leurs beaux yeux lançaient des flammes. De temps en temps, de longs et bruyants éclats de rire s'élevaient et dominaient un instant le tumulte des conversations.John Jarvis qui par principe buvait et mangeait très peu, ne quittait pas des yeux Miss Elsie. Il constata que la jeune fille ne touchait à aucun des mets qui lui étaient offerts... De plus en plus, elle paraissait préoccupée, absente, et ses rares sourires avaient quelque chose de contraint.Le détective observa à ce moment que Rabington et le docteur Klaus Kristian, assis l'un près de l'autre à un bout de table, se désintéressaient complètement de ce qui se passait autour d'eux ; ils avaient entamé à voix basse une discussion animée, mais qui ne semblait rien moins qu'amicale, car, de temps en temps, le docteur serrait ses poings énormes dans un geste menaçant, et le banquier, les sourcils froncés, paraissait faire de violents efforts pour ne pas laisser éclater sa colère.Sauf le détective, d'ailleurs, aucun des convives ne s'occupait d'eux ; la gaieté allait crescendo et la réunion, à mesure que disparaissaient les bouteilles d'extra-dry, devenait de plus en plus houleuse.On en était au dessert. Avec un sans-gêne bien yankee, un certain nombre de gentlemen avaient déserté les tables et allumé d'énormes havanes bagués d'or. Ils formaient un groupe compact en face du buffet où les sommeliers leur versaient à pleines coupes du champagne frappé et des cocktails incendiaires. Les deux indigènes du Far West étaient au nombre de ces intrépides buveurs, ils avaient égoïstement abandonné leur voisine de table, Miss Elsie, sans même un mot d'excuses.John Jarvis voulut profiter de cette circonstance pour aller s'asseoir près de la jeune fille et il était arrivé à quelques pas d'elle quand la sonnerie grêle du téléphone retentit dans une pièce voisine.Miss Elsie habituée à servir de secrétaire à son tuteur en mainte occasion, s'était levée pour aller prendre la communication.Par la porte demeurée entrouverte, le détective vit la jeune fille approcher de son oreille le cornet d'or massif, mais presque aussitôt elle jeta un cri d'épouvante, et roula, comme foudroyée sur le tapis épais qui couvrait le sol. Son visage était devenu blême. Elle s'était évanouie.Il y eut quelques minutes de désarroi. Tous les convives s'empressaient autour de la pupille du banquier, mais avant que personne eût eu le temps d'intervenir, le détective s'était élancé, avait pris la jeune fille dans ses bras, l'avait déposée doucement sur un divan et lui faisait respirer un flacon de lavander-salt.Au bout de quelques secondes, elle ouvrit les yeux, mais pour les refermer presque aussitôt, une indicible épouvante se peignait sur son beau visage.Rabington et le docteur Kristian accouraient, fendant la cohue des curieux.- Merci de vos soins, dit sèchement le docteur à John Jarvis, mais je vais m'occuper de la malade. Rien de grave d'ailleurs, une simple syncope due à la chaleur.Il ajouta en se tournant vers les invités :- Miss Elsie a surtout besoin de grand air et de silence. Son malaise sera dissipé dans peu d'instants, pourvu qu'on veuille bien nous laisser la soigner tranquillement.Déçus dans leur curiosité, les convives évacuèrent la pièce dont la porte se referma.L'instant d'après Rabington reparaissait la mine souriante.- Soyez rassurés, ladies et gentlemen, dit-il gaiement, Miss Elsie est revenue à elle et va aussi bien que possible, mais elle a exprimé le désir de regagner ses appartements pour y prendre un peu de repos. Dans une heure au plus - le docteur l'affirme - elle sera complètement remise. L'absence momentanée de ma pupille ne changera rien d'ailleurs à notre programme.Et du geste, il montrait par la grande verrière qui faisait le fond du hall, le parc illuminé à giorno, et où les serviteurs achevaient de disposer un velum de soie orange, qui devait abriter une salle de bal improvisée en plein air, au milieu des massifs de fleurs. Dans le lointain un orchestre de cinquante musiciens, installé sous un berceau de verdure, accordait ses instruments. Le banquier jeta sur ces préparatifs un regard satisfait.- Après le feu d'artifice, expliqua-t-il à John Jarvis, bal jusqu'à minuit. Puis, ballet-pantomime sur la scène du théâtre de verdure ; à une heure souper par petites tables, puis bal encore jusqu'au lever du jour pour ceux qui ne seront pas trop fatigués...Et, sans attendre la réponse du détective, Rabington pivota sur ses talons avec une agilité toute juvénile et se dirigea vers un autre groupe.John Jarvis attendit jusqu'au souper, dans l'espoir de revoir Miss Elsie, mais la jeune fille ne parut pas. Le docteur Klaus Kristian expliqua qu'il lui avait administré une potion calmante et qu'après une nuit de bon sommeil il ne resterait plus trace de l'indisposition.D'ailleurs, ni le docteur, ni le banquier ne fournirent d'explications sur la cause qui avait déterminé l'évanouissement de Miss Elsie.
CHAPITRE IIUNE ÉNIGME INSOLUBLETrois jours s'étaient écoulés depuis la fête donnée à la villa des Cèdres. Le banquier Rabington était d'un seul coup devenu l'homme le plus populaire de San Francisco. Tous les périodiques donnaient son portrait accompagné d'une substantielle biographie. À la Bourse, dans une seule séance, les actions de la Mining Mexican Bank avaient monté de douze points.Le détective John Jarvis était un des rares à ne pas partager cet engouement. Les allures presque insolentes du banquier, depuis son rajeunissement, lui avaient souverainement déplu, aussi bien que la physionomie brutale et cauteleuse du docteur Klaus Kristian, enfin l'évanouissement de Miss Elsie lui avait laissé une pénible impression qu'il n'arrivait pas à dissiper.D'ailleurs, il n'avait pu revoir la jeune fille. Chaque fois qu'il s'était présenté à la villa, M. Rabington était absent ou travaillait avec ses secrétaires et ne recevait pas, et Miss Elsie, invariablement, était allée faire une promenade en auto.John Jarvis flânait, un après-midi, par la ville, en réfléchissant aux raisons qui pouvaient motiver la singulière conduite du banquier à son égard, quand dans Mason Street, le chemin lui fut barré par un embarras de voitures. Il s'apprêtait à revenir sur ses pas lorsqu'il crut reconnaître, dans une auto arrêtée par l'encombrement, Miss Elsie elle-même.Il ne s'était pas trompé. Elsie était là à deux pas de lui, mais son beau visage était pâli par le chagrin ou la maladie.En apercevant le détective, elle eut un faible sourire, et elle mit un doigt sur ses lèvres comme pour lui faire comprendre qu'elle était surveillée, puis elle lui fit signe d'attendre.John Jarvis se rapprocha prudemment en se dissimulant derrière un camion et, au bout d'un instant, Elsie lui glissa dans la main un billet qu'elle venait de griffonner sur une page de son carnet. Il lut, après avoir eu la précaution de se cacher dans l'embrasure d'une porte cochère : Il faut que je vous parle. Attendez-moi dans un quart d'heure à la porte de votre jardin.Enfin, il allait donc avoir des nouvelles. Il déchira le billet en tous petits morceaux qu'il sema le long de sa route et se hâta de regagner l'hôtel qu'il occupait dans Mateo Street, une paisible rue, proche du Faubourg d'Orient.Grâce à l'énergique intervention des policemen, l'embarras de voitures s'était promptement dissipé, Miss Elsie jeta à son chauffeur l'adresse d'un grand magasin de nouveautés de Montgomery Street, où elle arriva quelques minutes plus tard.Le chauffeur la vit descendre, entrer dans le magasin, stationner au rayon des soieries, puis disparaître dans la foule. La jeune fille avait traversé le magasin dans toute sa longueur. Elle ressortit par une autre porte et se dirigea vers Mateo Street, marchant aussi rapidement qu'elle le pouvait et se retournant de temps à autre pour voir si elle n'était pas suivie.Elle atteignit sans encombre la rue déserte où donnait la porte du jardin qu'elle trouva entrebâillée.Elle entra. John Jarvis était là, cordial et souriant mais plus ému qu'il n'eût voulu le paraître.- Que se passe-t-il donc à la villa ? demanda-t-il impatiemment. Pourquoi n'avez-vous pas pensé plus tôt que vous aviez en moi un ami ?La physionomie de la jeune fille avait revêtu cette expression de tristesse et d'épouvante qui avait frappé le détective le soir de l'évanouissement.- Je n'ai pu venir qu'aujourd'hui, et ce n'a pas été sans peine. Je suis espionnée, presque prisonnière...- Est-il possible ?- Mr Rabington, murmura-t-elle en frissonnant, n'est plus du tout le même pour moi, depuis qu'il est rajeuni... Mais il faut que je me hâte de tout vous dire car les minutes sont précieuses. Il ne faut pas qu'on sache que je vous ai vu ni qu'on s'aperçoive de mon absence.- Le soir de la fête, vous paraissiez déjà toute triste.- Oui, je suis très impressionnable et je ne puis jamais dissimuler ce que j'éprouve. Je ne puis supporter la présence du docteur Klaus Kristian. J'éprouve pour lui la même répugnance physique que pour un rat, un crapaud ou tout autre animal immonde. Il m'est tellement odieux que sa présence me cause un réel malaise. Et, comme il devine l'impression qu'il produit sur moi, il me déteste cordialement...« J'étais dans cette fâcheuse disposition quand la sonnerie du téléphone a retenti...Le visage convulsé d'horreur elle ajouta avec effort.- Voici les paroles qui ont causé mon évanouissement : Elsie ! ma chère Elsie, venez à mon secours, je suis... Et cette voix suppliante qui montait vers moi des profondeurs de l'inconnu, c'était la voix de mon tuteur, du vrai Mr Rabington ! Comprenez-vous l'atrocité de ma situation.Jarvis était violemment ému.- C'est épouvantable, balbutiait-il, mais êtes-vous bien sûre que quelque mauvais plaisant ne se soit pas amusé à contrefaire la voix de votre tuteur.- Non, je ne puis pas m'être trompée. C'était bien Mr Rabington.John Jarvis fit quelques pas dans les allées, en proie à une inexprimable agitation.- Et depuis, demanda-t-il après un silence, il ne s'est produit aucun appel du même genre ?- Non, d'ailleurs, ce qui confirme mes soupçons, mon téléphone particulier est détraqué, et les autres téléphones sont gardés à vue. Bien que je n'aie rien répondu aux questions qui m'ont été faites sur mon évanouissement, ils savent, ils ont deviné que j'étais avertie de leur crime et ils prennent leurs précautions en conséquence... Ah ! c'est abominable.- Enfin, que croyez-vous qui soit arrivé ? Allez jusqu'au bout de votre pensée.- Ils ont séquestré - à l'heure qu'il est, assassiné peut-être, mon pauvre tuteur - dit-elle lentement, et un autre a pris sa place, avec la complicité de ce docteur Kristian, que je crois capable de toutes les infamies, et les deux bandits vont se partager l'immense fortune, voilà la vérité !- Un pareil crime, objecta le détective avec hésitation, me semble de prime abord difficile à admettre. Êtes-vous bien sûre de n'avoir pas été le jouet de votre imagination et de vos nerfs ? Enfin Mr Rabington a été reconnu par tous ses amis, par moi-même ; c'est lui qui a demandé à être « rajeuni » par les procédés du Dr Kristian.Miss Elsie se taisait consternée.- Quoi, vous aussi, murmura-t-elle avec accablement, vous allez passer dans le camp de mes ennemis ! Vous ne me croyez pas ? Vous allez m'abandonner ?- Je n'ai jamais mis en doute votre sincérité, je vous promets de mettre en oeuvre tous les moyens dont je dispose pour arriver à découvrir la vérité.- Puis, interrompit-elle, les larmes aux yeux, vous ne connaissez pas encore toute l'horreur de ma situation ! Maintenant le prétendu Rabington veut m'épouser ! Il attribue mes accès de tristesse à une maladie nerveuse et parle de me mettre en traitement chez le docteur Kristian. Ils veulent me dépouiller de ma fortune et me faire disparaître ensuite, comme ils ont dépouillé et sans doute assassiné mon tuteur ! Est-ce assez clair ! Vous reste-t-il encore des doutes ?Miss Elsie avait parlé d'un accent de détresse si poignant que John Jarvis en fut profondément remué.- Non, dit-il, ce projet de mariage, bien qu'il ne soit qu'une preuve morale, est une preuve décisive. Il confirme tout ce que vous venez de me dire. Ne vous désolez pas. Je vous jure que je vous arracherai des griffes de ces misérables et que je délivrerai Mr Rabington. Car enfin, ajouta-t-il pour donner quelque espoir à la jeune fille, votre tuteur, s'il est séquestré, est bien vivant puisqu'il vous appelle à son secours.- Dites qu'il m'appelait il y a trois jours, murmura-t-elle avec un profond découragement. Qui sait, depuis, ce qu'ils ont fait de lui ?- Je ne veux pas que vous vous laissiez abattre ainsi, dit le détective avec autorité. Il faut que vous soyez courageuse et que vous ayez foi en moi. J'ai pris l'affaire en main et je vous garantis que d'ici peu les choses vont changer de face, mais il faut que je puisse compter sur vous. Ne savez-vous pas que je vous suis entièrement dévoué ?- Que faut-il faire ? demanda-t-elle, un peu réconfortée déjà par l'énergie même de ces paroles.- Montrez-vous aussi aimable que possible avec le faux Rabington, et même avec le docteur... Et tout d'abord acceptez le projet de mariage dont on vous a parlé.- C'est vous qui me conseillez cela ! s'écria-t-elle dans un sursaut d'indignation.- Oui, reprit-il, parce que ce mariage n'aura jamais lieu, je vous en donne ma parole de gentleman. Ce n'est qu'un moyen pour nous de gagner du temps et d'endormir la prudence des deux bandits que votre attitude inquiète sans doute beaucoup. De plus ce mariage dont il faut fixer la date le plus tard possible, sera pour vous un prétexte à emplettes, ce qui vous permettra de sortir.« Tous les jours de quinze à seize heures mon ami Floridor se tiendra dans la travée de gauche, au deuxième étage, du magasin de nouveautés françaises de la rue Montgomery et vous y attendra. Vous ne ferez pas semblant de vous connaître, mais vous pourrez échanger des billets sans éveiller les soupçons. De cette façon, vous pourrez m'avertir de ce qui se passera et me donner rendez-vous ici, en cas de besoin.- Je ferai ce que vous me dites, à la lettre.- Une dernière recommandation. Tâchez de vous procurer les noms de tous les fournisseurs de Mr Rabington - avant son rajeunissement - cela est indispensable. Vous remettrez la liste à Floridor, dès que vous l'aurez.- Je vous quitte, murmura-t-elle avec un timide sourire, il faut que je rentre bien vite. Me voilà maintenant un peu réconfortée.Demeuré seul, John Jarvis se promena longtemps d'un pas saccadé par les allées du jardin, mûrissant dans sa pensée tout un plan de campagne contre les bandits qui avaient si subtilement escamoté la personnalité du banquier Rabington.Le soleil couchant disparaissait dans l'océan, par-delà la presqu'île de Monterey, quand le détective regagna son bureau. Il passa le reste de la soirée à donner de minutieuses instructions au fidèle Floridor. La bataille s'engageait.
CHAPITRE IIIL'ENQUÊTE DE JOHN JARVISLe détective eut bientôt une preuve de la docilité avec laquelle Miss Elsie suivait ses recommandations. Le lendemain même, il eut la surprise de voir annoncé dans tous les journaux de San Francisco le très prochain mariage de l'honorable Josias Horman Rabington, « le banquier rajeuni » et de sa charmante pupille, Miss Elsie Godescal.Bien que ce fût John Jarvis lui-même qui eût conseillé à la jeune fille de paraître consentir à cette union, il se sentit le coeur serré en lisant les articles dithyrambiques que consacraient aux futurs époux les journalistes du cru. Le banquier surtout était porté aux nues ; on admirait son désintéressement. Miss Elsie en effet était en comparaison de son fiancé presque une pauvresse, sa fortune ne s'élevant guère qu'à cinq millions de dollars.Les auteurs des articles ignoraient et John Jarvis était un des rares à savoir que miss Godescal possédait, du chef de sa mère, dans la Nouvelle Californie, de vastes terrains dont les récentes découvertes minières avaient centuplé la valeur.Le détective rejeta les journaux avec mécontentement et sortit. Il employa toute la matinée de ce jour-là à des visites chez des sollicitors ou des hommes d'affaires ; le lendemain, à la grande surprise de Floridor, il fit de longues stations chez des tailleurs, des bottiers, des chemisiers et des chapeliers ; enfin, déguisé en chauffeur d'auto, il passa plusieurs soirées dans un cabaret fréquenté par les noirs et fit de nombreuses emplettes chez divers brocanteurs juifs et chinois.Une semaine s'écoula ainsi dans une fiévreuse activité. Au bout de ce temps John Jarvis jugea bon de donner rendez-vous à Miss Elsie pour la mettre au courant de ses démarches.La jeune fille entra comme la première fois par la porte du jardin et fut ensuite introduite dans le cabinet de travail du détective.- J'allais venir si vous ne m'aviez pas convoquée, dit-elle en s'installant dans le fauteuil que lui avançait Floridor, je vis dans une impatience mortelle ! Et cette honteuse comédie de fiançailles que je suis obligée de jouer pour tromper ce misérable !... Je crois que je mourrais, s'il me fallait continuer longtemps une pareille existence !...- Prenez patience, dit John Jarvis avec un sourire encourageant, nous avons fait un grand pas dans la découverte de la vérité, maintenant, même si je venais à mourir subitement cette nuit, vous êtes sûre de ne pas épouser le coquin qui s'est si subtilement glissé dans la peau de mon ami Rabington. J'ai la preuve que l'homme qui prend ce nom n'est pas le véritable Rabington !- Comment prouver une pareille chose ? demanda la jeune fille ébahie.- Rien de plus simple. Grâce à la liste de fournisseurs que je vous avais demandée, j'ai pu reconstituer la fiche anthropométrique du vrai Rabington. Sans qu'on puisse deviner dans quel but j'agissais, je me suis fait communiquer les livres où le chemisier, le bottier, le tailleur inscrivent « les mesures » de leurs clients habituels.Le détective tira d'une boîte une paire de gants neufs.- Tenez, miss, votre tuteur n'achetait jamais de gants tout faits, avec ceux-ci que je me suis fait fabriquer d'après les indications du livre, j'aurai quand je voudrai un moulage suffisamment exact de la main de Mr Rabington.- C'est prodigieux.- Vous devinez mon but. Après avoir établi la fiche du vrai Rabington j'ai établi celle du faux, ce qui ne m'a pas été plus difficile, avec quelques dollars intelligemment distribués aux domestiques noirs de la villa ou aux fripiers auxquels ils revendent les vieux habits de leur maître. Il ne me restait plus qu'à comparer les deux fiches, le résultat a été concluant.« Le Rabington actuel a les bras beaucoup plus longs, les mains et les pieds beaucoup plus forts que l'ancien.- Pourtant, fit observer Floridor, les sérums et les greffes n'ont pas le pouvoir de faire allonger les bras ou les doigts de la main !- Mon ami a entièrement raison, dit John Jarvis, qui ne put s'empêcher de sourire de la réflexion du brave Canadien, mais je reviens à mes fiches. Je les ai complétées par la comparaison des deux photographies, publiées par les journaux, celle de Rabington à soixante ans et celle du même Rabington après l'opération du rajeunissement. Je me suis donné la peine d'agrandir les deux clichés et j'ai fait des mensurations.- Cependant, fit remarquer la jeune fille, la ressemblance est frappante, extraordinaire.- D'accord, cette ressemblance donne une illusion parfaite, mais à condition que l'on n'étudie pas un à un les détails des deux portraits. La longueur du nez, la hauteur du front, l'écartement des sourcils, la dimension et la forme des oreilles diffèrent sensiblement dans les deux images. Je puis le prouver, documents en main, l'homme qui a présidé la fête de la villa des Cèdres, n'est pas le banquier Josias Horman Rabington.- Qui est-ce donc ? demanda Miss Elsie avec angoisse.- Vous allez le savoir, si vous voulez bien m'écouter ; j'ai réussi, non sans peine, à identifier l'homme dont nous parlons. Ma première idée fut de confronter la photographie et la fiche que j'avais constituée, avec le dossier spécial des détenus évadés de prisons et des contumaces de l'Amérique entière dont un exemplaire est déposé au Central Police Office de San Francisco. Mon idée était excellente, comme vous l'allez voir.« J'obtins aisément communication du dossier et, au bout d'une demi-heure de recherches, je mettais la main sur la photo et sur la fiche d'un certain Toby Groggan, évadé depuis trois ans de la prison des Tombes, à New York, où il purgeait une peine de dix ans pour assassinat suivi de vol.- Quelle honte ! s'écria la jeune fille dont le visage s'empourpra. Je ne peux supporter la pensée que les journaux aient publié mon portrait accolé à celui de ce misérable... Ah ! pourquoi ai-je eu la faiblesse de suivre vos conseils...- De grâce, Miss Elsie, fit le détective avec le plus grand flegme, soyez un peu plus calme et surtout, faites-moi l'honneur d'avoir un peu plus de confiance dans mes faibles talents. Je vous affirme que personne ne saura jamais que vous avez été fiancée à Toby Groggan.- Excusez-moi Mr Jarvis, dit-elle mélancoliquement, vous savez bien que j'ai en vous toute confiance.- Il faut maintenant que je sache, reprit-il, de quelle façon est mort le fils de votre tuteur et à quelle époque ; car je sais que Mr Rabington a eu un fils. Vous devez être au courant. Ce fait est d'une haute importance pour notre enquête.- Je puis vous renseigner ; Mr Rabington qui se maria très jeune et fut veuf de bonne heure a eu en effet un fils, qui aurait maintenant à peu près l'âge du misérable qui usurpe son nom. Ce fils causa beaucoup de chagrin à son père par ses débauches, il fut condamné pour tricherie au jeu, sa conduite força Mr Rabington à quitter New York. D'ailleurs le misérable périt dans le naufrage de l'Alabama, dans les parages des îles Bermudes. C'est à peu près tout ce que je sais.- Cela suffit largement, s'écria le détective, avec une sorte d'enthousiasme, maintenant, je puis reconstituer toute l'histoire. Sachez, Miss, que dans le dossier de Toby Groggan, se trouve un certificat de l'autorité maritime attestant qu'il est un des six rescapés du désastre de l'Alabama. Tout s'explique. Il est évident, pour moi, que le jeune Rabington s'est approprié les papiers du véritable Groggan. Je compléterai cet exposé en vous apprenant qu'il y a trois ans, le docteur Klaus Kristian était un des médecins de la prison des Tombes.Miss Elsie était stupéfaite et en même temps consternée de cet enchaînement de faits, si miraculeusement mis en lumière par la sagacité du détective.- De sorte, fit-elle, avec une épouvante réelle, que c'est le fils qui a pris la place du père, et que la ressemblance qui a fait illusion à tout le monde est parfaitement naturelle.La jeune fille demeura quelques instants silencieuse et pensive.- Il y a, dit-elle enfin, une question que je n'ose pas vous faire, tant je redoute que votre réponse ne m'apprenne une catastrophe irrémédiable... Croyez-vous que mon tuteur soit encore vivant ?- Je n'ai jusqu'ici aucune preuve de sa mort, répondit le détective avec une nuance d'embarras ; ce que j'ai appris, en interrogeant adroitement les domestiques de la maison de santé du docteur Klaus Kristian, est même assez déconcertant. Mr Rabington pendant les deux mois qu'a duré son traitement n'a pas quitté le pavillon que le docteur lui avait assigné. Il n'a reçu aucune visite du dehors - c'était une des conditions mises à son rajeunissement - mais les domestiques lui ont parlé tous les jours, ont assisté avec curiosité à toutes les phases de son retour à la jeunesse, et l'ont vu monter en auto quelques heures avant la fête donnée à la villa des Cèdres. Ici je l'avoue ma perspicacité est en défaut. Pour déjouer la curiosité, le docteur s'est servi de moyens qui m'échappent.- En admettant que les domestiques n'aient pas menti, répliqua Miss Elsie avec vivacité, et que mon tuteur fût réellement vivant le jour de la fête, il est hors de doute pour moi que l'auto qui devait le conduire à la villa des Cèdres, l'a emmené dans quelque repaire secret où, vivant ou mort, il doit être encore à l'heure qu'il est.- J'ai eu la même pensée que vous. J'ai cherché où pouvait être ce repaire, cette cachette dont vous parlez. Le docteur n'a pas d'amis et il est bien trop rusé pour associer un complice à ses projets, il était donc de toute évidence que ce repaire ne pouvait se trouver que dans un immeuble appartenant au docteur. Or il ne possède que sa maison de santé et un grand terrain à San Gregorio dans une vallée des monts Mateo, à vingt milles d'ici : la maison de santé est ouverte à tout venant, et à cause de la nature même du sol - je l'ai vu construire - elle ne renferme ni caves ni souterrains d'aucune espèce. Quant au terrain que Floridor est allé visiter, c'est un immense enclos à l'abandon, avec une mare au milieu, sans aucune construction. Je suppose qu'il n'a été acquis par le docteur que dans un but de spéculation. Que vous dirai-je ? J'ai depuis huit jours fait filer le docteur Kristian et son complice par des hommes de confiance, ils n'ont rien remarqué de suspect.Miss Elsie avait jeté un coup d'oeil sur la pendule électrique et s'était levée précipitamment.- Il faut que je me retire, murmura-t-elle, mais je vous en supplie, tâchez de sauver mon tuteur, si malheureusement, il n'est pas trop tard... Je sais que vous ferez tout ce qu'il est humainement possible de faire...Elle avait déjà rajusté l'épaisse voilette qui dissimulait ses traits et qu'elle enlevait en entrant dans le magasin de nouveautés où elle était censée avoir passé l'après-midi, lorsqu'elle se ravisa.- Je suis si troublée, fit-elle, que j'ai oublié de vous remettre quelque chose qui peut vous intéresser.Elle tira de son corsage une feuille de papier, mais dès qu'elle l'eut déployée elle poussa un cri de surprise.- Plus rien ! s'écria-t-elle avec dépit, l'écriture s'est envolée ! Figurez-vous que ce matin j'ai pu me glisser dans le cabinet de travail, j'ai eu l'idée de fouiller dans la corbeille à papiers et j'y ai trouvé une lettre déchirée en tout petits morceaux. J'ai eu la patience de reconstituer la lettre, comme si j'avais joué au puzzle, en collant à mesure chaque morceau sur cette feuille et voilà que l'écriture s'est évaporée.- Rien d'extraordinaire à cela, expliqua le détective, l'auteur de la lettre s'est servi d'une encre spéciale que l'on trouve facilement dans le Faubourg d'Orient. Certains Chinois s'en servent pour signer les reconnaissances de dettes. Quand le créancier veut s'en servir, il ne trouve - comme vous - qu'une feuille de papier blanc. Vous rappelez-vous au moins le contenu de cette lettre ?- Oui. Très exactement, il n'y avait que quelques lignes et je n'y ai rien compris. C'est pour cela que j'avais voulu vous les montrer, c'était de l'écriture du docteur, écriture que je connais bien.- Dites toujours.- Voici textuellement : Le mandarin se porte à ravir. Je suis prêt à traiter avec lui si vous ne tenez pas vos engagements. Dernier avis.- Dire que vous avez failli ne pas me parler de cette lettre ! s'écria le détective avec agitation. C'est capital, tout simplement. Je vous l'affirme maintenant, Mr Rabington est encore vivant, mais sa vie ne tient qu'à un fil. Le mandarin qui se porte à ravir, c'est lui, évidemment. Klaus Kristian est prêt à trahir, au profit de sa victime, son complice qui n'a pas tenu ses engagements. Les deux mots dernier avis, renferment une menace peu dissimulée.« Le docteur devait sans doute recevoir la moitié de la fortune de Mr Rabington ou davantage, et comme cette promesse n'a pas été tenue, il fait chanter son associé, en le menaçant de tout découvrir.- Et si le docteur obtenait satisfaction ? demanda Miss Elsie, le coeur serré.- Mr Rabington serait immolé, n'en doutez pas. Si un bandit de la trempe de Kristian ne l'a pas déjà assassiné, c'est qu'il le conservait, comme une sorte de garantie vivante de l'exécution du pacte.- Que faire ? demanda la jeune fille désespérée.- Rien n'est encore perdu. Je sais, par les hommes que j'emploie, que le faux banquier a passé la matinée dans ses bureaux, et qu'il y est revenu après avoir déjeuné dans un restaurant. Il paraissait de méchante humeur. À 13 heures il a reçu à la banque la visite de Kristian, ils ne sont restés que quelques minutes ensemble et se sont donné rendez-vous pour dix-neuf heures à la villa des Cèdres. Depuis ce que vous venez de me dire, ce rendez-vous prend une importance énorme, c'est dans cette entrevue certainement que va se décider le sort de votre tuteur. Je vous le répète, Miss, ayez du calme et du sang-froid, la partie est loin d'être perdue, mais il dépend un peu de vous que nous la gagnions...« Il faut absolument arriver à surprendre quelque chose de l'entretien des deux bandits et à savoir ce qu'ils auront décidé. Alors avertissez-moi et j'agirai.- Vous savez bien, dit-elle avec découragement, qu'il m'est difficile de téléphoner. Même si je puis connaître leurs projets, comment vous prévenir ?- Il le faut pourtant, déclara-t-il gravement. Aimez-vous mieux que votre tuteur soit assassiné cette nuit ? Dites que vous voulez aller au cinéma ou au concert, trouvez un prétexte pour sortir, et s'il n'y a pas d'autre moyen, enfuyez-vous ! à l'heure qu'il est nous n'avons plus rien à ménager !...La jeune fille promit de tenter l'impossible et se retira profondément troublée.
CHAPITRE IVLE JARDIN DES GÉMISSEMENTSCette journée parut interminable à John Jarvis. Bien qu'il eût pris toutes les précautions possibles pour intervenir quels que fussent les événements, il ne se dissimulait pas que les deux bandits auxquels il s'était attaqué étaient de rudes adversaires et il se demandait avec inquiétude, si malgré toute son habileté, ils n'avaient pas eu vent de ses agissements.Il attendait avec impatience le renseignement que Miss Elsie devait lui fournir et qu'elle seule pouvait lui donner, car toutes ses tentatives pour soudoyer les domestiques qui approchaient la jeune fille étaient demeurées sans résultat.Vingt heures venaient de sonner et il commençait à désespérer, quand le grelot du téléphone retentit. Il se précipita vers l'appareil.- Allô ! Mr John Jarvis ?- Allô, Miss Elsie.- Je suis désespérée ! Je n'ai pu surprendre la conversation des deux bandits, mais je tremble que vous n'ayez deviné juste. Il se prépare certainement quelque chose pour ce soir, ils se sont donné rendez-vous à minuit, je ne sais pas en quel endroit. Ils paraissent parfaitement d'accord, mais très nerveux, très agités ; c'est à peine s'ils ont fait attention à moi... On ne m'a pour ainsi dire pas surveillée ce soir, comme si quelque événement rendait cette surveillance inutile, et j'ai pu vous téléphoner sans que personne y mît obstacle.- C'est désastreux que vous ne sachiez rien ! dit le détective avec impatience. Vous n'avez aucun indice ? Vous n'avez trouvé aucune lettre, aucun papier dans le cabinet de travail ?- J'y suis en ce moment même, il n'y a pas autre chose qu'une grande carte routière placée sur le bureau, mais je l'y vois tous les jours.- Et vous ne me disiez pas cela ! Déployez cette carte... Et d'abord de quelle région ?- De la région nord de San Francisco. Ah ! il y a un trait au crayon bleu qui part de la ville et s'arrête au pied des monts Mateo !- Voyez vite, s'il y a un nom de localité à l'endroit où se termine cette ligne.- Oui, en toutes petites lettres, c'est San Gregorio, un village sans doute.- Je vous remercie, Miss, ce renseignement m'est plus précieux que vous ne pouvez croire... Autre chose, où est en ce moment le faux Rabington ?- Je suppose qu'il est allé à son cercle, il était en habit et il a pris la limousine, mais de ma fenêtre qui donne sur le garage, je l'ai entendu ordonner qu'on tienne prête pour vingt-trois heures la petite torpedo.- Et c'est tout ?- Je ne sais pas autre chose.- Encore une fois, Miss, mes remerciements. Tout ce que vous venez de m'apprendre servira. Surtout, ayez confiance !John Jarvis avait raccroché le récepteur et réfléchissait.- San Gregorio, se disait-il, c'est là où se trouve le terrain qui appartient au docteur. C'est là évidemment que les deux coquins se sont donné rendez-vous. L'endroit où est séquestré le banquier n'est sans doute pas loin de là, il s'agit d'arriver avant que le prix du sang n'ait été versé et que la victime soit immolée.Le détective regretta alors amèrement de n'être pas allé lui-même explorer les terrains de San Gregorio où il s'était contenté d'envoyer Floridor.À ce moment le brave Canadien pénétra tout essoufflé dans le bureau.- J'ai des nouvelles s'écria-t-il, Klaus Kristian part ce soir même pour New York par le train de vingt-deux heures.- C'est à n'y rien comprendre, murmura John Jarvis avec dépit, si ce que tu dis est vrai, je me suis lourdement trompé.- Rien n'est plus vrai. Le docteur lui-même a pris un billet à l'agence du Western Pacific, en annonçant un voyage de quelques jours, il n'y a pas un quart d'heure.John Jarvis demeura silencieux pendant une longue demi-heure. Floridor qui, habitué à ses manières, se gardait bien de lui adresser la parole, le vit étudier tour à tour avec attention l'indicateur du Western Pacific Railway et la carte routière de la région située au nord de San Francisco.- Voici ce que j'ai résolu, dit-il enfin, tu vas prendre le même train que le docteur - il n'est que vingt et une heures - et tu le suivras en quelqu'endroit qu'il aille.- Il va à New York.- Tu iras jusqu'à New York. S'il se produit quelque incident, vite un coup de téléphone ou un sans fil. N'oublie pas que le train de luxe que tu vas prendre est muni d'un appareil de T. S. F. Naturellement, il ne faut pas que le docteur Klaus Kristian puisse te reconnaître.Le géant blond s'inclina sans répondre et sortit. Il revenait dix minutes plus tard coiffé d'un chapeau plat à larges bords : affublé de lunettes fumées et vêtu d'une longue redingote noire. Ainsi « camouflé » il ressemblait tout à fait à un ministre de quelque secte sévère de méthodistes ou de quakers.- Tu es superbe ! dit le détective en riant, mais dépêche-toi, tu n'as que le temps de te rendre à la station.Floridor une fois parti John Jarvis se replongea dans ses calculs topographiques. À vingt-deux heures trente il se leva et échangea son costume de ville contre un solide veston de cuir, un pantalon de gros drap, et une casquette de chauffeur. Il glissa ensuite dans sa poche un browning, une petite trousse de voyage et divers autres objets et il se disposait à sortir quand la sonnerie du téléphone retentit.- Allô !- Allô ! C'est moi Floridor. Notre homme vient de descendre à la petite station de New Placer. Là son auto l'attendait. Pendant qu'il parlait à son chauffeur qu'il a congédié, j'ai donné un coup de couteau dans un des pneus, ce qui va me permettre de le rejoindre et de ne pas le lâcher. J'ai un moyen...Cette conversation venait de prendre fin quand la sonnerie tinta de nouveau. C'était un des nombreux agents au service du détective qui lui apprenait qu'à vingt-deux heures le chauffeur du docteur était parti avec son auto pour une destination inconnue.- Cette destination, songea le détective, est tout bonnement la gare de New Placer.Et après un coup d'oeil à son chronomètre.- Il est temps de partir. Vingt-trois heures moins le quart, je n'ai guère que quinze minutes d'avance sur l'autre.Il se hâta d'aller prendre place dans une robuste et légère cinquante chevaux dont il se servait dans les expéditions du genre de celle qu'il allait entreprendre et démarra.Bientôt, il eut laissé derrière lui les dernières maisons des faubourgs et fila vertigineusement en pleine campagne. À mesure qu'il avançait la route se faisait plus étroite et plus mal entretenue, bientôt ce ne fut plus qu'une large piste caillouteuse bordée par des champs et des terrains en friche.John Jarvis dut ralentir et consulter sa carte et ses notes. À un demi-mille en avant de lui, il voyait quelques lumières. Il jugea que ce devait être San Gregorio. Une douzaine de maisons de briques et autant de huttes de torchis composaient ce misérable hameau habité par des Chinois et quelques colons de race espagnole. D'ailleurs pas une âme, un silence profond qu'accentuaient les hurlements lointains d'un chien perdu. À grand'peine le détective put mettre la main sur un vieux métis en train de fermer sa boutique, une chétive épicerie, et le pria de garder sa voiture qu'il reviendrait chercher avant une heure.- Je vais, expliqua-t-il, à un mille d'ici, chez un de mes parents, un fermier.- Il se nomme ? demanda le vieillard d'un air soupçonneux.Le détective s'applaudit alors d'avoir retenu les noms des principaux hacienderos du voisinage, notés par Floridor, lors de son voyage à San Gregorio.- Je vais chez Will Blooker, dit-il rudement, est-ce que tu y trouves à redire ? Tiens, voilà un dollar et tu en auras un autre si en mon absence, on n'a rien volé dans ma voiture.Le vieillard s'inclina révérencieusement.- Le chemin vous est facile, dit-il en souriant. C'est le sentier à gauche, au bout du village. Quel dommage que vous soyez obligé de suivre pendant un quart de mille la haie qui clôture le Jardin des Gémissements.- Qu'est-ce que c'est que cela ? demanda le détective avec une surprise qui n'était nullement feinte.- Vous ne savez donc pas ? Il est vrai que vous êtes étranger. Le Jardin des Gémissements - ce sont les Chinois qui l'ont ainsi baptisé et il appartient à un habitant de Frisco que personne n'a jamais vu - occupe l'emplacement d'un ancien camp de prospecteurs, du temps de la fameuse fièvre de l'or, aux débuts de la Californie. Tout le sol a été cent fois retourné, il paraît que les hommes mouraient comme des mouches de la fièvre et aussi des privations et des coups de couteau et des balles de revolver. Le jardin est plein d'ossements, c'était peut-être leur cimetière, quoi qu'il en soit c'est une terre maudite !- Vous vous figurez cela, fit Jarvis en regardant impatiemment l'heure à son chronomètre.- Hélas ! dit le vieillard avec gravité, les preuves sont là... Tous ceux qui ont possédé ce jardin de malédiction sont morts lamentablement. L'avant-dernier propriétaire s'était construit une jolie maison de bois et avait fait une plantation d'arbres fruitiers. Une nuit il a été égorgé avec sa jeune femme et son enfant par des bandits qui ont mis le feu à la maison en s'en allant.Le vieillard frissonna.- La nuit et même parfois le jour on entend des plaintes confuses, des gémissements d'âmes damnées qui montent des entrailles de la terre. Tout le monde s'en écarte avec horreur. Je n'y passerais pas la nuit pour une fortune...Le vieux métis eût continué longtemps sur ce ton, si le détective n'eût brusquement pris congé de lui. Ce qu'il venait d'apprendre n'avait fait que piquer sa curiosité, puis il fallait qu'il fût là le premier.Après un temps assez court de pas gymnastique, il atteignit le Jardin des gémissements aisément reconnaissable, d'après ce qu'il en savait, à son immense étendue, à son aspect sauvage et à la haute clôture d'acacias épineux qui l'entourait.Il franchit non sans peine la haie épaisse comme un hallier et découvrit aux rayons de la lune qui filtraient entre deux nuages noirs, un site de l'aspect le plus sinistre. Des arbres morts phosphorescents sous leur suaire de liane, ressemblaient à des fantômes de feu pâle ; des troncs tombés autour desquels bourdonnaient les noctuelles, les sphynx et les autres coléoptères nocturnes avaient l'air de cadavres rongés par les insectes. Dans le sol défoncé s'ouvraient partout des excavations pareilles à des fosses béantes. Un oiseau de nuit s'envola avec un cri plaintif et malgré lui, John Jarvis se sentit envahir par une anxiété inexplicable.Il fit encore quelques pas dans les hautes herbes qui bruissaient sous ses pas avec des froissements d'étoffes soyeuses et son pied buta contre un crâne moisi, verdissant comme un fruit tombé de l'arbre de la Vie. Il eut un mouvement de recul machinal.- Ce scélérat de Kristian a bien choisi son repaire, murmura-t-il, angoissé.À ce moment une plainte déchirante, mais assourdie et lointaine, parvint à son oreille ; et il n'eût pu dire si elle s'élevait des profondeurs de la terre ou si elle descendait de la cime des cèdres ébranchés par la foudre. Puis tout se tut. L'oreille anxieusement tendue à tous les bruits de la campagne, John Jarvis n'entendit plus que le murmure léger des herbes dont les graines mûres tintaient au souffle de la brise nocturne.Il fit encore quelques pas ; il était arrivé au bord d'une sorte de pièce d'eau à margelle de pierre qu'envahissaient les joncs, les prêles géantes, les roseaux et d'autres plantes aquatiques, et au-dessus de laquelle bourdonnaient des nuées de moustiques. À ce moment le ronflement d'un moteur se fit entendre dans le silence de la campagne endormie, dans une direction tout opposée à celle qu'avait prise John Jarvis pour venir. Le détective se tapit aussitôt derrière un buisson de mimosas et attendit.Une auto venait de stopper, tous phares éteints, de l'autre côté de la clôture, un homme en descendit, pénétra dans le jardin par une brèche et marcha droit à la pièce d'eau. Malgré l'obscurité John Jarvis reconnut parfaitement le docteur Klaus Kristian. Il le vit se baisser comme pour prendre un objet placé à terre, puis attendre d'un air d'impatience pendant quelques instants et enfin pénétrer délibérément à travers le massif des roseaux et des prêles où il disparut.- Je ne suppose pas qu'il se soit noyé ? se dit le détective très intrigué et il s'aventura à son tour dans le massif de roseaux.Une autre surprise l'attendait, la pièce d'eau semblait s'être brusquement desséchée. John Jarvis marchait dans une boue noire et fétide, mais à peine eut-il fait quelques pas que l'eau commença à monter. Le détective n'eut que le temps de regagner le bord et quand il y fut parvenu, le bassin avait repris son aspect habituel et les ondes tranquilles reflétaient le ciel et la lune livide derrière les nuages.C'était à n'y rien comprendre. Pendant quelques instants le détective demeura décontenancé.Tout à coup il se rappela qu'avant de s'engager dans les roseaux, le docteur s'était baissé comme pour ramasser quelque chose. Guidé par les traces de pas, il retrouva facilement l'endroit mais il ne présentait rien de spécial. Le détective mit quelque temps à s'apercevoir qu'une des pierres de la margelle était descellée. Il l'enleva, elle cachait un anneau de fer.Il tira de toutes ses forces sur l'anneau et il eut la satisfaction de voir le niveau de l'eau baisser presqu'instantanément. Il s'expliquait maintenant tout le mystère ; un mécanisme très simple vidait ou remplissait à volonté le bassin qui avait dû être autrefois un réservoir pour le lavage du minerai ; et c'est au fond même de la pièce d'eau que devait se trouver l'entrée du repaire des bandits. Les troncs creusés des vieux arbres devaient servir de cheminées d'aération au souterrain et John Jarvis comprenait maintenant pourquoi les gémissements qu'il avait entendus - ceux du banquier Rabington, sans nul doute - semblaient tantôt partir des entrailles de la terre, tantôt de la cime des arbres.Le détective s'apprêtait à s'aventurer une seconde fois dans le sentier frayé par le docteur à travers les plantes aquatiques, quand les rayons de la lune lui montrèrent derrière les buissons une ombre gigantesque. Il allait prendre son browning quand il reconnut Floridor qui de son côté l'avait aussi aperçu. Le Canadien avait trouvé moyen, à peu de distance de la gare de New Placer de se hisser derrière l'auto du docteur bien éloigné de soupçonner la présence d'un pareil compagnon de route.En quelques mots Jarvis mit Floridor au courant de sa découverte et tous deux s'avancèrent avec précaution dans la boue du réservoir momentanément desséché. Le centre du bassin soigneusement débarrassé des plantes parasites était dallé de briques entre lesquelles s'encastrait une longue plaque de fer rouillé, qui était une trappe, dont une bande de caoutchouc assurait hermétiquement la fermeture.Le panneau de la trappe fut soulevé sans peine par Floridor et découvrit les premières marches d'un escalier que les deux détectives descendirent silencieusement. Après avoir franchi une quinzaine de marches, ils se trouvèrent dans un couloir humide à l'extrémité duquel une porte entrebâillée laissait filtrer un rai de lumière.John Jarvis entra brusquement, le browning au poing et avant que le docteur Kristian qui lisait paisiblement assis devant une table, eût pu faire un geste, il lui appuya le canon de l'arme sur le front. Au même moment Floridor le saisissait à la gorge et lui passait les menottes dont il portait toujours une ou deux paires dans ses poches. Klaus Kristian n'avait pas eu le temps de prononcer une parole. Pour plus de sûreté, le Canadien le bâillonna solidement avec un mouchoir.La précaution n'était pas inutile, car presqu'aussitôt on entendit résonner la trappe de fer. Abandonnant leur prisonnier, les deux détectives s'élancèrent vers l'escalier. Au moment où il mettait le pied sur la dernière marche, le faux Rabington fut cueilli et ficelé sans avoir eu le temps de se reconnaître. John Jarvis trouva sur lui une somme considérable en chèques et en valeurs au porteur. Elle devait être remise au docteur comme prix de l'assassinat du banquier. Sans la méfiance de Kristian qui ne voulait sacrifier le précieux otage qu'il avait entre ses mains qu'une fois nanti des valeurs, toute l'habileté du détective eût été inutile. Celui-ci arrivait juste au moment où l'horrible marché allait être réalisé.- Porte ce misérable dans l'auto, dit John Jarvis à l'oreille de Floridor, tu sais ce que j'ai résolu à son égard. Il est inutile que mon ami Rabington sache que son fils vit encore et a failli devenir son assassin.Le Canadien obéit pendant que son ami furetait par tous les recoins du souterrain pour retrouver le banquier qui devait être prisonnier. Il le découvrit enfin dans une étroite cellule, étendu sur un misérable lit de sangle, évanoui ou mort. Mais tout d'abord il hésita à le reconnaître. C'était bien Rabington, mais Rabington réellement rajeuni d'une vingtaine d'années, et ressemblant d'une manière stupéfiante à celui qui avait pris sa place.Par un excès de machiavélisme et pour pouvoir sans doute mieux tenir son complice, Kristian avait soigneusement appliqué au banquier le système de greffes de la méthode Voronoff et c'est le soir même de la fête de la villa des Cèdres, qu'il l'avait transporté dûment anesthésié dans cette sinistre geôle souterraine. Rabington ignorait encore que Kristian fût l'auteur de sa captivité, ainsi qu'il le dit plus tard.Tout en réfléchissant aux ruses de l'astucieux docteur, il constatait avec satisfaction que le banquier était simplement plongé dans l'hébétude produite par le chloroforme. Il ne fallait pas songer à le réveiller pour l'instant. Il résolut de mettre ce délai à profit pour en finir avec le docteur dont il était d'ailleurs au fond assez embarrassé. Il retourna donc dans la première pièce et enleva le mouchoir qui bâillonnait Klaus Kristian.- Je sais que vous n'êtes pas homme à m'assassiner, lui déclara cyniquement le bandit, donc ce que vous avez de mieux à faire c'est de me laisser tranquillement aller à mes affaires.- Je n'en ai guère envie.- Rabington sera le premier à me demander qu'on fasse le silence sur cette affaire... Et vous-même, ajouta-t-il en ricanant, vous ne tenez pas à ce qu'on sache que le détective John Jarvis et le milliardaire Todd Marvel ne sont qu'une seule et même personne, il y a longtemps que j'ai percé votre incognito.- Vous êtes un abominable gredin !- Comme il vous plaira. Je m'engage si vous me laissez tranquille à quitter pour toujours San Francisco. Quant à Toby Groggan, ou si vous aimez mieux, Rabington fils, faites-en ce que vous voudrez. Il est par trop bête. S'il m'avait tenu parole, nous n'en serions pas où nous en sommes...Faute d'une meilleure solution, le détective finit par céder, mais en se réservant d'imposer à Kristian une salutaire retraite d'un mois dans le souterrain, afin d'avoir le temps de prendre toutes les précautions nécessaires pour déjouer les ruses du bandit.À quelque temps de là, on apprenait par la voie des journaux que le savant docteur Klaus Kristian avait vendu sa maison de santé et s'était retiré au Mexique. Les mêmes feuilles annonçaient l'arrestation d'un dangereux repris de justice, Toby Groggan, évadé depuis trois ans de la prison des Tombes où il venait d'être réintégré. Personne ne soupçonna jamais la singulière aventure du banquier Rabington, on apprit seulement avec surprise, qu'à la suite de certaines considérations, il renonçait à épouser sa pupille, la toute charmante Miss Elsie.http://www.ebooksgratuits.com


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